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L'Avilissement - Ancêtre littéraire en palimpseste de Crozada d'Uei (1990-2008)

 Patrick Hutchinson

Crozada

«Tout ce qui est soumis au contact de la force est avili, quel que soit le contact.
Frapper ou être frappé, c’est une seule et même souillure. Le froid de l’acier est pareillement
mortel à la poignée et à la pointe. ....Toutes choses en ce monde sont exposées
au contact de la force, sans aucune exception, sinon celle de l’amour ».

Simone WEIL, L’inspiration Occitanienne

 

(Moi, Bermond de Sommières…)

Me voici à nouveau au soleil d’hiver
Qui recommence la carrière de sa jeunesse
Dans les éblouissantes prémices de l’année,
Au pied de la Tour Bermonde,
Entre deux époques,
Entre deux vies,
Entre deux hypothèques,
Entre deux dames,
Entre trois pays,
Entre deux années,

Qui grelottes un peu et m’appuies
En chancelant sous les coups bas
Contre de vieux murs oubliés,
Contre un rêve de dissidence défait
Seulement dans les années quarante
Du siècle treizième, avec la soumission
De Pierre-Bermond, mon aîné,
Seigneur d’Anduze, Satrape de Sauve,
Défenseur à ses heures
De la Lex Wisigothorum,
Semence d’Arien, de cathare
Et d’une lignée qui refusa déjà
La chasse aux Juifs, la conversion de Récarède,
L’imposition du rite de Rome à Tolède
(Dixit Sidoine Apollinaire)
Cinq ou six siècles plus tôt,
Et pris fort mal les ingérences
De Charles Martel, Maire d’Austrasie
- Pierre-Bermond VII de Sauve-Anduze,
Allant à Canossa en Avignon,
Le cousin du comte de Toulouse,
Le beau-frère du Plantagenêt,
Le dernier appui des Trencavel,
Ce dont personne ne se souvient.

 Moi, son petit frère, je m’appelle
Bermond, moi aussi, dynastie oblige,
Qui remonte au-delà de l’arrière-grand-père,
Au fils de Garsinde, comtesse en noces,
- Car elle épousa un Trencavel -
Moi, Bermond de Sommières,
Si j’ai eu un peu plus de jugeotte,
Si j’ai su un peu mieux m’en tirer,
En troquant mon château et ma tour
Contre celui sur la colline d’en face,
Et en me rangeant tête basse
Face aux exigences du Sénéchal,
Cela ne tourna guère à mon avantage.
Mes terres, le roi me les a confisquées,
Puis troquées contre les salines de Psalmodi
Afin de pouvoir construire son Aigues Mortes.
Moi, non plus, je n’ai guère d’assiette,
Ni bien au soleil, ni vignes, ni terres
A faible rendement en piquette
A revendre aux grandes enseignes
Pour l’arrogante occupation des Marques
Qui découpent aujourd’hui le pays d’oc
En lotissements, en ronds-points, en parkings
Pour la nouvelle classe des vainqueurs
Aux dents longues, mais à la mémoire courte
Qui croient bien tirer leur épingle du jeu
En délocalisant à grande vitesse
Avec le butin de l’inégalité croissante
Et changer de vie côté sud
Grâce au mitage pavillonnaire
En espérant échapper aux sub-primes,
S’emparer des vieux patrimoines
A coups de crédit jusqu’au cou
En faisant rimer 4/4 et Cac 40,
Puis couper court à la redistribution
En supprimant les droits de succession
Pour regarder le paysage de haut
En gas-guzzler assoiffée de brut
Aux noms de guerre plus ou moins déclarée
Comme Commander, Patrol, Frontera,
Pour filer d’exurbia en grande surface
En attendant les nouveaux murs,
Les nouvelles caméras de surveillance,
Les nouveaux périmètres de sécurité,
Nouvelles Zones Vertes, nouveaux Gaza,
Nouveaux Texas, nouveaux Mellila
Pour parquer les RMIstes en fin de droit,
Les badauds, les contestataires, les poètes,
- Chômeurs, retraités, demandeurs d’asile
Qui encombrent les bars, les bancs publics.
Tandis que moi, bien qu’abattu
Par la cupidité, l’orgueil, la mauvaise foi,
La haine, la meilleure haine qui soit
D’une engeance sans foi ni loi,
Sans culture et sans repères d’amour,
Je rassemble ici les membres épars
D’un héritage moins funeste
Et me prépare à vivre sous la grêle
En me disant bien qu’il doit se trouver
Encore un chemin de travers ou deux
Dans le lit du fleuve ombrageux
Quelques abrivados intempestifs à venir,
Alors qu’en effeuillant l’album du désir,
Parmi tant de belles indomptées
C’est sur ta page que mon doigt s’arrête
Toujours, même partie encore une fois
Au leurre des Mille et Une Nuits.
Je tiendrai ferme le pas gagné
De la parole de vérité chère payée
Et de la reconnaissance de la valeur
Sans contrepartie immobilière
Et je t’attendrai au pied du mur
Pour le combat de lucidité
Qui nous attendra dans les temps à venir,
Moi, le combattant de l’immatériel,
Toi, l’amoureuse de l’impossible.
Je trouverai le moyen de rester debout
Et suivre ce chemin jusqu’ au bout
Sans que l’inconstance me mette à genoux.
Je trouverai ma voie dans le lit du fleuve,
Je trouverai ma voix dans le lit du poème
Entre deux mondes,
Entre deux vies,
Entre deux hypothèques,
Entre deux dames,
Entre trois pays,
Entre deux années…

(Scholie apocryphe...)

Nous sommes à Toulon au début des années quatre vingt
D’un siècle dernier qui met trop de temps à mourir.
Quelque part dans un restaurant agréablement discret,
Un obscur boui-boui dans le quartier du port,
Un homme, une femme sont assis l’un en face de l’autre.
L’homme est celui qui écrit. Elle, Lydie Salvayre.
Elle n’est encore écrivaine connue, ni à connaître.
Il lui parle d’un projet, d’une vision inspirée et brutale
Qui se serait emparé de lui dans une ruelle obscure :
La cavalerie catalane en une fumée automnale de feuilles
Charge à la Bataille de Muret. En parlant, il s’enflamme,
Comme si souvent auprès d’elle (Pour lui, elle porte la poésie,
En sus de sa beauté, en elle). Il l’appelle en privé ‘Dame’,
Ce qui la fait rire, lui dédie des vers, que l’on peut lire
Sous le senhal, ou nom caché, d’Y Nada Mas - ce qui l’agace,
Car elle en ignore la provenance, deux vers de Lorca,
‘Solo tu corazon caliente, y nada mas’). Il commence
A la lui raconter, cette histoire, la Croisade, les batailles,
L’écrasement du Midi, la fin du trobar, la joie détruite des cours.
Et elle, elle l’encourage, avec ce feu intérieur, cette intensité
Qui la caractèrisent toujours. Comme si cette vieille histoire, dont
Elle ignore presque tout, était aussi la sienne. Lui enjoint
D’en faire un poème, un film, une oeuvre de mémoire.
Ainsi, fut-elle muse, bien avant d’être auteure. Et de fait,
Nous sommes toujours déjà dans cette histoire, qui est notre
Sans être à nous. Telle une lettre volée, une plaie inavouable.

I
Le Siège de Beaucaire

( Tomier e-n Palazi... )

Il pleut sur le Languedoc.
De lentes remorques traînent
Sur l'immensité de la pénéplaine
Où succombent les Vitifundia
A une dernière, très auguste,
Très douce matinée d'Almanach.
Le vent tourne. Une feuille de figuier
Se détache, tourterelle en flèche
Qui connaît le signe des neiges. Je vais
Le cœur lourd et léger, immensément ouvert,
D'un contrefort à l'autre, et tout est partance
Et tout est rime, sur la route du retour.

J'entends dans le silence deux chevaux
Aller. Je ne sais encore le lieu ni le temps.
Ni leurs cavaliers. Qui sont-ils ? Ni leur route.
Ni même quel souvenir m'occupe. Je ne fais
Encore que les entendre dans le silence
Des siècles où j'avance où je lance un à un mes mots
Comme l'on jette des pierres dans un puits à sec.
Mais peut-être. Peut-être déjà dans le silence
J'entends. Dans le silence dense et dru,
Le silence de la défaite, de l'engourdissement :
Frapper des sabots, sonner chanfreins et harnais
Et peut-être aussi par moments s'élever

Aigu, monotone, pur d'être brisé, un chant
Parmi des collines basses où tout brûle.
Peut-être ici à Homps. Ou dans une cour d'école
Où des amours enfantines perdent le compte des étoiles.

Je les entends, oui. Ils sont deux. Oiseaux rares,
Hautains, pointilleux, superbes déplumés,
Poètes, me semble-t-il, allant fiers et consternés
Avec quelques beaux restes, soies et zibelines,
Fétiches et parchemins, sans grand rien d'armes
Et fort légers de garniture. Et tantôt parle
L'un, et l'autre va l'écoutant
Qui rit et pleure et chante, faisant route
Dans le silence - vers l'Est, vers le Sud - tâtant
Les cours d'eau à sec, le vol des oiseaux, une fumée,
Évitant les routes, les péages. Patibulaires, ils vont
Et l'un chante et se tait l'autre, de loin en loin
Ponctuant leurs paroles de cris, de rires,
De mélismes, de soupirs. Et sur la dernière hauteur,
De tourner bride.

Mais qui ? Comment le saurais-je ? L’un brun,
Aquilin intense, primesautier et subtil,
Au nez long des latins, au sourcil en arc
Et l’oeil avare de son soleil. L’autre blond,
Léonin joueur, un tantinet trop long,
Un balafre à la joue, deux yeux trop petits,
Trop rapprochés, comme apeurés d’être seuls,
Où filtre pourtant le ciel, le front trop haut,
Et un sourire qui ne quitte jamais ses lèvres
Même en dormant. Tomier e.n Palazi... ?
En tout cas, ensemble s’en vont
Vers l’Est, vers le Sud, après la catastrophe,
En perdition, en omes esperdutz,
Après la défaite de Muret, toute la série,
Toulouse, Cabaret, Saissac, Fanjeaux,
La fin des cours, la perdition du chant,
La soumission, la honte, la mise à sac.
Et ainsi s’en vont, comme moi, navigant
Entre les langues, les parlers, le latin des oiseaux,
En une Europe tourbillonnante indécidée.
S’en vont vers Montferrat, la Lombardie,
Bologne, Vérone, le royaume de Sicile,
Ou part Lerida, en Castille, que sais-je encore ?
Chercher du service auprès de Frédéric,
De Cortenuovo, d’Uberto de Pallavicini,
De Conrad, de Manfred, des autres gibelini
_ Eux, au moins, sauront tenir le coup un temps
Face aux cisterciens, aux domini canes,
Aux légats et à leur police spirituelle.
Le vague à l’âme, délaissant le toulousain,
Les Corbières, le Minervois, le Carcassès,
L’harmonique romane, la vieille Septimanie,
Châteaux, dames, chants et vergers,
Service d’amour, manches et anneaux,
Le bel accueil, le doux plaisant égard,
Festivals de poésie, disputes en vers,
Tarascon, Avignon et France-Culture...
Une fois encore, sur la dernière hauteur,
Une canso aux lèvres, de tourner bride.

(… L’Estranh Mazel…)

Les voilà maintenant qui se mettent en marche,
Les voilà qui déboulent, la Mère des armées,
Les voilà qui se déversent de l’étroit couloir,
De l’entonnoir rhodanien, de Vienne à Montélimar
S’étirant en chenille, là où s’évase la vallée,
‘L’armée merveilleusement grande’, depuis la Drôme
Jusqu’au Tricastin, s’étirant sur deux lieues au moins
A l’amble et sur des palefrois, ils prennent leurs aises
En soie et en sisclaton (il n’y a pas encore de panama !),
En tenue de vacancier, devisant de grande gueule
D’hérésie et d’âpre doctrine, de sévices, de batailles,
De coups d’épée et de butin (car destriers et armures
Sont embarqués avec leurs bagages, sur le fleuve),
Les voilà, en 1209, à l’orée du bel été,
Nombreux plus que grains de sable, qu’étoiles au ciel,
Que sauterelles, que chenilles processionnaires
(S’infiltrant jusqu’à dans les nappes phréatiques
De l’âme, des façons d’être, de chanter, à terme
Jusque dans le penser, le secret des cœurs),
Les voilà, coupant routes et ponts, vignes et oliviers,
Établissant des check points, perturbant la circulation,
Rallongeant des marchands les délais de livraison,
Plus sûrement que la peste, la phylloxera à venir.
Senhor, aicesta ost fo aisi commensada
Si co avetz ausit en la gesta letrada.
Li abas de Cistel fo en la cavalgada,
Ab lui li arsevesque e manta gens letrada…
En tête l’abbé, les archevêques, les tonsurés
Ouvrent la marche, intriguant à voix basse;
Arnaud Amalric, bientôt de Narbonne,
Folquet, ex-trobador, archevêque de Toulouse,
Ceux de Sens, de Nevers, d’Autun, de Clermont,
De Rouen, de Bayeux, de Lisieux, de Chartres,
Ils ne sont pas seuls, c’est une mer de soutanes,
‘Il y en avait bien d’autres, des clercs à l’infini’,
Écrivit dans son Philippide Guillaume le Breton.
Puis il y avait le duc de Bourgogne, bannière au vent,
Et le comte de Nevers a déployé son gonfalon,
Et le comte de Saint-Pol, de gens d’armes entouré,
Et le comte Pierre d’Auxerre, avec ses drôles,
Puis Guillaume de Genève, richement accompagné,
Et Adhémar de Poitiers, celui qui a attaqué
Le comte de Forez, puis sa veste retourné,
Peire-Bermon d’Anduze, qui a voulu s’en tirer
Sur le dos du beau-père, gagner le gros lot
En écrivant au Pape en secret, tirer les marrons du feu ;
Et même si je restais planté là à vous les réciter
Du soir jusqu’au matin, sans un instant m’arrêter,
Jamais n’arriverais à vous en dire le quart
Des noms de tous ces félons de provençaux
Qui vinrent à la Croix dans l’espoir d’en réchapper,
Quitte à se parjurer dès que l’ost sera passé.
J’en dirai autant pour les autres amassés,
Car il n’y a homme assez fort pour les compter,
Sans parler des chevaux, impossibles à dénombrer,
Que les Français ont embarqués.

L’ost fut merveilleux et grand, il faut m’en croire
- Écrit Guillaume de Tudèle, l’auteur profrançais
De cette première partie, trop rarement inspiré,
Quelque peu écrasé par la tâche de chanter
Sauf quand l’indignation le fait changer de côté.
La ost fo meravilhosa e grans, si m’ajut fes :
Vint melia cavaliers, armatz de totas res,
E plus de docent melia, que vilas que pages ;
En cels no comti pas ni clergues ni borzes.
Tota la gent d’Alvernhe, de lonh e de pres,
De Bergonha e de Fransa e de Lemozines ;
De tot lo mon n’i ac : Alamans e Ties,
Peitavis e Gascos, Roergas, Centonges,
Anc Dieus no fe nulh clerc, per punha que i mezes,
Los pogues tot escrire e dos mes o en tres.
Vingt mille chevaliers, armés jusqu’aux dents,
(Même quarante, selon des Vaux-de-Cernay) ;
La Chanson exagère ; il y a là une panzerdivision,
Ou bien deux ou trois ; il y a toute l’Auvergne,
Toute Bourgogne, la France, le Limousin.
Du monde entier, il y en a ; Allemands, Tudesques,
Poitevins, Saintongeais, Rouergats, Gascons,
Et toute la Provence et toute la Haute Vienne,
Plus deux cents mille à pied, ribauds et paysans
(Elle n’exagère à peine, la Chanson !).
Des cols de Lombardie, jusqu’aux routes de Rodez,
Il en déferla tant et tant, que Dieu lui-même
N’a pu créer de clerc assez fort pour les compter
D’ici un mois ou deux ; pour le grand pardon,
Pour la rémission des péchés, pleine indulgence,
Et le marmonnement sur reliques, ivres de Te Deum,
Ils s’en viennent en masse, une forêt de lances,
Toute bigarrure dehors, puis s’en vont dans la mêlée.
Ils ne croient rencontrer dans tout le Languedoc
Nul qui leur résistât, puis sur leur lancée s’emparer
Aisément de Carcassonne, de tout l’Albigeois,
Que Toulouse ne perdrait rien pour attendre… entretemps
Glissement sur l’eau d’armes et de ravitaillements
Et tout l’équipement de siège, par fleuve et par étang;
Les voilà, en 1209, à l’orée du bel été,
Nombreux plus que grains de sable, étoiles en juin,
Que sauterelles, que chenilles processionnaires
(S’infiltrant jusqu’à dans les nappes phréatiques
De l’âme, des façons d’être, de chanter, à terme
Jusque dans le penser, les secrets du cœur),
Et Raimon, le comte de Toulouse, n’a pas trouvé mieux
Que se croiser à la hâte, les rejoindre à Valence,
A bride abattue, il y court faire sa pénitence
Avec Peire-Bermon, mauvais gendre, qui s’y croit …
(Et à l’orée du bel été, voilà un pays exposé en proie !)

Et les voilà bientôt qui arriveront devant Béziers.
(Et à l’orée du bel été, voilà un pays exposé !).
Mais le vicomte de Béziers a mis sa terre en défense,
Nuit et jour il l’a préparée, car il a grand cœur,
Depuis que le monde est monde, on n’a vu son pareil,
Plus preux, plus large, plus noble, plus courtois,
Il est neveu du comte Raimon, le fils de sa soeur !
Mais étant trop jeune, il les traite tous avec amour,
Ceux de son pays, dont il est le seigneur.
Le tiennent pour égal, sans égards, ni tremblement,
Et blaguent avec lui, tels des compagnons de jeu
(Ce n’est pas moi qui le dis, mais la Chanson !),
Et ses propres chevaliers, vassaux et vavasseurs
Protégent les hérétiques, en château, en tour,
Attirant sur eux et destruction et désamour
(Et lui-même en mourra, à très grande douleur,
Et ce fut mal et péché, à cause de leur erreur).
Mais j’en retourne à mon thème. En entendant la rumeur,
Le preux vicomte, voyant l’armée des sauterelles
S’étirer jusqu'à Montpellier, éperonne sa monture,
Et en trombe dans Béziers un matin à la blanche,
Entre, avant qu’il ne fasse jour.

Li borges de la vila, li joves e.l canutz,
Li petit e li gran, sabon qu’el es vengutz :
En toute hâte se levant, en braies, en pyjamas,
Jeunes et vieux, bourgeois grands et petits,
Disent, émus, que se défendront jusqu’au bout,
Que jamais ne se rendront, attendant son secours.
Mais lui de répondre qu’il n’a guère le temps
Et ne pourra s’attarder, mais s’en irait aussitôt
Par le chemin battu jusqu’à Carcassonne,
Où tout le monde l’attend… et sur ces simples mots,
D’un coup, il sort de la ville au grand galop,
Suivi des Juifs de la ville, à bride abattue
Alors que restent les bittérrois, peinés, en colère.
Puis s’en vint l’évêque, un homme très pépère.
Il entre dans Béziers; à peine met-il pied à terre,
Qu’il les fait assembler tous au milieu des reliques
Au Moustier général, à savoir la cathédrale,
Une fois leurs fesses posées, les grands et les petits,
Il décrit l’état les croisés, combien ils sont nerveux,
Et qu’avant d’être prisonniers, morts ou vaincus,
Et que biens et équipements ne leur soient perdus
(Ici le scribe semble omettre quelques vers)…
Mais que tout ce qu’ils perdraient leur serait rendu ;
Et qui n’y consent, restera tout nu sur terre,
Et puis se verra découpé à coups d’acier remoulu,
Sans sommation ni procès.

Quant li avesques ac sa razo afinea
E lor ac la paraula dita et devizea,
Prega los que s’accordo ab clergues e ab crozea
En abans que ilhs passon al trenchant de la spea.
Quant l’évêque avait bien affûté ses arguments,
Et fini d’y promener sur eux sa langue fourchue,
Suppliant qu’ils s’accordent avec clercs et croisés,
Qui ne demanderaient pas mieux que de faire la paix,
Sinon ils seraient tous passés au tranchant de l’épée,
Mas al mais del poble sapchatz que no agreia,
Il faut savoir, savoir que pour la plupart, le peuple,
Qu’en son immense majorité, le bon peuple rechigna,
Et dit qu’ils se laisseraient plus volontiers noyer
Dans la mer salée que de se laisser dépouiller ;
Mais il faut savoir, savoir, savoir que ces bittérois,
Ces bougres d’obstinés, impies, graines d’hérétique,
Bourriques de têtus, n’en voulurent rien croire ;
Face à l’armée la plus grande depuis Troie,
(A l’orée du bel été, les voilà exposés en proie !)
Justement, épris de liberté, ils lui firent savoir
Qu’ils ne leur céderaient pas un seul denier,
Et ne voudraient pour rien leur seigneur changer ;
Ni no aurian del lor que valha un dinnea
Per que lor senhoria fos en autra camgea;
Ce que Martin-Chabot traduit peut-être mieux:
Qu’ils ne leur accorderaient rien, aux croisés,
Pas même un denier, qui put entraîner
Un changement quelconque dans le gouvernement
Par contrat de leur cité, cité, cité -
Qu’ils ne croyaient pas, en outre, que l’ost tiendrait
Quinze jours sans se disloquer et s’effondrer,
Car elle a quinze kilomètres de long, cette armée,
Et c’est à peine si les routes peuvent la contenir
(Sans parler du ravitaillement en eau et en foin).
Mais quand l’évêque vit que le rouge était mis,
Et que ses prêches n’allaient l’avancer en rien,
Pas plus que s’il parlait au vent ou à la marée
Il remonta sur sa mule et s’en alla au grand trot
Se fondre dans l’ost dont est arrivé le plus gros.
Ceux qui s’en allèrent avec lui furent épargnés,
Épargnés, oui, mais les autres le paieront au bon taux
Et dès qu’il put, sans perdre un seul instant,
Il se précipite chez l’Abbé, geignant et pleurnichant,
Et les clercs et les barons, ils rirent à gorge déployée,
Les prenant pour des naïfs, des ignorants, fous à lier :
Ils savent bien quelle mort atroce leur est réservée,
Quels supplices et quel tourment.

Et c’était précisément à la Sainte Madeleine,
Le jour du pardon de la femme adultère,
Et de sa rémission pour avoir beaucoup aimé,
Que l’abbé cistercien déploya son immense armée
Sous les murs de Béziers, y fixant son campement,
De sorte que l’angoisse augmente chez les habitants,
Car jamais l’armée de Ménélas, quand Paris prit Hélène,
Ne dressa tant de tentes aux ports de Mycènes,
Ni tant de riches pavillons, de nuit, à la sereine,
Que n’y firent les parisiens ; à part le comte de Brienne,
Il n’y eût baron de France qui n’y fît quarantaine.
A ceux de la ville on a fait bien mauvaise étrenne
Celui qui leur conseilla de…
(Le texte ici est évidemment corrompu,
Le mot rime mal et n’a pas de sens connu),
Mal leur prit d’escarmoucher toute la semaine,
Plus fous et plus ignorants que blanche baleine
Avec leurs banderoles en toile vilaine,
Ils coururent vers l’armée à bout d’haleine,
Et crient des slogans, comme en champ de colza
On croit faire fuir les oiseaux en agitant les bras
Dès le matin, alors que clarté règne.

C’est alors qu’ils les lâchèrent, les Ribauds. Même si
On n’est pas ici à Pearl Harbour, ni à la baie de Tonkin,
On sait aussi bien à l’époque fabriquer l’incident,
Grâce au croisé français qui tombe du haut d’un pont
(Tiens, que fait-il là, n’essayait-t-il pas de se glisser
En douceur à l’intérieur de la ville ?). On l’embroche,
Ce qui précisément permet de sonner le tocsin,
Et puis de se prévaloir de l’entorse humanitaire,
Et c’est exactement la reproche, (c’est dans la poche !),
Que la très morale armée et son chef recherchèrent;
En sous-main on appelle le roi… pardon, des ribauts,
D’un coup quinze mille gueux sur Béziers se ruèrent.
L’inavouable n’est commis que par des gens sans aveu:
Armés de gourdins, les hautes tours démolirent,
D’imprenables murs, de grandes portes percèrent,
Puis entrées, pillèrent, tuèrent, violèrent, massacrèrent…
(Tant c’est vrai que l’inavouable n’est jamais commis
Que par gens sans feu ni lieu ?).

Li borzes de la vila viro.l crozatz venir
E lo rei dels arlotz que lo vai envazir,
E.ls truans dels fossatz de totas partz salhir
E los murs passär e las portas ubrir,
E los Frances de l’ost a gran preissa garnir.
Be sabon e lor cor que no.s poiran tenir :
Ab moster general van ilh plus tost fugir.
Les bourgeois de la ville voient les croisés venir
Et le roi des ribauts qui vient les envahir
Et de partout les mauvais garçons surgir
Pour dépecer les murs et les portes ouvrir,
Et les français de l’ost leurs armes revêtir,
Ils comprennent qu’ils ne pourront plus tenir ;
Ils courent à la cathédrale, sans pouvoir s’enfuir,
Et les prêtres et les clercs vont vite se vêtir
Pour sonner le glas, comme s’ils allaient dire
Une missa mortuorum, un mort ensevelir.
A la fin des fins, ils ne pourront plus tenir
Ni empêcher les truands d’entrer, de saisir
Maisons et richesses; chacun peut choisir
A volonté, en prendre dix, s’il lui vient à plaisir.
Les ribauts sont chauds, n’ont pas peur de mourir,
Tous ceux qu’ils voient, ils les font tuer et occire,
(On se croirait au Rwanda ou bien au Zaïre),
L’abondance de richesses, prendre et saisir…
Seront riches à jamais, s’ils peuvent les tenir ;
Mais en un temps record il leur faut déguerpir,
Car les barons de France voudront s’en revêtir,
Sans un instant de répit.

Le barnatge de Fransa e sels de vas Paris,
E li clerc e li laïc, li princeps e.ls marchis
E li un e li autre an entre lor empris
Que a calque castel en que la ost venguis,
Que no.s volguessan redre, tro que l’ost les prezis
Qu’anesson a la espaza e qu’om les aucezis ;
E pois no trobarian qui vas lor se tenguis
Per paor que aurian e pers o c’aurian vist.
Mais la raison, la vraie raison, je vous la suggère
(Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Chanson !),
C’est que les barons de France, ceux de Paris,
Clercs et Laïcs, grands princes et marquis,
Tous ont ensemble décidé qu’il en sera ainsi :
Que chaque fois que l’on résistera dans tout le pays,
Après sommation, y passeront grands et petits,
Qu’il s’agisse de château, de bourg, grand ou petit,
Ainsi plus personne ne leur montrera de mépris,
Voyant terreur régner et le pire bien appris.
C’est ainsi que les bittérois, grand mal leur en prit,
Car ils les tuèrent tous, ne pouvant faire pis,
Ne pouvaient les sauver ni autel ni crucifix
(On se croira à Paris à la St Barthélemy !)
Et ces mauvais garnements, méchants et fous,
Ont tué prêtres, femmes, enfants, assis, couchés, debout,
(Dieu reconnaîtra les siens, comme à Tsigali !)
Mais en tuer autant, au temps des Sarrasins
Je ne crois pas qu’on l’eût fait devant témoins !
(Ainsi l’auteur de cette première partie,
Laisse percer l’indignation, malgré son parti pris,
Même si la prise de Jérusalem, il l’oublie !).
Mais tout cela est la faute des gueux de Paris,
Bien sûr, tout a été le fait d’ultras mal appris !
Ce sont eux et leur roi, qui dans leur grand dépit
De devoir céder le butin, les maisons, les habits,
A tout ce beau monde, aux barons, aux marquis,
Ont décidé d'y mettre le feu, de répandre l’incendie
Par toute la ville où l’épouvante a repris
(On cite Raoul de Cambrai, ce que rien ne justifie),
Alors qu’il est aisé d’imaginer d’autres motifs,
Comme effacer les traces d'un crime, par les fautifs,
(Ce que, en se référant à ce passage alambiqué,
L’auteur de la Chanson veut peut-être suggérer).
En tout cas, on apporta des sarments pour faire un bûcher,
Le premier de la Croisade, et tout a dû y passer,
Heaumes, Gonions et casaques rembourrés,
A Chartres, à Blaye, à Édesse fabriqués,
Beaucoup de belles robes, dont on devait se passer,
Et la cathédrale même, d’un maître d’œuvre incontesté,
Dont la voûte se fendit, s’effondrant avec les murs
Sur la population à l’abri.

Senher, mot fo l’avers meravilhos e grans,
Que agran de Bezers los Frances e.ls Normans,
Que a tota lor vida ne foro mais manans,
Si no fos lo reis arlotz, am los caitieus truans,
Ils ont brûlé la ville, les femmes avec les enfants,
Les jeunes et les vieux, les prêtres messe chantant,
Habillé de leurs chasubles, en Moustier s’abritant.
Bien sûr, ce furent les gueux, misérables truands,
Et merveilleuse, immense, la richesse engloutie
Que perdirent par leur faute des gens aux noms en -y;
L’inavouable n’est jamais fait que par des gens sans aveu.
Mais on peut suspecter, suspecter, suspecter
(Le soupçon en subsistera jusqu’à la fin des temps)
Que la cause, la véritable cause, la vraie raison
De l’estranh mazel, l’étrange boucherie de Béziers
(Comme le dit si bien l’autre Guillem, Guillem du Figuier,
Dans son célèbre Serventes contre le faux clergé),
Ce ne furent ni les ribauts, ni la politique délibérée
De réduire par la terreur le Languedoc à merci
(En tout cas, pas seulement, ni en premier lieu)
Mais surtout le désir de vengeance, d’exemplarité
Contre ces insolents qui cinquante années plus tôt
Avaient osé tuer leur légitime seigneur en place publique,
Le bon vicomte Raimon, pour une histoire de droits:
Ceux de Béziers, l’écrivit dans deux chansons
Giraut de Bornelh, rendant synonymes ses habitants
De parjure, de révolte, de subversion, de crime
Et même leur paradigme.


(Fragments de Scénario I)

C'est une autoroute en plein soleil
direction sud,
direction Marignane-Vitrolles, après le croisement
de la Fare,
(là où la N.113 devient A7 ),
prise aérienne, puis plongée, et
plan continu sur
bande de motards,
descente en trombe
sur le parking de Carrefour
(gros plans de dos, de côté, de face :
cuir, casques, emblèmes farouches,
caducité des slogans.)

: puis, le braquage
à l'heure de la solde des caisses,
fusillade manquée avec les convoyeurs
de fonds
qui laisse un des leurs sur le pavé;
l'article que l'on lit
au lendemain dans un café,
coup de fil,
annonce de la nouvelle,
Face à face
avec les vigiles dans une autre banlieue
(Un matin d'été,
des causses s'envole une colombe, un chant
dans le silence, après des roucoulements, naît ).

C'est un prêtre défroqué
qui conduit le plus étrange des cortèges,
marginaux, chômeurs, travailleurs
immigrés clandestins,
habillés des haillons et des reliefs
de l'une des décharges de la Crau
: face à face
avec les forces de l'ordre
à l'entrée d'une ville
(Salon, Fos ou Miramas) ,
on leur lit l'ordre de dispersion,
mais la police se met aussitôt
à tirer des grenades lacrymogènes

C'est un très vieux
très éminent professeur spécialiste
des langues romanes
qui en pantoufles et bras de chemise
descend les marches du perron de sa villa
pour ouvrir sa boîte aux lettres;
puis, semble-t-il,
avant d’y parvenir tout à fait,
subit une crise cardiaque :
dans sa main l'on voit toutefois
un chiffon de papier (très certainement
un manuscrit médiéval).

C'est une troupe de théâtre de marionnettes
qui s'installe sur une place de village du Midi
pour jouer la Chanson de la Croisade
(En commençant par l'épisode de Muret).

Contre-plongée, panoramique volant
sur la foule, le paysage,
puis retour, flash-back
Sur le matin d'été, les causses
d'où s'envole une colombe, un chant
dans le silence, naît
après des roucoulements.

C'est, dans une cour d'école, à la tombée
de la nuit, deux adolescents
attendant le car de ramassage
qui dans l’ombre s'amusent
à compter une à une les étoiles,
jusqu' à ce que, pris de vertige,
ils en tombent dans les bras l'un de l'autre.

C'est, dans une autre cour (ou la même)
un témoin seul à la fenêtre;
puis, la soudaine vision
d'une charge de la cavalerie catalane
au bout de la ruelle avoisinante
(entrevue dans une vague fumée de feuilles).

Puis : retour au théâtre de marionnettes ;
C'est la bataille de Muret.
Panoramique sur la foule, le ciel étoilé en été;
Le Roi Pierre meurt.
On voit Alain de Roucy, Guy de Lévis, Bouchard
de Marly, etc... qui férocement exultent.

Dans un petit château perdu dans les bois
de la Montagne Noire
Une jeune femme que l’on peut supposer
très belle
revient l'air rêveur du bout d’une allée de buis
et de peupliers d'Italie
en ouvrant une lettre :
on la voit ensuite se disputer
avec un homme à l'intérieur
d'une des chambres du château,
bien qu'on n'entende leurs paroles;
l'homme en devient violent.
Ensuite, on la voit monter en voiture
( c'est une vieille 4L. )
Claquement de porte,
sac de voyage mal fermé;
elle démarre en trombe;
l'homme se précipite trop tard.

(Garsinda Comtessa…)

Elle est dite comtesse en 1006. Fille aînée de Guillelmus et d'Ermetructis. En l'absence de frère, elle hérite des vicomtés de Béziers et d'Agde. Elle épouse en premières noces le fils de Roger le Vieux, comte de Carcassonne et du Razès, qui s'appelle Raimundus et dont elle tient le titre de comtesse (une seule mention du couple, en 1007), elle en a deux fils, Petrus, dit aussi Petrus Raimundi (futur vicomte de Béziers et d'Agde et comte de Carcassonne), et Guillelmus, dont il est fait état vers 1034. Garsinde est alors remariée à Bernard d'Anduze dont elle a un fils, Bermundus (francisé Bermond), au côté de sa mère en 1029. Elle conserve le titre de «comtesse» après la mort de son premier mari.
990 : elle a bénéficié d'une « institution d'héritier», avant la lettre. Les legs en faveur de sa soeur Senegundis constituent un lot dérisoire en regard de la part qui lui est réservée.
Juillet 1006 (LN, n° 54, p. 61-62): avec le « consentement de Garsinde comtesse », de Pontius viguier et de Rodolfus, le juif Benjamin, fils d'Ebreus, vend au prêtre Isimbert un manse urbain avec solarium, cours et maisons . Le titre de « comtesse » en 1006 est une indication pour la date approximative du premier mariage qui dut se produire entre 990 et 1006.
Juillet 1007 (A, n° 327, p. 290-291) : réparation en faveur de Raimundus, comte de Carcassonne. Ce dernier et Garsinde, « comtesse », reçoivent la moitié de la tour, de l'enceinte et des fortifications d'Aumes, situé dans l'Agadès à proximité de Pézenas. Cinq signa dont ceux de Rainardus et de Salomon.
Juillet 1013 (HGL, t. 5, n° 171, c. 359-361, d'après le cartulaire de Conques, n° 18; copie Doat, t. 143, f° 94) : plaid tenu dans l'église Saint-Nazaire à Béziers pour régler le différend survenu entre Sénégonde, épouse de Richard, et la comtesse Garsinde. L'assemblée est présidée par un certain Bernard «marquis» , ayant à ses côtés la comtesse Garsinde et des boni homines, plus loin dans le texte désignés comme étant des « hommes très nobles» et des «seigneurs», à savoir l'abbé Stephanus, l'abbé Galcheron (Gualcaron), des laïcs appelés Rodlandus, Stephanus, Ricuinus, Alquier (Allarius dans HGL), Sicardus, Volveradus, et alii. Effet des dispositions testamentaires du vicomte Guillaume, le désaccord porte sur la villa de Pallas (Palaiz dans HGL), dont on sait que les revenus avaient été donnés (testament de 990) en usufruit à Arsinde, la marâtre, avec un retour post mortem en faveur de Sénégonde. Cette dernière, par la voix de Richard, réclamait la villa. Garsinde de son côté affirmait la tenir de son père et proposait des témoins. Sollicités de produire une charte, Richard reconnut n'en tenir aucune et rappela la divisio de Guillelmus « avant qu'il ne se portât au service de Dieu et de saint Pierre apotre ». L'assemblée judiciaire conseilla le compromis - « un pacte, un plaid mutuel et pacifique » -, Garsinde donnant deux cents sous à Sénégonde et à Richard, ces derniers consentant de leur coté à une charte de déguerpissement.
Décembre 1029 (G, n° 6, p. 8-9) : en présence de Guillelmus comte de Toulouse, de Frotaire, évêque de Nîmes, d'Aton vicomte (d'Albi et de Nîmes), et de nombreux nobiles viri (vingt hommes appartenant à l'aristocratie nîmoise), Garsinde, son fils Bermond, le frère de ce dernier, Almerad , fondent le monastère Saint Pierre de Sauve, dans le Nîmois, rattaché à Saint-Sauveur de Gellone. Dans cet. acte qui concerne des biensfonds de la maison d'Anduze, on ne voit pas intervenir les fils du premier mariage, Pierre Raimond et Guillaume. Un certain Roubaud figure parmi les signa.
Août vers 1034 (HGL, t. 5, n° 199, N, c. 403-404, d'après le cartulaire de Conques) : la comtesse Garsinde et ses fils, Pierre, Guillaume et Bermond, donnent à l'abbaye de Conques des biens qu'ils tenaient des parents de Garsinde, l'église Sainte-Foi, sa cour, et la villa de Vairac, situées à proximité de l'étang de Thau, dans l'Agadès. La vente, sous forme d'une donation pro anima, en contrepartie de laquelle la communauté monastique donne à Garsinde 600 sous, évoque des disparus: Guillaume, père de la donatrice, Bernard son senior (c'est-à-dire son mari) et l'aîné de Garsinde, nommé Raimond. Cet acte est le dernier rédigé du vivant de la comtesse. Elle dut mourir peu de temps après car son nom disparaît des actes attribués à ses fils.

(Merci Claudie, Claudie Amado)

(La Lettre/Avant Muret...)

La lettre est arrivée :
soudaine incursion de tourterelles qui rythment
d'un battement impair le silence
et qui éveillent
la trame des causses après la pluie
le plain-chant des causses s'étageant
où sommeille la monodie
huit siècles
un battement impair de coeur épris
s'accroît dans la montée des longues herbes
dans l'épaisseur
même des stridulations de l'été noir
dans le bleu du ciel trop bleu inexorablement bleu
d'un bleu comme
aveugle d'être sans tain
et d'être à nu
quelque chose d'inconsolablement retranché
dans le silence de l'été
soudain frappé d'inanité et d'interdit
parmi de vieilles pierres
quelque chose d'impossible à juguler
(en se roulant une bonne vieille fois
dans le sommeil gras de l'oubli ) ,
la lettre est arrivée.

Et l'Abbé de Pamiers lui-même
est venu à Boulbonne
Pour seriner à Montfort, dans un suave aparté :
« ... Ne tremblez plus, vous le voyez bien,
Ce pourfendeur d'arabes n'a guère l'esprit
A jouer de l'épée et de la lance,
Puisqu'il pense à la bagatelle... »
Mais Simon, plus sombre, en se signant,
Entre grognement et sanglot, s'est mis à genoux :
« On verra bien ce que vaut sa putain
Face à la Vierge Marie...
Mon Père, confessez-moi. »

La lettre, c’était en un bois qu’ils l'auraient interceptée
Près de Boulbon, entre Lombers et Muret,
La lettre de N'Azalaïs, la prétendue lettre
D'accueil et d'assignation d'amour
De N'Azalaïs de Boissezon à Pierre d'Aragon,
Celle-là même dont Raimon de Miraval, dépité
(L'accusant de s'être donnée au roi
«pour des chevaux et des fourrures »),
Jadis avait écrit :
« Ai ! Fals escutz, tant leu vos laissatz fendre
Qu'om de part vos non auza colp atendre ».
Ajoutant : « Dis-lui, Chanson, que j'en sais une
à vendre »....

Ce qui était fort mesquin et probablement injuste,
(Mais la loi du trobar ne stipulait-elle pas
Que pour maintenir valeur et prix
Jamais une dame preux
Ne devait aimer en amont,
Encore moins, « pour de l'argent,
Reprendre sa parole ».

Quoiqu'il en soit, on a laissé filer la lettre
(En substituant seulement le messager),
Et il est sûr que le roi n'était pas frais
Et que sur le champ de Muret il allait être
D'une inexplicable, impardonnable imprudence
(A moins que ce ne soit ce renard de Toulouse,
Qui, pour régler son compte, aurait joué double jeu,
Par une hésitation de dernière minute - querelle
Factice ou atermoiement mensonger -
Le laissant partir seul, avec ses mille catalans,
La fleur des vainqueurs de las Navas de Tolosa,
(Avec, parmi eux, ce « Miguel de Luesia «, dont
Le troubadour toulousain Vidal déclarait net
Qu'il le préférait à l'Archange: « Celui du Ciel »),

L'aurait envoyé, lui et ses chevaliers
(... pourtant le vieux jaloux Raimon aurait accepté
Finalement de le pardonner, se fendant même
D'une chanson: - al rei
Cui jois guid'e vest e pais
Qu'anc n.l trobei en biais
Qu'aital com ieu volh lo uei...
Pois er de pretz emperaire
E doptaran son escut
Sai Frances e lai Masmut...
Lui, et la fleur fringante de ses chevaliers,
Venus à la rescousse de Toulouse,
Ou pour l'amour d'une femme
... tous envoyés
A la casse dans les prés arrosés.
« Et » - dit la Chanson - « il n'en est rescapé pas un. »

Mais si N'Azalaïs le bouclier fendu est venue
Depuis sa hautaine causse de Lombers,
C'est ce que la chanson ne dit pas
(L'Histoire encore moins),
Pas plus que si c'est au fait
D’en avoir été trop heureux,
Ou au désespoir d'un rendez-vous
Manqué, que l'on doit l'inexplicable,
Inimaginable défaillance du roi...

(De notre Envoyé Spécial... )

1162 : Alliance de l'Empereur, du comte de Provence; du comte de Forcalquier contre le seigneur des Baux. Trêve entre Henri II et Toulouse.
1163 : Paix entre le comte de Toulouse, Trencavel et la Vicomtesse de Narbonne. Guerre entre Henri II et Toulouse.
1164 : Paix entre Toulouse et Montpellier
1165 : Guerre entre Génois et Pisans à Saint-Gilles. Toulouse et Trencavel prennent parti pour les Pisans, Narbonne et Montpellier pour les Génois. Paix entre Toulouse et le comte de Provence.
1166 : Mort du comte de Provence. Raimond V s'empare du comté et provoque la reprise de la guerre avec l'Aragon.
1167 : Guerre entre l'Aragon, allié au comte de Rodez, et Toulouse, aidé par les seigneurs de Montpellier et des Baux. Guerre entre Toulouse et la Savoie. Alliance entre l'Aragon et Trencavel contre Toulouse, Foix, Forcalquier et Narbonne.
1171 : Paix entre Toulouse, Trencavel et Narbonne.
1172 : Paix entre Toulouse et Montpellier. Guerre entre Toulouse et le roi d'Angleterre.
1173 : Paix entre Toulouse et l'Angleterre. Le comte de Toulouse aide Henri II contre ses fils révoltés, lesquels sont aidés par le roi de France.
1174: Alliance entre le comte de Toulouse et le vicomte de Nîmes.
1176 : Paix entre Toulouse et l'Aragon. Alliance entre l'Aragon, Nîmes, Narbonne, Montpellier et Trencavel contre le comte de Toulouse, les seigneurs d'Uzès et de Lunel.
1182 : Alliance de l'Aragon, Narbonne et Henri II d'Angleterre contre le fils de ce dernier et Toulouse.
1183-1185 : Paix.
1185 : Alliance de l'Aragon et de l'Angleterre contre Toulouse.

1188 : Alliance du roi de France et du comte de Toulouse.

1191-1195 : Paix.

A la veille de la croisade contre les Albigeois, Raimond VI exerce une influence dominante sur l’Agenais pour lequel il rend, en principe, hommage au roi d'Angleterre, le Toulousain, le Quercy et le Rouergue, le comté de Melgueil, la Terre d'Argence, le domaine direct du marquisat de Provence, celui des vicomtés de Nîmes et d'Uzès, de Millau et de Gévaudan.
Les droits du comte sont importants sur l'Armagnac, la Lomagne, l'Astarac où ils contrebalancent ceux du roi d'Angleterre, le comté de Rodez, les seigneuries d’Anduze et Sauve, d’Alès, la vicomté de Narbonne dont les détenteurs rendent hommage au comte, le Valentinois dont le comte lui rend hommage en tant que marquis de Provence.


(Un pays qui brûle...)

Le double jeu de Toulouse
se croyant le plus fin faisant flèche
de tout bois attelant l'ouragan
à ses fins personnelles
sur le damier des terres méridionales
utiliser les croisés contre Trencavel
régler, d'un jet, ses comptes avec Aragon
sur l'échiquier ancestral reprendre en main
grâce au Nord Carcassonne le Biterrois
s'en allant rejoindre les croisés à Montélimar
lui, le Raimondin qui portait en commun
avec le trobador Raimon de Miraval un nom de femme
Audiart et Trencavel lui-même
délaissant Béziers
pour venger un méfait de la populace
( laquelle 50 ans auparavant avait tué son aïeul )
au point où c'en était devenu un dicton
( ‘Ceux de Béziers’ - l'emploie dans une canso
de trobar ric Giraut de Bornelh )
puis le lâche abandon d'Aragon
sous les murs de Carcassonne
lorsqu'il n'y avait plus de doute
sur la rapacité des intentions de Simon
la trahison du jeune vicomte
qui s'était donné en otage
pour la sauvegarde de sa population
occis dans un cul de basse fosse
dit-on, pour satisfaire à une haine de femme
En tout cas, Toulouse là aussi
pris dans le filet de ses contradictions
croyant d'une pierre pouvoir faire deux coups
damer le pion à l'Aragonais rival héréditaire
rétablir l'ordre dans ses Etats
grâce à l'appui du plus fort
que Paris soutiendrait ses intérêts
tenté par ce rêve de faible
que le roi et ses barons
seraient fidèles au baratin des chartes
aux reliques et aux serments des abbayes
puis Béziers l'épouvante puis Lavaur
Minerve Puylaurens Montfort à chaque fois
plus insatiable avec le soutien du pape
qui n'était pas homme
à laisser échapper une telle occasion
de parachever la reprise en main de Rome
et pendant ce temps les faibles et les moyens
les Cabaret les Foix les Comminges
chacun cherchant à tirer son épingle du jeu
avec le moins de dégâts le maximum de profits
à tirer comme on dit la couverture à soi
à faire durer le temps de la rixe
qui leur assurerait encore une marge d'autonomie
et pendant ce temps-là un pays qui brûle
qui brûle vingt ans et plus

(Le Temps des Orages…)

Montfort, déjà investi par le Pape des domaines Trencavel réussit à se faire adjuger les possessions du Comte de Toulouse à l'exception de tout ce qui se trouve à l'Est de Béziers. II met pourtant la main sur Nîmes et tente de s'en justifier en extorquant en Mai 1214 un désistement en sa faveur de l'ancien Vicomte Bernard Aton VI qui n'y avait plus aucun droit depuis presque trente ans !
Continuant ses conquêtes, Simon de Montfort s'empare du Rouergue
où la Maison d’Anduze a pas mal d'intérêts; peut-être pense-t-il alors la
ménager, car, au lieu de donner la garde de ce château à l'un de ses chevaliers du Nord comme d'habitude, il la confie en commun à l'évêque de Rodez et à Pierre-Bermond VI (4Z). Déodat, d'ailleurs, le récupèrera quelques années plus tard.
Malgré cela Pierre-Bermond VI ne craindra pas de se mettre en travers
des ambitions de Simon de Montfort.
Comme le rapporte Léon Ménard «le concile assemblé à Montpellier au
mois de janvier de l'an 1215, ayant donné provisionnellement à Simon de
Montfort la possession des domaines du Comte de Toulouse et de tous les pays dont les croisés avaient fait la conquête...», il était temps d'intervenir d'autant plus que le Comte, toujours absent de ses états, n'arrivait pas à défendre ses droits auprès du Pape; et il faut ajouter que, de sa quatrième épouse Jeanne d’Angleterre, il avait enfin un fils.
Pierre-Bermond aurait envoyé à ce sujet au Saint-siège une lettre qui
dût l'embarrasser car elle n'eut pas de réponse. Alors il fait le voyage à
Rome pour expliquer les droits de sa femme Constance :
Si Raimond VI doit être déchu de ses titres, c'est sa fille Constance sa
seule héritière légitime, car le mariage avec Béatrix de Béziers, toujours en vie, n'a jamais été cassé; l'union du comte en 1195 avec sa cousine
Jeanne, fille d'Henri II Plantagenêt, forcément n'avait pu obtenir, non plus, la dispense nécessaire; donc leur fils Raimond était sans aucun droit...
Ces arguments indiscutablement inattaquables étaient sans doute très
peu agréables au jeune Raimond et à son père... Mais n'y avait-il pas un
accord secret entre Sauve et Toulouse pour une solution provisionnelle ?
Car ces arguments ne devaient pas plaire du tout, non plus, à Simon de
Montfort
Ces arguments n'eurent pas de conclusions : Pierre Bermond VI est
mort au cours de son séjour à Rome, subitement... secret d'État ?
Pierre-Bermond VI et Constance de Toulouse/Béziers avaient eu six
enfants dont Pierre-Bermond VII qui succéda à son père; mais en 1215
donc, il n'a que 12 ans et c'est son grand-père Bernard VII toujours vaillant qui reprend les rênes jusqu'à la majorité du jeune seigneur de Sauve. En fait, durant les sept à huit ans qu'il lui reste à vivre il va former son petit fils à la sage politique ancestrale qui a fait la force de la maison d’Anduze et Sauve, dans sa fidélité au Comté de Toulouse..., pas aveuglément au comte.
Pour l'heure, les empiètements en toute impunité de Simon de
Montfort sont très préoccupants et certains se hasardent au double jeu
avec lui, tel Rostaing de Posquières-Uzès qui lui fait allégeance en Avril
1215 pour garder son château de Vauvert.
Son voisin, mais de l'autre côté du Vidourle, le seigneur de Lunel,
malade, termine sa vie dans l'inquiétude des lendemains incertains car son héritier désigné est jeune. Alors son long testament se termine par cette déclaration : «Je laisse Pons-Gaucelm mon fils et tous mes enfants, les tuteurs et curateurs et tout mon territoire et mes gens sous la protection et la garde et le soutien de mon seigneur Pierre-Bermond».
II s'agit de Pierre Bermond VI qui fut présent le 4 Juillet 1215, peu avant
son départ pour Rome, à la publication de ce testament, avec son père
Bernard VII d’Anduze. Celui-ci étant d'un âge avancé, plus de 60 ans, il
était plus logique que son fils fut désigné comme protecteur, mais il est per¬mis aussi d'y voir un autre indice du lien de vassalité de Lunel exclusive¬ment envers le seigneur de Sauve.
C'est juste un an plus tard, en Juillet 1216 que le fils du Comte de
Toulouse revenu avec son père par la Provence, reprend Beaucaire avant
de poursuivre sur toutes les places conquises par Simon de Montfort. Celui¬-ci pourtant se maintient à Nîmes, doit finalement s'emparer de Posquières et de Bernis dont plusieurs habitants sont pendus. On est alors surpris de voir deux personnages passer dans son camp : en 1217; son fils Amaury de Montfort reçoit le serment de fidélité de Raimond Pelet co-seigneur d’Alais et Bernard VIII frère de Pierre-Bermond VI en fait autant; peut-être par dépit d'avoir été jadis peu favorisé par son père? Peut-être aussi ne croient-ils plus à l'étoile de Toulouse ?
Pour l'instant ils se trompent car on le sait le 25 Juin 1218, Simon est
tué devant Toulouse reprise et son fils, obligé de battre en retraite, ne va
pas montrer les valeurs militaires de son père.
Raimond VI de Toulouse enfin respire et il va pouvoir s'appliquer à
régler le différend avec sa fille Constance d'autant plus que la mort de son gendre à Rome a fait courir des bruits qui ne sont peut-être pas étrangers aux défections dans la famille d’Anduze. Cette même année 1218 à Perpignan il rencontre son petit-fils Pierre-Bermond VII à qui il donne un château en Rouergue, une forte somme d'argent, la suzeraineté sur les ter¬res de Raimond Pelet co-seigneur dAlais et la domination sur celles de son oncle Bernard VIII.
En contrepartie de ce traité Pierre Bermond VII fait serment au comte
de Toulouse, son grand père «de le servir envers et contre tous, excepté
contre le Pape et le Roi de France à moins qu'ils refusassent de lui faire jus¬tice».
Le serment s'appliquait aussi au fils du comte, Raimond VII qui confir¬ma le traité, et qui prend en main de plus en plus les affaires de Toulouse, continuant à refouler Amaury de Montfort. Ce dernier, en 1220 eut enco¬re le temps de rédiger un acte dépossédant Pierre Bermond VII de sa part sur Alais pour la donner à l'oncle Bernard VIII. On ne sait pas trop ce qu'il en a été sur le terrain mais cet imbroglio familial ne va pas durer.¬
Après le Comte Raimond VI subitement décédé en 1222, c'est le tour
du vieux grand-père Bernard VII en 1223 de mourir non sans avoir redis tribué ses domaines, c’est-à-dire que Pierre Bermond VII le nouveau chef
de famille a presque tout, mais des deux autres petits-fils, Raimond a Florac et un quart d'Anduze, tandis que Bermond devient co-seigneur de
Sommières.
Cette même année 1223 est mort aussi le roi Philippe Auguste qui n'a¬vait jamais voulu s'impliquer dans la croisade contre les Cathares et contre son cousin le Comte de Toulouse. Son fils et successeur Louis VIII est marié depuis 1200 avec Blanche de Castille.
Celle-ci, femme énergique et dominatrice, sous l'influence de son
grand ami le Cardinal de Saint Ange, légat du Pape, pousse son époux à
reprendre la guerre contre le Comte de Toulouse qui laissant se dévelop¬per le catharisme voit l'agitation se refaire contre lui chez les évêques.
Malgré ses dénégations Raimond VII est excommunié et le roi se voit offrir un prétexte de plus à envahir ses terres par Amaury de Montfort qui vient de lui céder tous ses «droits» sur les conquêtes de son propre père... qu'il s'est avéré incapable de conserver.
La croisade est donc repartie avec une forte armée et en Juin 1226, le
roi est obligé d'assiéger Avignon pendant trois mois et demi à la suite
d'une mésentente sur la traversée du Rhône par l'armée.
Ce délai est mis à profit par Louis VIII pour recevoir la libre soumission
de plusieurs villes inquiètes du rapport des forces : Nîmes et les Chevaliers des Arènes, puis Beaucaire. De même de nombreux seigneurs viennent devant Avignon faire acte d'allégeance, seule attitude raisonnable pour l'instant; et Pierre-Bermond VII en fait autant dans l'été 1226 reconnaissant tenir du roi tous ses domaines d’Anduze, Sauve, Alès, etc., sauf ceux qu'il détient en fief de plusieurs évêques.
C'est dans les semaines suivantes que Jean Germain situe une aventu¬re romanesque entre la reine Blanche et Pierre-Bermond... du moins selon une légende.
Louis VIII alors, pour asseoir la domination royale, installe un «Sénéchal de Beaucaire et Nîmes», sorte de gouverneur pour toute la région, soit les diocèses de Maguelone, Nîmes, Uzès, Viviers, Mende et Le Puy. Le cheva¬lier Peregrin-Latinier fut le premier sénéchal.
Le roi ensuite continue sa promenade militaire et nomme un autre
sénéchal à Carcassonne.
Mais le roi est malade et en butte à un complot de grands seigneurs ;
il renonce à attaquer Toulouse défendue par Raimond VII allié au Comté
de Foix. II doit repartir vers le Nord et meurt à Montpensier le 3 Novembre 1226 après avoir confié la régence à Blanche de Castille, car leur fils Louis IX n'a que douze ans, et la suite des opérations militaires à Humbert de Beaujeu.
La reine mère. usant de la ruse tient tête aux complots alternés de sou¬missions, des comtes de Champagne, de Bretagne, de Lusignan, ainsi qu'à Henri III Plantagenêt leur allié; cette ligue s'effrite donc, et Raimond VII de Toulouse qui s'y était joint se retrouve seul et préfère traiter. Après plusieurs mois de discussions à Meaux, le 12 Avril 1229 à N.D. de Paris, le comte reçoit l'absolution de son excommunica¬tion, mais dans son traité avec le roi, lui céda le duché de Narbonne, les comtés particuliers de Narbonne, de Béziers, d’Agde, de Maguelonne ou Melgueil, de Nîmes, d'Uzès, de Viviers; tous ses droits sur ceux de Vêlai, de Gévaudan et de Lodève, une partie du Toulousain, le vicomté de Gévaudan ou de Grezes.
Raimond VII garde donc Toulouse, le Rouergue, l’Agenais, le Quercy et
en partie l'Albigeois. Par contre le Marquisat de Provence était cédé à la
Papauté, et deviendra le Comtat Venaissin.
Enfin ce rude traité prévoyait le mariage de Jeanne, l'unique enfant
qu'a eu le comte avec Sancie d'Aragon en 1220, avec Alphonse, frère du
roi ce qui, étant donnée leur jeunesse, n'interviendra qu'en 1237.
Depuis la soumission au roi, il semble qu'on soit sur les terres de la
famille d'Anduze-Sauve en bonne intelligence avec le sénéchal Pérégrin¬
Latinier qui d'ailleurs n'intervient pas dans l'autorité et la justice des seigneurs de sa sénéchaussée. On dut même vivre une bonne décennie tranquille surtout après 1229. Pierre-Bermond VII pouvait se dire fidèle à la fois à son serment de 1218 au père de Raimond VII comme à celui de 1226 au roi, en restant neutre dans le dernier conflit du Comte, mais il a dû trouver très sévères les conditions du traité, et son atti¬tude va changer.
Entre-temps on peut le voir toujours s'occuper de ses mines d'argent et
de cuivre puisqu'il accorde en 1228 des privilèges aux mineurs, habitants
de la terre d'Hierle. Cela s'est passé à Ganges et pour leur application s'en¬gagent aussi «son frère B. Trencasers et P de Leques son Bailli» (4).
Enfin en 1229 Pierre-Bermond VII épouse Josserande de Poitiers dont
il aura trois garçons et deux filles.
Josserande était une des filles dAymar III d'Angoulême et de Philippa
de la Voulte - une voisine de l'évêque de Viviers. Mais Josserande a pour
soeur Isabelle veuve du roi Jean-sans-Terre, et mère d'Henri III roi
d'Angleterre depuis 1216. C'était donc en apparence, pour le seigneur
d'Anduze-Sauve, un très beau mariage. On imaginerait volontiers qu'il fut favorisé par le comte de Toulouse dont on connaît les alliances et qui sou¬haite sans doute ramener son cousin Pierre-Bermond dans son camp. C'était un engrenage dangereux...
La tourmente et la foudre
Le seigneur d Anduze et Sauve qui vient de monter d'une marche dans
le concert des grandes familles, va se trouver entraîné dans la grande poli¬tique. La croisade contre les Albigeois est passée depuis longtemps sans mal pour ses gens et ses terres; plus au Sud pourtant, reprise en mains par les sénéchaux, se poursuit la traque contre les cathares qui abandonnant leur non-violence se livrent à la guérilla. Le Pape a envoyé vers eux des Dominicains mais leurs prêches ne suffisant pas, il les charge «d'enquêtes» et c'est le début vers 1234 de «l'Inquisition» de sinistre mémoire.
Le comte Raymond VII essaie bien d'en atténuer les effets mais il a d'au¬tres préoccupations qui l'opposent au roi Louis IX. II a toujours des visées sur la Provence auxquelles le roi met un coup d'arrêt en 1239. Celui-ci en effet a épousé en 1234 Marguerite fille de Raimond-Béranger de Provence. Or il y a deux autres héritières et Raymond VII voudrait fort avoir enfin un fils qui remettrait en question le traité de 1229 quitte à répudier Sancie d'Aragon, et il complote avec le roi d'Aragon... neveu de Sancie.

1240 est l'année où Trencavel fils de l'ex-vicomte de Béziers a lancé son expédition arrêtée sous les murs de Carcassonne. Le comte de Toulouse en est resté prudemment à l'écart... mais Pierre-Bermond VII y aurait apporté son aide.
Enfin en 1241, Alphonse, frère de Louis IX et donc gendre de
Raimond VII, est officiellement nommé comte de Poitou et dAuvergne, ce qui ne plaît pas du tout aux grands seigneurs de l'Ouest et entre autres à Hugues de Lusignan comte de la Marche mais surtout à la comtesse; celle¬-ci était justement Isabelle qui, à la mort de Jean-sans-Terre, avait épousé le comte Hugues: il avait été son premier fiancé...
II se crée donc une puissante ligue où entrent le fils d'Isabelle, Henri III Plantagenêt qui considère que ces terres lui sont usurpées, le roi d'Aragon circonvenu par le comte Raimond VII , qui lui-même entraîne avec lui ses vassaux Pierre Bermond VII et le seigneur de Lunel Raimond-Gaucelm V entre autres.
Harcelé par sa chère Isabelle mais conscient du faux pas, Hugues de
Lusignan refuse toujours l'hommage à son nouveau suzerain Alphonse. Alors, le roi lui-même envahit, en avril 1242, les domaines du beau-frère de Pierre-Bermond VII.
Celui-ci, on s'en souvient, avait fait serment en 1218 au comte de
Toulouse de le servir envers et contre tous, excepté contre le roi de France à moins qu'il refusât de lui faire justice...
Sans doute estima-t-il que cette réserve concernait aussi la famille de
son épouse et le déliait de son hommage-lige de 1226 au roi ? En fait, le roi lui tiendra sévèrement rigueur de son entrée dans la ligue.
En attendant, la ligue s'organise mais avec retard dû, semble-t-il, au fait que Raimond VII est tombé gravement malade en Mars; et ce n'est qu'en Avril, alors que Louis IX a lancé son offensive, que le comte charge son connétable Raimond-Gaucelm de Lunel de décider les vassaux à prendre les armes. En Mai, le roi Henri III débarqua ses troupes à Royan, mais la jonction des ligueurs ne se fera pas et Louis IX va successivement battre le roi d'Angleterre en Juillet à Taillebourg sur la Charente, et puis à Saintes, contraindre Hugues de Lusignan et Isabelle à se rendre et demander leur pardon.
Henri III d'abord replié sur Bordeaux se rembarque vers l’Angleterre non sans avoir encore signé une autre alliance avec Raimond VII, inutile car il va conclure une trêve de cinq ans avec le roi de France..
C'est alors que le nouveau sénéchal de Beaucaire et Nîmes, Oudard de
Villars, en Avril de cette année 1243, reçut une charte du roi Louis IX lui ordonnant «d'assigner six cents livres tournois de rente annuelle à Pierre Bermond, seigneur dAnduze, sur le pays d'Hierle et sur le château de Roquedur, à condition que Bermond les tiendrait, ainsi que ses héritiers, en hommage lige».
Le comte de Toulouse, [quant à lui], comprenant qu'il n'a rien à en attendre et atta¬qué par ailleurs en Quercy par les troupes royales de Humbert de Beaujeu, en conclut qu'il n'a plus qu'à aller à nouveau rencontrer le roi. Et c'est en Janvier 1243 à Lorris en Gâtinais qu'est signé un traité confirmant le pré-cédent et où il s'engage à la soumission de ses vassaux.
Cette fois, c'est vraiment la fin de la domination quatre fois centenaire de la Maison de Toulouse sur le Midi.
A Lorris, le comte était accompagné de son fidèle connétable Raimond¬ Gaueelm qui fit aussi sa soumission et moyennant promesse de démante¬ler ses dernières fortifications, s'en tira très bien et garda sa baronnie de Lunel.
Mais Pierre-Bermond VII d Anduze et Sauve n'est pas allé à Lorris, et n'a pas l'intention de répondre aux injonctions du pouvoir. Par fierté, pense-t-on, et c'est très vraisemblable : en remontant jusqu'aux temps Wisigothiques, on n'a jamais vu un seigneur d’Anduze devoir s'humilier devant qui que ce fût...
Cette maison avait toujours été pour celle de Toulouse une alliée solide, y
compris en affichant quelquefois son indépendance face à des écarts de conduite de ses comtes, et ceux-ci l'ont respectée.
L’emprise totale du pouvoir royal sur le Languedoc est maintenant irré¬versible et pour l'heure, Pierre-Bermond VII sait bien que ses prises de posi¬tion ont accumulé de graves ressentiments à la cour où la reine-mère, sur¬tout, entend régler ses comptes.
Le roi se réserve aussi d'en détruire les fortifications qu'il jugera utile et défend d'en faire de nouvelles sans autorisation.
«II fut, de plus, fait défense à Bermond d'entrer, lui et ses héritiers, sans son consentement, dans les châteaux et villes d'Alais, d'Anduze, de Sauve et de Sommières que le roi venait de lui confisquer et d'unir en partie au domaine royal»... ainsi que bien d'autres de ses possessions en Cévennes.
Enfin le roi se réserve «sur les terres assignées quarante cinq marcs d'ar¬gent du poids d'Hierle, payable tous les ans»...
La terre d"Hierle était, avec ses minerais, une des plus anciennes possessions des seigneurs d'Anduze.
A 40 ans, Pierre-Bermond, qui n'avait plus évidemment les bénéfices de ses ateliers monétaires, allait donc devoir réduire considérablement son train de vie et ses libéralités.
Profitant de ces derniers conflits, les Cathares excédés par les abus des religieux inquisiteurs, se sont déchaînés jusqu'à en massacrer un groupe près de Castelnaudary. C'est ce qui décida le sénéchal de Carcassonne à forcer leur principale place forte, le château de Montségur qui dût capituler le 3 Mars 1 244 et où deux cents «parfaits» irréductibles dans leur foi furent brûlés vifs au pied de ce nid d'ai¬gles sur le «Prat des Cremats». Ce n'est pourtant qu'en 1255 que leur der¬nière place tombera, le château de Quéribus.

Epilogue

Bërmond, malgré l'éviction de son frère aîné, reste co-seigneur de
Sommières.
Or en Août 1248, le roi Louis IX, partant pour sa première croisade en
terre Sainte, vient s'embarquer au port d'Aigues-Mortes. II entend déve¬lopper le port, la ville, et assurer ses arrières pour l'avenir.
Alors, en attendant le départ, «il fit un échange avec Bermond de
Sommières, daté du même mois. Par cet échange, Bermond céda au roi la ville de Sommières, avec la tour du château qu'il avait autrefois remise pour un temps à son sénéchal de Beaucaire, Peregrin Latinier, le château de Calberte avec toutes ses appartenances et les domaines qu'il possédait dans la vallée de ce nom. Le roi lui donna en échange le château du Cailar et toutes ses dépendances.»
Et puis, dans la foulée, Louis IX fit avec l’Abbaye voisine de Psalmodi,
l'échange de terres sous les murs de Sommières en contrepartie du terri¬toire où se trouve Aigues-mortes.
Le pouvoir royal possède désormais son propre port sur la Méditerranée, protégé de l'intérieur par sa place forte de Sommières... en attendant les fameux remparts.
En 1249, Raimond VII meurt à Millau, sans avoir eu de fils. Dès lors,
comme prévu au traité de 1229, sa fille Jeanne et Alphonse son mari, frère du roi, héritent du comté de Toulouse.
Par contre, les efforts pour récupérer la baronnie de Sauve restèrent vains. D'ailleurs, sans doute pour ôter à la famille tout espoir de retour dans les murs ancestraux, le roi avait ordonné que le châ¬teau d'Anduze soit complètement rasé, ce qui fut fait en 1256.
II ne reste de ce «château vieux» que des pans de murs et les salles bas¬ses du donjon initial, par la suite transformées en prisons.

(Merci Pierre Gaussent de Lunel, merci)

(Scène d’Ouverture…)

Lawrence Durrell : Good Heavens ! What is it?
Who goes there? I mean… Qui va là?
Ne peut-on laisser tranquille
Un pauvre fantôme littéraire
Qui a trop aimé ces terrasses de café,
Ces quais, ces ruelles qui sentent le pipi de chat,
Ces caves aux relents de Vidourlades successives
Et de feuilles de figuier sèches
- Et qui peut enfin y passer inaperçu ! –
Pour ne pas avoir envie d’y errer,
Pour ne pas revenir s’y promener
De temps en temps, de préférence
Quand le monde dort, pour n’effrayer personne ?
Who are you? I mean… Am I dreaming?
Es-tu peut-être un de mes propres personnages,
Quelqu’un que j’ai inventé, puis oublié,
- Dans Le Quintet d’Avignon, for example -
Et qui est revenu ce soir pour se venger ?
Je sais bien que je me suis quelques fois pris
Pour un petit fonctionnaire de Bas-Empire
Entrain de se noyer dans le pastis
En rêvant de la lointaine Campanie,
Mais vraiment, really… cette dégaine hirsute,
Ces chausses, cette armure, cet air ahuri
Un brin attardé, de hurluberlu
Tout à fait moyenâgeux
Cela détonnerait même ici…
Même au Bodegon, un jour de marché…
Du calme, assied-toi un peu, relax,
J’attends mon vieux copain Demonax
Et sa belle compagne Cunigonde.
Tu connais leur célèbre aphorisme :
‘Personne n’a vraiment envie du tout
D’être mauvais… Alors, pourquoi ?’
Rejoins-moi sous ces voûtes, sur cette terrasse,
Ils doivent avoir de ce bon Pic St Loup
Ou autre Coteaux du Languedoc (râpeux,
Et tanniques comme les aimaient
Frédérique-Jacques, Richard and, of course, Henry),
Viens, assied-toi… Tell me, entre fantômes,
My friend, qui es-tu ?

Bermond :
Me voici à nouveau au soleil d’hiver
Qui recommence la carrière de sa jeunesse
Dans les éblouissantes prémices de l’année,
Au pied de ma Tour Bermonde,
Entre deux époques,
Entre deux vies,
Entre deux hypothèques,
Entre deux dames,
Entre trois pays,
Entre deux années,

Qui grelottes un peu et m’appuies
En chancelant sous les coups bas

Contre de vieux murs oubliés,
Contre un rêve de dissidence défait
Seulement dans les années 1240
Environ, avec la soumission
De Pierre-Bermond, mon aîné,
Seigneur d’Anduze, Satrape de Sauve,
Défenseur à ses heures
De la Lex Wisigothorum,
Semence d’Arien, de cathare
Et d’une lignée qui refusa déjà
La chasse aux Juifs, la conversion de Récarède,
L’imposition du rite de Rome à Tolède
(Dixit Sidoine Apollinaire)
Cinq ou six siècles plus tôt,
Et pris fort mal les ingérences
De Charles Martel, Maire d’Austrasie
- Pierre-Bermond VII de Sauve-Anduze,
Allant à Canossa en Avignon,
Le cousin du comte de Toulouse,
Le beau-frère du Plantagenêt,
Le dernier appui des Trencavel,
Ce dont personne ne se souvient.

Moi, son petit frère, je m’appelle
Bermond, moi aussi, du nom dynastique
Qui remonte au-delà de l’arrière-grand-père,
Du fils de Garsinde, comtesse en noces,
- Car elle épousa en premières noces
Un comte de Carcassonne et du Razès -
Moi, Bermond de Sommières,
Si j’ai eu un peu plus de jugeotte,
Si j’ai su un peu mieux m’en tirer,
En troquant mon château et ma tour
Contre le Cailar sur la colline d’en face,
Et en me rangeant tête basse
Face aux exigences du Sénéchal,
Cela ne tourna guère à mon avantage.
Mes terres, le roi me les a confisquées,
Puis troquées contre les salines de Psalmodi
Afin de pouvoir construire son Aigues Mortes.
Moi, non plus, je n’ai guère d’assiette,
Ni bien au soleil, ni vignes, ni terres
A faible rendement en piquette
A revendre aux grandes enseignes
Pour l’arrogante occupation des Marques
Qui découpent aujourd’hui le pays d’oc
En lotissements, ronds-points, parkings
Pour la nouvelle classe des vainqueurs
Aux dents longues, mais à la mémoire courte
Qui croient bien tirer leur épingle du jeu
En délocalisant à grande vitesse
Avec le butin de l’inégalité croissante
Et changer de vie côté sud
Grâce au mitage pavillonnaire
En espérant échapper aux sub-primes,
S’emparer des vieux patrimoines
A coups de crédit jusqu’au cou
En faisant rimer 4/4 et Cac 40,
Puis couper court à la redistribution
En supprimant les droits de succession
Pour regarder le paysage de haut
En gas-guzzler assoiffée de brut
Aux noms de guerre plus ou moins déclarée
Comme Commander, Patrol, Frontera,
Pour filer d’exurbia en grande surface
En attendant les nouveaux murs,
Les nouvelles caméras de surveillance,
Les nouveaux périmètres de sécurité,
Nouvelles Zones Vertes, nouveaux Gaza,
Nouveaux Texas, nouveaux Mellila
Pour parquer les RMIstes en fin de droit,
Les badauds, les contestataires, les poètes,
- Chômeurs, retraités, demandeurs d’asile
Qui encombrent les bars, les bancs publics.
Tandis que moi, bien qu’abattu
Par la cupidité, l’orgueil, la mauvaise foi,
La haine, la meilleure haine qui soit
D’une engeance sans foi ni loi,
Sans culture et sans repères d’amour,
Je rassemble ici les membres épars
D’un héritage moins funeste
Et me prépare à vivre sous la grêle
En me disant bien qu’il doit se trouver
Encore un chemin de travers ou deux
Dans le lit du fleuve ombrageux
Quelques abrivados intempestifs à venir,
Alors qu’en effeuillant l’album du désir,
Parmi tant de belles indomptées
C’est sur ta page que mon doigt s’arrête
Toujours, même partie encore une fois
Au leurre des Mille et Une Nuits.
Je tiendrai ferme le pas gagné
De la parole de vérité chère payée
Et de la reconnaissance de la valeur
Sans contrepartie immobilière
Et je t’attendrai au pied du mur
Pour le combat de lucidité
Qui nous attendra dans les temps à venir,
Moi, le combattant de l’immatériel,
Toi, l’amoureuse de l’impossible.
Je trouverai le moyen de rester debout
Et suivre ce chemin jusqu’ au bout
Sans que l’inconstance me mette à genoux.
Je trouverai ma voie dans le lit du fleuve,
Je trouverai ma voix dans le lit du poème
Entre deux mondes,
Entre deux vies,
Entre deux hypothèques,
Entre deux dames,
Entre trois pays,
Entre deux années…

Lawrence Durrell: Allons, come on, old boy,
Tout n’est pas tout de même si sombre.
Je sais ce que c’est l’oubli, d’être accusé
De crimes qu’on n’a pas commis, ou pire encore
De celui d’être resté fidèle à soi-même,
De ne s’être pas compromis… Assied-toi, l’ami,
Sit down, old boy, buvons un verre de rouge ensemble.
En vieux hérétiques, trinquons à un monde
Sinon meilleur, au moins moins plat et mauvais,
Parmi tous les mondes possibles….

(La Dame de Penne...)

« Amors, no.m posc partir ni dessebrar», chante
Dans une canso restée célèbre,
Le trobador de la fin du douzième siècle,
Raimon Jordan de Sant Antoni :
« Pero ben sai que.l partirs me demora ».
(Amour, ne puis partir ni me sevrer
Bien que je sache qu'il ne me reste plus qu’à partir)
Amoros sui et amoros serai
E conosc ben que per amor morrai,
Eges per tan d'amor no.m posc partir,
Si ben conosc mon viure e mon morir.

Le soir de leur rencontre,
elle lui dit à l'heure du congé,:
« Je suis née amoureuse, j'aime depuis
que je suis venue en cette vie»
(Ca, c’est moi qui l’ajoute )
Avec ce regard franc, entier

Trois jours plus tard, elle avait son poème
Et en brûlait le parchemin en cachette
Deux heures après,
l'ayant déjà par coeur.
Ce n'était guère difficile pour son messager
de trouver le chemin inverse
En remontant les gorges boisées
jusqu'à Saint-Antonin.....

... Ce regard. ni tout à fait
d'homme
ni de femme, mais
Bien de qui a revêtu quelque chose
de la beauté de ce qu'il (elle)
contemple,
Ni d'homme ni de femme, et pourtant...

Ainsi allait-il musardant sur un cheval
Le Raimon-Jordan, se rappellant
Peut-être tel archange sur un chapiteau
Du grand parvis de Saint-Gilles
Qui, le regard perdu, dans le ravissement
Contemplatif, embroche le vieux serpent
sans même le voir....
Regard sans méchanceté et sans haine,
Et surtout sans fausse pudeur qui plonge
dans la Beauté sans fond
(Hiérarchie sur hiérarchie du ciel de l'Amour,
Qui n'a pas de hiérarchie,
Aile sur aile...).

Etait-elle ainsi la dame de Penne (fictivement
nommée Azalaïs au siècle dernier ),
Marquée pour et par la passion, l'amour
spirituel et charnel, les deux à la fois,
Pour et par la beauté la plus haute, la plus risquée
celle de l'impair et de l'indécis,
celle de la trouble simplicité des âmes élues ?
Toutefois:
« Com hom e mar quant se sent perilhar
Que dins son cor sospir'e dels olhs plora
E contra.l vent non pot nul genh trobar,
Ni nol ten pro, si bes get l'ancora »

Ainsi rimait fiévreusement, rien que pour elle
le poète seigneur du Bourg Voisin :
‘Comme homme en mer quand il se sent perdu’ :
S’en breu ab vos non posc merce trobar
L’amors que.us ai m’aucira en breu d’ora,
Car de bon sen et de fin cor verai
Vos am, domna, trop melhs que dir no.us sai
(L'amour de vous me tuera en un rien de temps
Car d'esprit sain et d'un coeur vrai et pur
Vous aime, dame, bien mieux que je ne sais le dire,
Car le coeur, l'esprit, le savoir et le rêver
Tous les ai en vous, de rien d'autre ne me soucie...)

... Tournant en rond entre quatre murs,
en oubliant le manger et le boire,
Faisant apprendre à son jongleur (et même¬
arranger de ci et de là,
Aux entournures, une rime, une cobla
de sa nouvelle canso).

Toutefois est-il qu'ils allèrent se retrouver,
chevauchant en grand secret,
Un mois plus tard dans la forêt de la Grésigne
( maintenant il m’en souvient )
A peine un mois plus tard, au temps pascal,
Il lui récita sa canso dans une tourmente
de mouches, ( et les chevaux
de s'en aller, brouter, s'en aller
A la longe comme ils le voulaient... ) ,
Tandis qu'elle, la dame de Penne, restée anonyme,
lui parlait peut-être déjà du salut, et
peut-être de l'Eglise des purs,
De la Bête écarlate, de l'approche de l’Immonde...
Et il en était à ce point troublé qu'il en oublia
Aussi bien le temps, le lieu, l'orgueil du lignage,
Et lorsqu'elle voulut s'en aller, se jetant
à ses pieds, agrippa ses mains, ses genoux,
baisant bêtement l'ourlet de sa robe.... ..

Et qui sait ce qu'il en advint alors, n'est-ce pas ?
Et si je me souviens du scarabée
géant sur la main qu’elle lui laissa,
Et de ce qui donnerait tant de fois raison
à Plotin, Plotin d'Alexandrie
Lorsqu'il dit que la beauté grande n'a pour ainsi dire
rien à voir avec la symétrie.
Mais ce que nous savons, (croyons savoir, en tout cas ),
c'est bien la suite :
Elle est écrite en toutes lettres dans
la Vida d'Uc de Saint-Circ :
Comment il en advint qu’un jour Saint-Antonin
s’étant fait donner pour mort
Sur un champ de bataille - sombre rixe à propos de redevances,
de dîmes ou de péages,
Orgueil de lignage ? - Celle dont nous ne savons toujours
le nom (mais qui fut néanmoins
Semble-t-il, bien l'auteur de cette chanson-diatribe
qui pour la première fois dans l'histoire
Voit une femme prendre ouvertement fait et cause
pour la défense des femmes
- Et que les manuscrits ont sans doute à tort
attribuée
A Raimon-Jordan lui-même)
Celle que la Vida se contente d'enregistrer
Comme : ‘La Molher d'En R. Amielh de Pena d’Albiges’ ,
De cette annonce malencontreuse, fatale, précipitée
D’une mort qui par la suite s'est révélée
entièrement fausse
A conçu ‘telle douleur’/Ac tal dolor que
s'en rendet als pataric,
Qu'elle s’est rendu, a rejoint, est entrée chez,
s'est convertie aux, ‘patarins’
(Autrement dit, qu'elle s’en est faite
sur le champ cathare....)

(Raimbaut d'AURENGA: car vei que clars…)

I
Lorsque les clairs
chants surgissent
des auzels (oiseaux), leur frémir
m'est si doux et bon à ouïr
que je ne sais plus comment vivre
sans chantar, per qe commenz
une chanson petite vive.

II
Soleil blanc clair
vois-je darder
implacable, dur, sec et brûlant
et me brise mes beaux élans.
Mais la nostalgie vive
d'un noble joy, mû par désir,
m'extirpe des flasques envies.

III
Ges no m'es clar
ni ne m'esquive
ce joy, aux soupirs qui ne pèsent,
et ne sais jamais si mes dires
m'avanceront ou me nuisent; je crains
de trop longtemps ainsi vivre
d'un amour qui tient moitié vivant.
IV
Mon coeur est clair
et il s'afflige !
Ainsi ,vais-je mi sombre-joyeux,
plein-et-vide de beaux élans;
car l'une moitié est vive
et l'autre s'use en tourment
d'un désir et mort et vivant.

V
Un clair désir qui
me brûla incite
A quitter toute réserve !
Mais la peur que je montre,
Vaut d'avantage à l'homme qui vit,
que court plaisir; la terreur
se tempère d'attente vive.

VI
Vostr’amics clars
ne vous essaie,
Dame, ni ne se montre,
bien qu'en vous est sa pensée.
Il ne sait si lui êtes vive
ou fermée ! Le secret
l'éloigne, car plus ne sait vivre.

VII
Que non es clars
quoiqu'il le jure,
L'ami- ou ment habilement -
qui n'a cette peur ; le martyre
Doit lui être moins dur que vivre !
L'on n'aime, à la vérité,
sans une grande terreur vive !

VIII
Ah! Noble claire !
Res Veraia !
Dame que pitié me secourt,
si, de moi-même, ne suis habile
Pour savoir, de vive folie,
dire mon désir ; mais attendre
ne me nuira, si me voulez vif !

IX
Dame, être meilleur qui vive !
De loin sans feu m'incendiez
Et faîtes vivre mon désir !

X
Ah, douce, désirable, vive !
Que mort vient me surprendre
Si no.m das socors com viva !

(A Lombers/ Azalaïs…)

La chose immense de l'été est là.
Un épervier fait de lents cercles sur la crête
entre Dadou et Agros
Et nous avons demandé des nouvelles
à la sauterelle,
si elle connaissait encore
‘cubertz entresens’, le langage des entendedors
mais il n'y restait plus,
à Lombers, qu'un conciliabule
de ronces et de chardons
un tertre de calcaire
rond comme un sein de femme
là où à peine deux pierres
sont restées debout
l’une sur l’autre
et plane le silence de l’Histoire, avec l’épervier

C'est pourtant là qu'elle attendait
tournant en rond
à l'intérieur de murs
peut-être grossiers,
filant la laine, ou les vers d'une chanson
se regardant dans l'acier poli, ou extirpant les points noirs
au nez d'un écuyer (qui se trouverait peut-être
également être son cousin nourri),

Là-haut à Lombers sur les contreforts,
où il ne reste plus
qu'une croix sans légende
commémoration austère
des derniers résistants
du Maquis de Vendôme,
(Au bas de la colline l’on trouve cette plaque :
‘fusillé par l'occupant
pour avoir refusé de livrer ses camarades’ ),

Une femme seule
dans un château hypothéqué
aux murs humides - ou peut-être pas - aux salles
imposantes
et vides désormais,
aux voûtes basses,
où les rats gambadent dans la paille, les mouches
en sarabande tourmentent
la soif des grands chiens,
agacent la somnolence
des hommes d’armes,

Une femme seule
(ou presque,
N’étaient une mère vieillie, quelques servantes
à peine corvéables, une amie de compagnie).
Une de trop jolie, aux yeux pers,
au visage très-ouvert et presque terrible
de simplicité,
belle de franchise, anxieuse et ardente
blonde sous la coiffe, à peine coquette,
A peine hautaine,

Les yeux rivés sur la plaine en bas,
ou de l'ouvrage souvent détournée
pour filtrer le bruit du vent, des pas,

Une de trop légère, de trop jolie
- qui là-haut, devant sa liseuse,
écoutait, attendant, attendant
quoi... au juste ?
... le pas d'un cheval courant, le martèlement des armes
le cliquetis des harnachements, mêlés
aux rires, aux railleries, au chant,

Un signe intrépide, fixant la rencontre,
enjouement, chaleur, prestance
en tout cas, qui tiendrait lieu de présage, truculence
de la cause de paratge,
de joven et d'amors, du droit de porter des robes
de soie cramoisie, de l'hermine
de courir à cheval les bois et les coteaux
en compagnie de son coral amic,

et d'entendre une bona canso
novela bien ficelée
avec le dire de sa prouesse et de sa beauté neuves
en bas dans la cour.
(L’État fait le ménage sur la plage...)

On croyait que jamais la loi ne viendrait jusqu'ici, dans ce petit bout d'utopie populaire, trois planches clouées, deux tôles cabossées, au petit bonheur du cabanon, parfois laid, souvent gai. Mais la loi est arrivée, hier matin, sans crier gare.
Des gendarmes mobiles pour boucler la piste d'accès depuis Salin-de-Giraud, et, au bout, le long de la plage de Beauduc (Bouches-du-Rhône), une pelleteuse qui fracasse sans mal les fragiles constructions décrétées illégales, car bâties sur le domaine public maritime. Le préfet de région est là, en chaussures souples, le préfet de police aussi, en bottes de caoutchouc. II y a même un hélicoptère. Le resto Chez Marc et Mireille tombe le premier. Chez Juju, la vieille institution locale, suit. Adieu tellines à l'aïoli, loups et daurades grillées, adieu guinguettes de plage, qui attiraient touristes et people. «On nous met dehors nus et crus !», gueulent les cabanonniers, plus haut, au barrage.
Pelleteuse. Sur la porte de Juju, un article récent de la Provence rappelle : «Les cabanonniers sommés de détruire un rêve». Ils ne l'ont pas fait. Alors, dans ce lieu sans loi mais avec des toits, la force publique le fait pour eux. Sèche et brutale. Tout près de la pelleteuse, Ricardo Martorell, 64 ans, retraité, s'affaire. Un des rares à habiter là à l'année, Ricardo a négocié de garder son bungalow, sa seule adresse. Mais le garage et l'appentis vont être détruits. Ricardo, dans cette maison depuis vingt-quatre ans, à Beauduc depuis 1962, les vide. Derrière la fenêtre, sa femme pleure. Deux copains s'emportent : «Y a beaucoup de petites gens à Beauduc. Ils n'ont que leur cabanon pour sortir. S'ils rasent, on va rester chez nous, enfermés dans nos apparts. Ça va créer une cassure sociale.»
Le préfet, Christian Frémont, n'en a cure. «Ce village est un cloaque à ciel ouvert, une insulte à l'environnement, assure-t-il. Dans le tiers-monde, on appelle ça un bidonville.» Hier matin, le préfet croit même y découvrir «un laboratoire de drogue». En fait, un mobile-home où sèchent quelques plants d'herbe.
A Beauduc, l'Etat compte 460 cabanons, construits depuis quarante ans, «et cent de plus cette année, un vrai phénomène de prolifération», assure le préfet. Combien de légaux ? «Pas beaucoup.» 101 décisions de justice définitives d'illégalité. Hier, en exécution de jugements prononcés depuis 1995, l'Etat devait détruire 17 cabanons après les avoir vidés. «Tous les propriétaires ont reçu des lettres de mise en demeure, les invitant à démolir eux-mêmes. Aucun ne l'a fait, regrette le préfet. Mais la loi doit être respectée.»
«Jour de deuil». A midi, à la mairie annexe de Salin-de-Giraud, les cabanonniers laissent sortir leur colère. Avec eux, Alain Dervieux, «écologue» et conseiller municipal, se désole : «Beauduc, c'est un chef-d'oeuvre de construction populaire, de structures d'édification spontanée, un espace de liberté...» Autre adjoint, Philippe Martinez évoque «un jour de deuil». Le maire d'Arles, Hervé Schiavetti (PC), regrette «une intervention extrêmement brutale» et décrit «un sentiment d'échec, de souffrance, de douleur, car- certains propriétaires ont perdu une partie importante de leur vie». Maigre victoire, le maire a obtenu une table ronde, jeudi. Le préfet accepte de discuter, mais il voulait un acte fort avant, pas le statu quo devant lequel tous ses prédécesseurs ont plié. Président de l'Association pour la sauvegarde du patrimoine de Beauduc, Antoine Herrera prévient : «On n'ira pas chez le préfet discuter de la couleur de notre cercueil. On va se battre.» Selon Herrera, «seulement 20 % des cabanons sont dans la légalité. Mais ne reconnaître que 20 % des cabanons, ce n'est plus Beauduc, c'est la destruction d'une tradition, la négation d'un art de vivre».
(Merci, merci Michel HENRY)

(Fragments de Scénario II…)

Première partie
Le film s’ouvre sur un long et lent travelling sur un paysage du Midi peu de temps avant la levée du soleil dans un matin parfait de début d’été. On entend un roucoulement insistant. Il y a un soudain envol de pigeons, ou mieux, de tourterelles que suit le caméra. On entend le début d’un chant modal de troubadour, peut-être le ‘Reis glorios’ de Giraut de Bornelh (Peut-être même une monodie extra-européenne, de l’Inde, du Pakistan ou du Moyen Orient actuels ).
Ensuite on voit une série de plans relativement courts et entrecoupés. Ce sont des brèves scènes ou flashs sur la vie quotidienne d’un certain nombre de gens habitant différents lieux du sud de la France : un vieux professeur de langues romanes, un employé de la Shell de l’Etang de Berre, une jeûne femme habitant un petit château isolé dans la montagne noire, un employé de supermarché, un chômeur marginalisé, un intellectuel parisien en vacances, un militant écologiste, etc. etc. Chacun reçoit une lettre ou un message, qui dans sa boîte aux lettres, qui sur son répondeur fixe, qui sur son portable (boîte vocale ou SMS), qui par e-mail. On distingue mal le contenu de chaque message, mais l’on devine à travers le jeu des acteurs que ce contenu vient bouleverser ou déstabiliser le personnage à chaque fois, produisant des réactions qui vont de la surprise enthousiaste à la réaction catastrophée, en passant par la stupéfaction, l’abattement ou la colère.
Ensuite l’on revient au long travelling en surplomb du début, en suivant à nouveau le vol des volatiles (pigeons ou tourterelles etc.) accompagnés du chant modal (Troubadour et/ou musique orientale ). La caméra aboutit en contre-plongée sur la place d’un petit village méridional quelconque. Le chant cesse. On entend une musique différente, accompagnée de paroles (vers) récitées (scandés) en occitan ancien : il s’agit en fait d’une troupe de théâtre ambulante qui récite la Chanson de la Croisade Albigeoise en plein air, sur la place du village, devant un parterre d’enfants d’âge scolaire avec leur maîtresse et quelques badauds. Le jeu et les costumes sont sommaires et un peu exagérés, comme de la commedia del arte ou du théâtre de marionnettes (C’est d’ailleurs peut-être du théâtre de marionnettes). La troupe entame la partie de la Chanson qui relate la Bataille de Muret, et qui affirme notamment que le monde entier fut diminué de moitié ce jour-là. La traduction est donnée en sous-titrage, le tout durant une ou deux minutes maximum.
Ensuite, abrupte transition vers un nouveau plan. Nous sommes au passé, début douzième siècle, dans un château féodale (peut-être Saissac ou la Cité de Carcassonne ). C’est la scène qui montre la civilisation courtoise des Troubadours à son apogée, ou du moins dans son dernier été indien. Parmi les personnages de cette scène se trouvent, outre les nombreux figurants, Pierre, le Roi d’Aragon, Pierre-Roger de Trencavel, vicomte de Carcassonne, la comtesse Azalaïs de Burlats, Ermengarde de Castres, Azalaïs de Boissézon (notre héroïne), Loba de Pennautier, Brunissen de Penne d’Albigeois, les troubadours Ramon de Miraval, Giraut de Bornelh, Peire Vidal, Guillem Augier Novella, etc. On voit les différents protagonistes arriver avec grande pompe et panache : chevauchées sous les murs, déploiements de bannières et de gonfalons, cadeaux, démonstrations d’adresse des jongleurs et de leur musiques, jeux et combats au bâton.
Nouveau plan : après un banquet, la cour se réunit pour écouter chanter les dernières productions des maîtres-troubadours les plus en vue. Il y a une certaine ambiance de concurrence, des cancans, des chuchotements, des apartés et des sourires en coin. On sent aussi que les grands seigneurs présents ont leurs préférences, voudraient favoriser tel ou tel, dont ils sont le patrons ou le protecteur. Raimond VI de Toulouse, qui brille par son absence dans cette brillante assemblée, est surtout représentée par Peire Vidal, troubadour déjà vieux, mais aux dehors extravagant, provocant et haut en couleur. Raimon de Miraval, un de nos personnages de premier plan (puisqu’il chante et se déclare amoureux d’Azalaïs de Boissézon, qu’il revendique comme sa ‘dame’), lui aussi déjà assez âgé, essaie visiblement de gagner les bonnes grâces de Pierre d’Aragon, lequel, Maître de la Catalogne et Roi, est en train d’avancer ses pions afin de se tailler une importante zone d’influence dans le Carcassès et le Lauragais, notamment grâce à l’alliance avec Raimond-Roger de Trencavel, vicomte du pays. Tout cela se fait, bien entendu, au détriment de la puissance du comte de Toulouse. Peire Vidal chante en premier, son chant fait subtilement sentir qu’il regrette de ne plus être persona grata dans la région, comme autrefois, lorsqu’elle était sous l’influence du comte Raimond : il distribue des compliments amoureux à la ronde sans nommer qui que ce soit ( la règle de la discrétion la plus absolue est de mise concernant l’identité de la femme réellement aimée, on ne fait de compliments ouverts qu’à de puissants personnages ou des connaissances mondaines ), sauf Loba, dont tout le monde est au courant des frasques qu’il s’est vanté de vivre avec elle il y a de cela un certain nombre d’années déjà. Ensuite vient le tour de Raimon de Miraval. Celui-ci veut tellement impressionner Pierre d’Aragon, un jeune homme plein de fougue qui vient de gagner la Bataille de Las Navas de Tolosa contre les arabes d’Espagne, dont il essaie de s’attirer les faveurs et la protection, qu’il vante un peu trop ouvertement les grâces, les charmes et autres accomplissements de la ‘dame’ dont il est (ou se veut) le soupirant, la blonde et affriolante Azalaïs qui est elle aussi dans la fleur de la jeunesse. Surtout, il commet la bévue monumentale, ce que remarque tout le monde et qui lui attire le courroux de la belle, de citer ouvertement son nom réel (au lieu d’utiliser, comme il est de mise chez les troubadours, un senhal ou nom caché). Il en résulte un brouhaha et un esclandre général, avec censure des confrères et sévères critiques que sont Giraut de Bornelh et Vidal, puis le départ haut en couleur ‘en claquant la porte’ d’Azalaïs, très offusquée et furieuse (ou qui fait semblant de l’être), et des gens de sa suite et de son lignage. Par contre, le Roi d’Aragon, très séduit par la jeune femme, n’a pas du tout l’air aussi fâché que cela par cet incident, qui le fait rire à gorge déployée avec beaucoup d’autres dans l’assistance. Il va jusqu'à consoler Ramon de son flop, tout en s’informant discrètement sur la localité du château d’Azalaïs, l’important et très stratégique (à l’époque) Lombers.
[Pendant les séances de chant, sous-titrage en français].
Nouveau plan ( le dernier ‘historique’ de la première partie ) : on voit Pierre d’Aragon et une poignée de chevaliers, ses jeunes et fougueux ‘proches’, en grande chevauchée dans un paysage méridional austère et dépouillé. Ils se dirigent visiblement vers un château établi sur une butte dans la plaine, puissamment fortifié : c’est Lombers. Ils parlent entre eux avec volubilité en langue catalane (sous-titres).
Le groupe s’arrête sous un bouquet d’arbres près d’une rivière en contrebas du château. Le héraut du château arrive au galop. Le Roi, qui ne sait pas écrire, fait rédiger une courte lettre par un de ses proches, le troubadour Raimon de Miraval, qu’il demande ensuite au héraut de porter à la dame du château (Azalaïs). Il y joint sa bague et son manteau de fourrure. Il dit en riant d’expliquer au Maître des lieux que lui et ses amis sont venus d’au delà des Pyrénées, et que ce sont des marchands de fourrure et de chevaux arabes.

Pendant que le héraut s’éloigne à cheval dans la plaine, on entend réciter la razo (récit, ou argument ) de la fameuse Mala Canso de Ramon de Miraval :Raimons de Miraval si s’enamoret de N’Azalaïs de Boisazo, qu’era joves e gentils e bela, e fort volontosa de pretz e d’onor e de lauzor...e fes de leis maintas bonas chansos, lauzan son pretz e sa valor e sa cortezia ; e mes la en si gran honor que tuit li valen baro d’aquels encontrada entendion en ela : lo vescoms de Bezers e.l coms de Toloza e.l reis Peire d’Arago, al cals Miravals l’avia tan lauzada que.l reis, senes vezer, n’era fort enamoratz e l’avia mandat sos mesatges e sas letras e sas joias ; et el moria de volontat de leis vezer...don lo reis s’en venc en Albuges et a Lombertz per ma dona N’Azalaïs ; e.N Miravals venc ab lo rei, preguan lo qu’el li degues valer et ajudar ab ma dona N’Azalaïs. Fort fo ereubutz et onratz lo reis e vegutz volentiers per ma dona N’Azalaïs. E.l reis, ades que fo asetatz après ela, si la preguet d’amor ; et ella li dis ades de far tot so que.el volia. Si que la nueit ac lo reis tot so que.ill plac de leis. E l’endema fo saubut per tota la gen del castel e per tota la cort del rei. E.N Miraval, que attendia esser ricx de joi per los precx del rei, auzit aquesta novella fo.n tritz e dolens ; e vai s’en e laisa lo rei. Longuamen se plais del mal que la dona l’avia fag e de la felonia qu.el reis avia faita de lui [Raimon de Miraval s’enamoura de Dame Azalaïs de Boissézon, qui était jeune et noble et belle, et fort désireuse de notoriété et d’honneurs et de compliments...et il fit pour elle plusieurs très bonnes chansons, louant son rayonnement et son caractère et son savoir vivre courtois ; et il la fit tellement apprécier et mettre en valeur que tous les vaillants barons de la région se sont épris d’elle : le vicomte de Béziers et de Carcassonne, le comte de Toulouse et le Roi d’Aragon, auprès duquel Miraval l’avait tellement mise à l’honneur que le Roi, avant même de l’avoir vue, en est tombé éperdument amoureux, lui envoyant messagers, lettres et bijoux. Et il mourrait d’envie de la voir enfin...Ainsi le Roi s’en vint en Albigeois et puis à Lombers pour l’amour de Madame Alazaïs, et Miraval vint lui aussi aux côtés du Roi, lui demandant avec insistance qu’il le fasse valoir et lui accorde son appui dans sa cour auprès de Dame Azalaïs. Le Roi quant à lui fut tout à fait ravi et fort emballé par le gracieux accueil d’Azalaïs. Et le Roi, dès qu’il fut assis près d’elle, se mit à lui faire une cour assidue ; et elle lui donna clairement de savoir qu’il pouvait faire d’elle ce qu’il voulait. De sorte que, la nuit venue, le Roi obtint d’elle tout ce qu’il désirait. Et le lendemain cela fit tant jaser tout le monde dans le château que cela vint aux oreilles des proches amis du Roi. Et le Sire Miraval, qui avait tant espéré être comblé d’un extrême bonheur grâce à l’entremise du Roi, apprit la chose. Il en fut triste et mortifié, et il s’en fut et quitta la compagnie du Roi. Longuement il s’est ensuite plaint du tort que la dame lui avait fait et de la félonie que le Roi avait commis à son endroit].
La voix du récitant est celle de l’acteur de la troupe de théâtre ambulant du début. Le texte est en occitan ancien, avec sous-titrage français. On voit sur l’écran une série d’images en fondu enchaîné correspondant plus ou moins au récit de la razo: la réception enthousiaste au château, l’étalage des fourrures, la beauté des chevaux lâchés dans la cour du château, la remise de bijoux et d’or, la séduction abrupte de l’affriolante Azalaïs, emportée par tant de fougue et de force majeure, l’accord tacite du mari, la magnifique passion effrénée du jeune couple au lit, les cancans des médisants dans tous les coins du château, la grise mine de Raimon, son départ seul et attristé dans le lointain.
Ensuite, on entend le chant modal du début, mais cette fois-ci accompagné de paroles. Ce sont celles, ironiques et attristées, de la Mala Canso de Ramon de Miraval : Chansoneta farai vencut/Je ferai une chanson dans l’accablement/e sapchatz que nos em cregut,/pus no vim nos compagnos,/d’un drut novelh, don tota gens ressona/et sachez que depuis que nous nous sommess vus/nos rangs se sont accrus d’un nouveau heureux en amour, ce qui fait jaser tout le monde/que midons es a semblan de leona ;/ar sai que.s tocan las peiras d’Alzona,/pus premierss pot intrar selh que mais dona/car madame a une mine de lionne/ et maintenant je sais que les poules auront un jour des dents/ puisque entre en premier celui qui paie le plus cher....

Fin de la première partie.

Intermède :

Bruits de tonnerre et nuages menaçants sur le relief dépouillé et abrupte d’un paysage de contreforts des Cévennes. Éclairs intermittents. Premières gouttes de pluie sur les feuillages essoufflés de la haute garrigue. De vastes espaces de causse presque vides. Une route qui serpente au loin sous l’orage. On sent que le temps idéal du matin d’été de la première partie tourne. On entend à nouveau brièvement la Mala Canso. Il y a de nouveau une échappée de pigeons ou de colombes ou d’autres volatiles que la caméra suit en un vaste travelling.
Ensuite, l’on revient brièvement sur le montage en plans séquences des épisodes de la vie quotidienne à l’époque contemporaine entre aperçus au tout début de la première partie. L’on voit la jeune femme qui habite un château dans la Montagne Noire se disputer gravement avec son mari ou son compagnon, puis partir en claquant la porte, après avoir rassemblé quelques affaires dans un sac. On la voit ensuite dévaler des routes départementales sous la pluie dans sa 4L blanc cassé à travers la pare brise de laquelle, l’on voit qu’elle pleure. On voit le vieux professeur ouvrir une enveloppe d’une main tremblante, puis en lisant soudainement écarquiller les yeux comme s’il venait d’apprendre une nouvelle inouïe ou de voir un revenant. Son front se recouvre de sueurs froides. Il se met la main au front. L’on voit ensuite les murs du hall d’entrée se mettre à tourner de plus en plus vite. Il crie un nom, un nom de femme. Puis on le retrouve dans l’arrière d’une ambulance du SAMU, entouré de sa femme et d’un infirmier. Il est en réanimation. On entend la sirène de l’ambulance, tandis que celle-ci parcourt les étroites ruelles embouteillées d’une ville méridionale moyenne. On voit l’employé de la Shell entrain d’ouvrir ce qui est en fait une lettre de licenciement. Il devient soudainement pâle comme la mort. Sa femme, qu’il rejoint dans leur cuisine-salle à manger, lui demande ce qu’il a. Il lui donne à lire la lettre. On voit le chômeur marginalisé monter sur la moto d’un copain qui l’attend au coin de la rue. Il met le casque que l’autre lui tend, puis se tire un fichu noir sur le visage. La moto parcourt quelques rues bondées de monde à grande vitesse, puis rejoint le flux de trafic de la rocade. Rapidement l’on comprend qu’il y a une casse ou un mauvais coup dans l’air. Quelques instants plus tard, il y a un nouveau plan où l’on voit la moto converger avec une voiture puissante où il y a des hommes armés. Visiblement, la voiture suit un camion de transport de fonds. Alternativement, les deux hommes à moto, casqués et armés, se rendent sur un parking de supermarché, en suivant une BMW grise. Lorsque le propriétaire, un homme grisonnant d’une cinquantaine d’années en descend, la moto s’accélère et s’en approche à grande vitesse. Le chômeur sort un pistolet muni de silencieux. On voit l’intellectuel parisien, visiblement toujours en vacances ( à cause de sa tenue vestimentaire ) complaisamment assis face à un journaliste autour d’une table de studio munie de micros portant le logo de Radio France. On lui fait une interview. Il dénonce l’actuelle épidémie de reconstitutions historiques, notamment médiévales, qui selon lui surgissent un peu partout en province en ce moment, et toujours selon lui constituent un phénomène des plus inquiétants, un signe de fuite devant le présent et la modernité, de nostalgie réactionnaire et rétrograde. On voit le militant écologiste en plein CA du comité de soutien local des Verts, entrain de se disputer avec les autres militants, qui tiennent des propos manifestement électoralistes. Etc., etc...[L’on pourra encore bien mieux peaufiner et développer cette séquence].

Ensuite, il y a un nouveau travelling très large sur le vol de pigeons/colombes fuyant l’orage sur les causses. Puis à nouveau une contre-plongée sur la place d’un village (pas forcément le même). On retrouve la troupe de théâtre.

Deuxième partie

La troupe de théâtre recommence le récit de la Bataille de Muret. C’est le soir. A la lueur de lampes de tempête et d’un éclairage en clair-obscur que ponctuent des éclairs et des coups de tonnerre de plus en plus lointains sur fond dramatique de couchant, le récit s’engage, d’abord en occitan ancien ( avec sous-titres ), avant de passer au français.
L’on entend parler des préparatifs de la bataille dans les deux camps : celui des occitano-catalans, celui des croisés. Puis il y a de nouveau un abrupt passage, presque sans transition, au passé.
Dans ce nouveau plan historique, l’on voit dans une salle du château à l’intérieur de la ville (médiévale) de Muret, les principaux croisés français réunis autour de Simon de Montfort : il y a là Alain de Roucy, Guy de Levis, Guillaume le Maréchal, Foucaud de Berzy, Lambert de Limoux, Hugues de Lacy etc. A la lueur des torches l’on distingue tout de même les visages d’hommes terriblement marqués et endurcis par la guerre, tous tueurs professionnels de longue date, habillés de cottes de maille et les armes à la ceinture, qui cependant semblent préoccupés ce soir et quelque peu aux abois. Il y a également des ecclésiastiques, parmi lesquels on distingue bien ceux qui portent la robe blanche de l’ordre de Cîteaux. Simon, qui ressemble remarquablement à une sorte de Le Pen médiéval, se relève de confession ou de communion. Les autres chevaliers sont inquiets, se sentant pris au piège. Ils ont face à eux, au milieu d’une populace hostile, non seulement une armée, mais deux. A travers la discussion, un plan émerge : il faut absolument tuer le Roi dès que possible, et par tous les moyens. Il faut compter sur la rivalité larvée entre toulousains et catalans, entre le Roi et le comte Raimon. Peut-être même serait-il possible de soudoyer celui-ci pour que lui et ses hommes ne viennent pas à la rescousse de l’Aragonais. De toutes les façons, jamais Raimon et les toulousains ne voudront les affronter en bataille rangée, alors que le Roi...avec sa réputation de vainqueur des arabes et sa bravache, lui, si. On tire à la courte paille : qui sera chargé de la salle besogne ? Les sorts tombent sur Foucaud de Berzy et Alain de Roucy, deux grands dogues aux épaules massives, à la dégaine longue et efflanquée. Ils jettent des regards de biais l’un à l’autre : bon d’accord, c’est sur nous que cela tombe, on s’y connaît de longue date, mais comment même reconnaître le Roi ? Même lui, il ne serait pas assez fou pour aller à la bataille sous son propre blason. Et puis comment l’attirer en dehors du camp fortifié ? Comment le provoquer à la bataille rangée en plein champ, là où la cavalerie lourde française est à son avantage, même contre des adversaires supérieurs en nombre, grâce aux tournois, à l’entraînement constant en pays hostile et aux techniques apprises des arabes et des turques, là-bas en Syrie franque ? Comment isoler le Roi et le mettre à mort au plus tôt sans sommation et sans ambages, sans héroïsme et sans plus de rhétorique ? Il faut d’urgence envoyer un message secret aux toulousains, leur dire qu’on les laissera repartir avec armes et bagages, qu’on ne s’en prendra plus aux échoppes des marchands et à leurs récoltes (Bien sûr, ce sera un mensonge). Il faut trouver quelqu’un qui sache tourner sa veste, une girouette, un agent double sans foi ni loi, un jongleur déchu qui ne jure que par le lucre. Oui, mais où trouver un tel homme ?
Un chevalier armé de pied en cape entre précipitamment dans la salle, traînant avec lui ce qui semble bien être un manant terrifié. Le chevalier français le frappe de son gant d’acier, et lui crie avec un fort accent picard (ou d’ancien français ) : ‘Chien de mécréant, où est elle maintenant, si tu l’as mangée, je te la ferai recracher, dussé-je pour cela t’ouvrir le ventre ! Où est-elle, mécréant ? Où est la lettre ?’. Le malheureux portefaix ne fait que proférer quelques borborygmes, entrecoupés de ce qui semble être des jurons en occitan et des prières incompréhensibles. ‘Mettez-le à la question, il ne résistera pas longtemps’, propose d’un ton cauteleux un des plus imposants personnages d’Eglise présents. ‘ Par la Mère de Dieu’, dit Simon, ‘Sa Seigneurie l’Archevêque de Toulouse a raison. Qu’on l’amuse à la question !’. Le tas de haillons sales et malodorants s’agite encore plus violemment sur le sol, et il en sort toujours la même suite d’onomatopées à peine compréhensibles.
‘Je le connais’, dit d’un coup Folquet archevêque de Toulouse et ancien troubadour de son état. ‘C’est Joyeux, le jongleur de Miraval.. Allez, gentil papillon, donne la lettre. Sinon on va te chatouiller et voir ce que te vaudra ton nom.’
Un bras finit par jaillir du tas de haillons avec à son extrémité quelque chose comme une main, et dans cette main fermement agrippé, un bout de parchemin portant un lourd sceau. Simon s’en saisit immédiatement, le tend à l’Abbé de Boulbon, son confesseur, qui se trouve à ses côtés. ’On dirait qu’on t’avait coupé la langue, faquin. Lis-moi ça’, grogne-t-il à l’Abbé, ‘je veux savoir de qui provient cette lettre et ce qui y est écrit.’ L’Abbé fronce le sourcil, peinant apparemment à comprendre. Puis il se retourne avec un petit rire sec et nerveux. ‘Cette langue est incompréhensible, c’est du latin de femme. De main de femme, qui plus est. Notre pourfendeur d’arabes se préoccupe toujours de la bagatelle.’ Simon se penche pour que l’Abbé puisse lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Simon fronce les sourcils : ‘Quoi, cette garce ? Il fricote encore, il songe à la bagatelle ? Il ne l’emportera pas avec lui au ciel. On verra ce que vaudra sa pute face à la Vierge Marie !’
Un rire de salle de garde parcourt la salle. ‘C’est la chance qu’on attendait, cette lettre’, dit l’archevêque en aparté à l’intention de son Maître. ‘Oui, peut-être, peut-être... il faudrait d’abord lui couper la langue, à l’oiseau chanteur. Non, j’ai une meilleure idée.’ Et puis à voix haute : ‘Qu’on lui fasse mettre à la question et puis qu’on lui offre de l’or et son affranchissement....s’il ne veut pas coopérer, alors qu’on lui coupe la langue...puis qu’on l’attache à une queue de cheval et qu’on l’envoie à travers les lignes cette nuit...avec une lettre, certes une lettre, mais une autre, une lettre pour Raimon de Toulouse que vous, Monsieur l’Abbé, allez maintenant m’écrire, et puis sceller avec la bague du Roi que voici (Il la montre à l’assistance ). En voilà du beau butin, pour une nuit d’impureté. Et qu’on me brûle cette autre infection, ce billet doux qui sent le parfum de catin et la chatte d’hérétique. Pouah !’ Nouveaux rires à gorge déployée dans l’assistance ‘ Le piège se referme, grâce à cette stupide imprudence de femme’, dit l’archevêque en aparté à Arnaud Amalric, l’Abbé de Cîteaux.
Nouveau plan : en flash-back, on voit Raimon de Miraval à pied, suivi d’un serviteur et d’un mulet, qui grimpe sur les pentes abruptes d’un pog, ou montagne de forme conique, rappelant Montségur, Montagut ou Cordes en Albigeois. Le troubadour a considérablement vieilli, et semble un peu perclus, tout recueilli en lui-même, comme concentré sur une tâche difficile et pénible. Dans un nouveau plan, on le voit pénétrer à l’intérieur d’un cercle de maisons basses en terre et en torchis. Une femme blonde et encore jeune, mais vêtue avec une très grande simplicité, voire une austérité certaine, l’attend au centre et lui fait signe de la suivre à l’intérieur de l’une des maisons. Visiblement on est dans un refuge cathare.
Nouveau gros plan sur Ramon et la jeune femme qui parlent ensemble à voix basse à la lueur d’une lampe d’huile à l’intérieur de la maison. Ils parlent en occitan (sous-titres). Peu à peu on comprend que c’est en fait Azalaïs elle-même, laquelle, dégoûtée des pièges du grand monde et de son propre passé de frivolité à défrayer la chronique, a fini par entrer dans la secte et devenir parfaite cathare. Semblant regretter sincèrement le mauvais traitement qu’elle lui avait infligé autrefois, elle lui demande de lui désigner un moyen de faire réparation. Alors, ravalant son orgueil et sa jalousie d’autrefois, Miraval lui demande de lui dicter une lettre pour le Roi, lui demandant de revenir en Languedoc, et lui assignant rendez-vous dans un certain bois près de Toulouse.

(Raimon de Miraval: "Faux Bouclier ")

IJe ferai une chansonnette, vaincu
Puisqu'elle m'a donné la gale,
Et sachez, depuis qu'on s'est vu,
Que nos rangs se sont augmentés
D'un nouvel heureux, que tout le monde étale
Combien « Sa Seigneurie » à fière mine !
Maintenant sais que les pierres d'Alzonne
Se toucheront, quand richesse entre premier.

II

Si j'en ai eu joie entière
A l'heure je veux en être pur,
Car pour le nom de cornard
Ne veux de Byzance l'Empire.
J'aime une autre qui mieux récompense
Avec ses seules paroles que celle que je perds;
C'est à tort qu'on excuse le faux amour
Et une dame déchoit qui se renie pour de l'argent.

III

Lui aurait fait d'autres cadeaux
Qui lui auraient valu tant
Ou plus, mais elle n'aime pas les chants,
Elle s'en plaindrait bien plutôt
En disant que je fais trop parler d'elle
Qu'elle préfère ne pas être connue si loin
Il lui vaudrait mieux être en enfer
Que de vendre sa beauté en la faussant.

IV

A « Fous-moi dehors » je la confie,
Je n'en veux plus aucune part,
Je ne lui connais même plus de tort
A part ce qu'elle fit à Mon Audiart :
Aï ! Faux bouclier, qui se laissa fendre
Si vite que nul n'oserait s'y abriter,
J'ai à coeur de te le faire cher payer.
Si je t'ai exaltée, je te ferai descendre.

V

Ai Las ! Comme je meurs de désir
Pour la belle qui sans malice
Vit, parfaite, sans artifice,
Et n’aimerait jamais un vil bâtard.
Si seulement elle veut accorder son coeur
Au mien, tout autre joys en serait moindre,
Et si d’un baiser elle veut me faire le don,
Point sera besoin de venir me prendre.

VI
Chanson, va-t-en à mon Plus Loyal,
Dis-lui que j’en sais une qui est à vendre.


(A Béziers...)

• Je ne suis jamais bien à mon aise
à Béziers d'autant plus
qu'il y a toujours quelque chose
d'ineffaçable comme
une puanteur de torture un cri
emmuré étouffé quelque chose d'imprononçable
qui suinte des jointures
de la pierre.

• même la poussière
y a un goût fade
de mets éventés et les jours
semblent toujours quelque part en sursis
traînent lents et lourds comme des remorques
de vendange des bennes trop lourdes
pleines à craquer
de la poisse des raisins
d’un moût trop sucré trop fade

• Mais ce que les comportes des siècles
charrient ce ne sont pas
des grappes de raisin
mais des grappes de corps d'amour meurtris

• des amas de corps-coeurs, des coeurs-corps
entassés ensanglantés mutilés
presque à l’infini.
• A chaque fois que
j’y suis de passage
il y a comme un frisson
qui me parcourt à la vue
de la cathédrale nouvelle
sur son rocher tarpéien avec la collégiale lugubre
et les couvents convertis en
prison et palais de justice et non pas
tombés en désuétude

• à Béziers on est bien près
d’être déjà au coeur des ténèbres

• je sens à nouveau
les mains moites fétides anxieuses
des inquisiteurs peser sur mes bras
mon front mon cou
je hume à nouveau les parfums
douceâtres insipides
de la haine de soi et du viol rentré
d'un ordre de nuit
aux veines gonflées d'abstractions
et de cauchemars
qui m'aboient affreusement à la face
des paroles de douceur et de mansuétude

• je ne suis jamais à mon aise
de passage à Béziers son silence sa solitude
sont trop pesants il y a quelque chose
d'in¬expié de noir
de plus qu'obscène
à en innocenter l'obscénité l'impudeur mêmes
tout y est comme souillé
d'une tâche d'une souillure plus profondes
que le péché jusqu’à en rendre inoffensives
les simagrées les presque saines
distractions du satanisme
quelque chose de noir de froid d'une froidure
impossible à pardonner et qui attente
qui brise qui dévie qui pollue
la vie à la source même

• on a beau pouvoir y contempler
de hauts murs des pierres vénérables
au fond de la nef de la cathédrale nouvelle
une pietà rhétorique des autels baroques
(et l'Erreur au sceptre brisé
a beau devoir de siècle en siècle
les yeux bandés continuer à baisser la tête
sur la façade ouest que l'on vient de restaurer )

• à Béziers on est bien près
d’être déjà au coeur des ténèbres
il y a là-bas
ce à côté de quoi l'on ne saurait passer
comme l'on feuillette un vieil album
de photos de famille
après un bon repas
une horreur une monstruosité
aux dimensions nouvelles et inédites
qui sont déjà celles
des camps de ce siècle.

• à Béziers on est bien près
d’être déjà au coeur des ténèbres
une voix un cri sourd
planent encore
d'interminables cris des milliers de voix
étouffées emmurées quelque chose
d'imprescriptible d'ineffaçable
de seul impardonnable
comme un avilissement
qui n'en finit pas
de suinter de la pierre

•le poids les mains moites
des idéologues des hommes d'ordre
des castrats d'appareil
tels des chenilles processionnaires
ou le phylloxéra à venir
une sueur rance de scolastique
s’appropriant la parole la plus libre
pour tuer dans l'oeuf l'esprit flétrir à jamais
la liberté

• Maintenant je m'en souviens
à Béziers quelque chose d'inexpié
de seul impardonnable
dépassant l'épouvante même.

• à Béziers on est bien près
d’être déjà au cœur des ténèbres

• et pourtant de là-haut
sur le rocher de la profanation
qu'on appelle maintenant « Plan des Bonshommes »
l'arrière-pays possède encore
cette beauté chaste
inviolable
d'une Antigone
qu'on traînerait au bûcher
le seul élan frémissant arc-bouté
de l'amour force du fond des cachots
beauté du refus
la libre partition d'aimer
que trament les causses à l'heure éperdue
où une strophe d'étourneaux
traverse la monodie

• et je pense
à Tienanmen à Sarajevo à Srebrenica
à Cape town à Kigali
à Auschwitz à Treblinka
et à tant et tant d'autres
places bûchers fosses communes
milliers de voix étouffées de cris inentendus
appuyé là-haut contre le parapet
quelque chose à côté duquel
l'on ne saurait passer
(comme l’on feuillette un vieil album
de photos après un bon repas de famille)

• à Béziers on est bien près
d’être déjà au coeur des ténèbres

• je ne suis jamais bien à mon aise
de passage à Béziers

(Guillem Augier Novella (...1209-1228...): Quascus plor e planh son dampnatge…)

IChacun pleure et crie son dommage,
Sa mauvaise chance et sa douleur ;
Moi, hélas ! J'ai clos dans le coeur
Tant de fiel, tant d'angoisse,
De ma vie je ne vivrai assez
Pour pleurer, pour plaindre dignement
Mon valeureux, le très prisé,
Le preux vicomte, qui est mort,
Celui de Béziers, le haut, le courtois
Gai, adroit entre tous, tête d'or,
Du monde le meilleur chevalier !

II

Ils l'ont tué, et sur terre jamais
On ne vit tel outrage ni faute
Plus grande, plus terrible étrangeté
Envers Dieu et notre Seigneur
Que ce que font ces chiens de renégats
Du lignage menteur de Pilate
Qui l'ont occis ; que Dieu, dont on dit
Qu'il est mort pour nous, puisque celui-ci
Est bien passé par le même pont
Pour sauver les siens, lui vienne en aide !

III

Mille chevaliers de haut lignage
Et mille dames de haute valeur
Par sa mort iront éperdus,
Mille bourgeois, mille serviteurs
Qui auraient été bien lotis
S'il vivait encore, riches, honorés !
Or il n'est plus ! Quelle perte c'est ! ,
Ce qu'il est, et ce qui vous est pris,
Ceux qui l'ont tué - qui et d'où ! -
Voyez-le, Dieu ! Il ne nous répond plus !

IV

Ah, Seigneur ! Aux grands, aux petits
Quelle amertume, combien cruel
De se souvenir de l'honorée
Seigneurie dont nous connûmes l'abri,
Et dans l'ultime fidélité
Qu'il s'est laissé pour nous mourir !
Ah Dieu, il n'est plus ! Perte affreuse !
Orphelins, nous sommes tous à mal !
De quel côté, vers où aller
Pour trouver bon port ? Mon coeur est brisé !

V

Puissant chevalier, riche de lignage,
Riche en hardiesse, riche de valeur,
Riche d'esprit, riche de fidélité,
Riche de donner, prompt à servir,
Riche d'orgueil, riche d'humilité,
Riche de sagesse, de belle folie,
Beau et bon, en tout accompli :
Jamais n'eût homme qui vous valut !
En vous avons perdu la fontaine
Qui nous abreuvait tous de bonheur !

VI

Je prie ce Dieu qui de soi-même
Se fit trois en une déité
Qu'en son ciel, où est la joie majeure,
Il l'accueille, épargnant son âme,
Et à tous ceux qui pour son bien
Ont prié accorde secours et sûreté.

VII

Beau Perroquet, jamais ne m'a grisé
Autant l'amour que maintenant
Ne m'abat l'atroce malheur
Du meilleur seigneur qui jamais ne fût
Aussi loin que clôt la mer à la ronde,
Que m'ont tué ces traîtres, gens sans aveu.

(Fait Divers...)

• Son nom: Michel, Michel Daure. Né à Mon¬tauban en 1796, bien que fils de cabaretier, il parlait couramment sept langues, avait dirigé, dit-on, l'édu¬cation des fils de Condorcet
• plus tard, en 1830, il fit la rencontre du Prince de Talleyrand qui, las de son ambassade à Lon¬dres, l'attacha à sa personne
• « c'est là » dit le petit guide touristique rédigé par Pierre Malrieu, fils du poète du même nom qui s'est retiré à Penne pour y passer ses derniers jours il y a une vingtaine d'années (déjà), « c'est là qu'il fit la connaissance de la du¬chesse Dorothée de Courlande, nièce de Talleyrand qui, à l'occasion du 1er janvier 1831, lui offrit en gage d'amitié un foulard de cachemire des Indes et une bague dont la forme de serpent lové est un gage d'éternité»
• ajoutant seulement : « tout plaide à croire qu'une idylle s'ébaucha entre les jeunes gens
• au hasard d'une promenade Michel décou¬vrit Penne, Penne d'Albigeois, et y rencontrant le no¬taire du patelin, qui en était également le maire, il apprit bien des choses sur son histoire ancienne
• l'aimable Monsieur Poux qui était, comme l'on disait à l'époque, antiquaire et, lui aussi, un tan¬tinet romantique, le reçut quelques jours avec la plus libérale hospitalité
• cependant la veille du départ pour Paris de Michel Daure ( Daure Michel désormais, selon le regis¬tre de l'état civil ) il alla frapper le soir à la porte du curé, lui demandant instamment de bien vouloir dire une messe des morts à son intention
• le lendemain on le vit monter au château sur son piton rocheux, tenant à la main son livre familier de poèmes italiens: l'esule poema di Pietro Gia¬none, au-dessus du titre duquel il avait de sa propre main ajouté ce passage de l'Ecriture : nos omnes exules sumus quod in mundo nisi exilium
• on le vit monter au château sur son délirant piton rocheux qui n'est plus qu'un nid d'éclairs
• « puis » dit le chroniqueur « quelques instants plus tard une détonation réveilla les échos de la vallée»
• « Vous voilerez mon visage avec mon mou¬choir vous me ferez rouler dans une couverture on creusera ma fosse de telle manière que j'ai la face tournée vers l'Orient et le dos à ma ville natale vous me déshabillerez de pied en cap laissant néanmoins ma tête enveloppée vous me chausserez de ce cale¬çon et de ce pantalon blanc vous me passerez des bas de soie blancs prenez mon manteau mon vieux compagnon de tant de voyages mon dernier ami et roulez-moi dedans prenez cette bible posez-la sous ma tête que sur mon coeur l'on place le bijou ciselé que ma main serrait au moment de ma mort »
• huit jours après, l'abbé qui avait reçu les der¬nières confidences du malheureux, se voyait enlevé dans une berline de voyage et transporté dans une salle d'auberge

• où sur une table entre deux cierges se dressait un crucifix

• une dame d'une beauté sculpturale vêtue de noir faisait appel à ses sentiments chevaleresques et lui demandait de ne jamais révéler le secret dont il était le dépositaire

• sans doute s'agissait-il là de la duchesse, dés¬ormais de Dino, qu'une lettre du malheureux Daure de cette même année évoquait ainsi : « la duchesse préfère la gloire au bonheur elle aime mieux être la lady la plus jalousée la plus enviée et la mieux choyée des Trois Royaumes que de courir à cheval comme autrefois librement et fièrement en amazone»

• le préfet de Tarn-et-Garonne qualifia le sui¬cide de « fâcheuse catastrophe », les ministres des Af-faires Etrangères et de l'Intérieur furent tenus infor¬més (sa qualité de secrétaire de Talleyrand l'ayant mis au courant de bien des secrets ceci alarma les auto¬rités et provoqua une enquête officielle )

• on ignore toujours d'ailleurs de quel genre de secret il pouvait bien s'agir pour que Daure qui con-naissait sept langues et avait été chargé de l'instruc¬tion des fils de Condorcet, ait voulu mourir ainsi de sa propre main

• ayant laissé les plus minutieuses instructions pour qu'on l'enterre, la face tournée à l'Orient, une bible sous la tête, habillé de blanc

(Merci Jean, Jean Malrieu)

 

(Bernart de Ventadorn : ''D'une toujours ")

1.
Le temps va et vient et vire
Par jours par mois et par ans
Et las ! Je ne sais que dire,
Toujours d'une est mon désir;
D'une toujours sans varier
Que j'ai voulue et que je veux
Dont jamais n'eus jouissance.
2.
Puisqu'elle n'en perd le rire,
M'en viennent et douleur et mal;
A tel jeu m'a fait asseoir
Où l'on est deux fois perdant
- D'un seul côté soutenu,
Amour est forteresse perdue -
Tant qu'elle ne m'accordera sa paix.
3.
Je ferais bien de m'en prendre
A moi-même et de raison;
Jamais homme ne naquit de femme
Qui tant servit en pure perte;
Et si elle ne m'en corrige,
Ma folie n'ira qu'en s'empirant :
Fou ne craint que qui le frappe

4.
Plus jamais serai-je chanteur
Parmi l'école d'En Eble,
Car mes chants ne m'aident guère,
Ni mes strophes ni mes airs;
Rien que je puisse faire ou dire
Ne m'est du moindre profit,
Ni en rien elle ne s'amende
5.
Si je montre mine joyeuse,
Dedans mon coeur il y a deuil :
Qui jamais vit pénitence
A faire avant que de pécher
Plus je cause, plus s'esquive;
D'ici peu si elle ne s'amende,
On en sera aux adieux.
6.
Mais c'est bien si elle me vainc
Et me plie à ses désirs,
Car, d'être injuste ou trop dure,
Bientôt vient le repentir;
Ainsi qu'enseigne l'Ecriture :
Un instant de vrai bonheur
Rend plus cher un jour que cent.
7.
Je ne la quitterai jamais
Tant que je serai en vie;
Même après la chute du grain,
Le blé continue sa danse;
Même si parfois elle défaille,
Elle n'encourra pas de blâme,
Pourvu qu'ensuite elle se reprenne.
8.
Ah, bon amour désirable,
Corps bien fait, et lisse et fin,
Douce chair bien colorée
Que Dieu forma de ses mains!
Toujours vous ai désirée,
Et nulle autre ne me plaît.
D'autres amours ne veux en rien !
9.
Douce, et très savoureuse
Celui qui te fit si bien
M'en donne le joy que j'en attends !

(Le lobby national-catholique...)

Il n'est qu'à lire Raphaëlle de Neuville pour mesurer l'influence de la Cité catholique sur les officiers alors en poste en Algérie, et notamment sur les « spécialistes de l'action psychologique du 5e bureau » : « Des réunions ont lieu autour de Jean Ousset aux Missions étrangères à Paris, rue du Bac, écrit ¬elle, auxquelles participent: le colonel Gardes, abonné à Verbe depuis son séjour au Maroc, le colonel Château Jobert, le colonel Goussault, le colonel Feaugas, le commandant Cogniet... Tous s'intéressent au travail de Jean Ousset parce qu'il a analysé les mécanismes de la subversion et l'essence du "tour d'esprit" révolutionnaire d'une part, et parce qu'il a élaboré une doc¬trine de l'action, d'autre part. »
Par un hasard des plus curieux, que rapporte Raphaëlle de Neuville , mais sur lequel elle ne s'étend pas, Jean Ousset, accompagné de l'amiral de Penfen¬tenyo, débarque à Alger le 12 mai 1958, à la veille du « complot du 13 mai ». Il y reste jusqu'au 20 mai. Qu'a-t-il fait pendant son séjour ? Mystère. Mais il est certain que Verbe appuie sans détour la guerre contre-révolutionnaire menée par l'armée française : « Il est essentiel que les combattants français en Algérie sachent bien que la guerre qu'ils livrent actuellement est une guerre juste », écrit la revue dans un supplément daté du 12 janvier 1959. « Il faut qu'ils sachent qu'ils sont les défenseurs avancés des biens les plus précieux de l'homme (et pas seulement de la France)... Notre choix est fait. En luttant contre la rébellion en Algérie, nous avons conscience d'être à l'avant-garde du combat contre le mouvement révolutionnaire mon¬dial, de remplir notre devoir de Français et de chrétiens, et de servir l'huma¬nité tout entière. »
La Cité catholique ne se contente pas de soutenir les « combattants de la liberté » en leur fournissant un support idéologique, elle défend aussi l'usage de la torture à travers les articles d'un mystérieux « Cornelius », dont l'identité n'est pas révélée, mais qui peut très bien être Jean Ousset lui-même. C'est ainsi que Verbe publie, en février 1959, au temps fort du « plan Challe », un recueil des articles publiés par Cornelius depuis 1957. Ainsi réunis, ils constituent un véritable « prêt â penser » doctrinal légitimant cette « peine médicinale » que représente la torture, dont l'application découle de la nécessité de substi¬tuer à des institutions en crise un pouvoir militaire seul apte à restaurer l'auto¬rité perdue de l'État, au besoin par l'exercice de la violence.
« Nos institutions juridiques sont anachroniques, en face d'une subver¬sion organisée, généralisée, s'attaquant systématiquement à l'ensemble de la population, écrit Cornelius. Les témoignages abondent, de grands chefs ou de jeunes officiers, qui montrent que très souvent les différents échelons de la hiérarchie militaires sont obligés de se substituer à un appareil judiciaire insuffisant ou inadapté. [...] Remarquons que lorsque l'État lui-même est défaillant, le ou les corps qui assurent les fonctions pacificatrices peuvent recevoir mission de lui, puisqu'il n'est pas en mesure de faire face aux besoins de la paix. »
S'appuyant sur une lecture orientée de saint Thomas pour qui, dit Cor¬nelius, la « véritable charité » consiste à « préférer éviter le mal plutôt que d'avoir à le punir», l'auteur de Verbe justifie alors purement et simplement l'usage de la torture : « Un coupable peut être condamné à une peine, c'est¬-à-dire à une souffrance, et cela non seulement à titre de juste châtiment - peine vindicative - mais encore pour l'utilité commune et immédiate -peine médicinale - qui est de procurer des renseignements indispensables à la protection du bien commun, lorsqu'il n'est pratiquement pas possible de déjouer autrement les projets qui menacent ce bien commun : cas très fré¬quent en période de guerre révolutionnaire. »
Comme le note Gabriel Périès, les théoriciens de la Cité catholique pui¬sent dans l'appareil doctrinal de l'Inquisition pour justifier l'usage de la « question » : « Le militaire atteint, théologiquement, la "véritable charité" thomiste, écrit le sociologue, en faisant de la souffrance infligée, et ressentie par le suspect, l'instrument de la rédemption de celui-ci, donc de sa culpabi¬lité. » La référence aux principes inquisitoires de l'Église catholique sera aussi le fait, nous le verrons, des tortionnaires argentins, qui n'hésiteront pas à torturer leurs victimes en brandissant la croix du Christ...
A l'époque, les articles de Cornelius ne passent pas inaperçus : dès décembre 1958, le révérend père Leblond, dans la revue Études, met en cause la Cité catholique au motif qu'elle justifierait la torture en Algérie. Un mois plus tard, Jean Ousset répond point par point au jésuite pour défendre le mys¬térieux auteur. Puis c'est au tour de France-Observateur, de L'Humanité, de L'Express et, enfin, de la revue Esprit qui stigmatise la Cité catholique dans un article intitulé « L'intégrisme et le national-catholicisme ». Face aux attaques, Jean Ousset demande une audience au pape Jean XXIII, qui le reçoit le 16 février 1959...
La croisade anticommuniste : « La Cité catholique n'a pas eu à noyauter l'armée, elle a trouvé dans l'armée des officiers qui avaient cette prédisposition profonde pour l'ordre, elle n'a eu qu'à les rassembler, c'est je crois ce qui explique la puissance de la Cité à cette époque », explique Georges Sauge, dans une interview accordée au journaliste Frédéric Laurent.. L'homme sait de quoi il parle : né en 1920, cet ancien mili¬tant des jeunesses communistes se convertit au catholicisme, avant de rejoindre les rangs de l'intégrisme le plus radical. En 1946, il fonde le bimensuel L’Homme nouveau, pour « lutter contre l'infiltration marxiste dans les milieux catholiques ». En 1956, ce « catholique de choc » qui « déclara la guerre sainte aux communistes» crée un outil pour sa croisade: le Centre d'études supérieures de psychologie sociale (CESPS), grâce auquel il multiplie les conférences dans les ins¬tituts militaires, comme Polytechnique ou l'École supérieure de guerre.
C'est ainsi qu'il organise, le 30 avril 1959, un prestigieux dîner-débat, auquel sont conviés, entre autres, l'éternel général Chassin, mais aussi le général Edmond Jouhaud, alors chef d'état-major de l'armée de l'air et futur putschiste. Devant un parterre d'officiers de haut rang, Sauge tient une confé¬rence intitulée « L'armée face à la guerre psychologique », dont le texte est reproduit dans La Saint-Cyrienne, l'organe de l'association des anciens élèves de la prestigieuse école. Faisant référence aux événements du 13 mai 1958, il n’hésite pas à déclarer: « Ces jours qui ébranlèrent Alger peuvent amorcer un mouvement que l'histoire retiendra comme une signification provid¬entielle en faveur des Francs et de leur mission civilisatrice au service de Dieu », et d'ajouter : « Les militaires représentent [...] la vérité, la grandeur, la puissance de notre patrie, qu'ils protègent dans le dernier verrou de la liberté: la dignité de l'homme sur la terre d'Afrique. »
En novembre 1959, Georges Sauge, dont les affinités avec la Cité catho¬lique sont de notoriété publique, crée les Comités civiques pour l'ordre chré¬tien avec l'ambition de les implanter un peu partout en France, et surtout en Algérie. Lors du lancement officiel, il réunit les combattants anticommunistes les plus en vue : Pierre Poujade, Jean-Marie Le Pen, le docteur Bernard Lefè¬ou, Jacques Isorni, qui fut l'avocat du maréchal Pétain. A là fin de la soirée, l’assistance est invitée à prêter serment:
« A l'heure où notre pays est une île battue par les flots montants de la haine et de l'imposture, Conscient de la nécessité pour chacun de nous d'être un croisé qui défend les valeurs chrétiennes de la civilisation dont nous sommes les héritiers et la tradition de notre patrie, gage de sa liberté et de la nôtre,
« Je m'engage :
- à étudier les ruses de la subversion afin d'être en mesure de les déjouer et la dénoncer, [...]
- à joindre mes efforts à tous ceux, d'où qu'ils viennent, qui, ayant mesuré comme moi la grandeur du péril, sont résolus à le conjurer. »
Les deux mamelles de la « doctrine française » : Au moment où se prépare le putsch d'Alger, la « doctrine française » est enfin prête : d'un côté, un outil pratique, constitué de méthodes de guerre contre-révolutionnaire que la bataille d'Alger a permis d'éprouver; de l'autre, une idéologie, le national-catholicisme, élaboré principalement par Jean Ousset et Georges Sauge, qui apporte une justification théorique aux nouvel¬les pratiques militaires. « La logique de la guerre révolutionnaire, ce n'est pas la guerre en soi, confirme Georges Sauge, mais le discours politique et logique qui la sous-tend; or la guerre contre-révolutionnaire que ces offi¬ciers avaient conçue n'avait pas de logique ni de support idéologique. »
De fait, conscients que « l'élaboration d'une doctrine contre-révolutionnaire passe par la réflexion sur les racines spirituelles de l'Occident et de la foi chrétienne, commentent les historiens Paul et Marie-Catherine Villatoux, cer¬tains officiers, sous la pression d'activistes civils, basculent dans l'intégrisme catholique où ils puisent les bases d'une idéologie capable de donner la réplique à la propagande subversive de l'ennemi».
Cette interprétation est partagée par l'Américain John S. Ambler, lequel, analysant l'idéologie qui sous-tend ce qu'il appelle la French School, y dis¬tingue trois courants confluents : des auteurs avec des idéaux démocratiques et vaguement chrétiens qui mettent l'accent sur la renaissance du patrio¬tisme ; le « national-catholicisme », véhiculé notamment par la Cité Catho¬lique; et le «national-communisme » (version plus radicale, à ses yeux, du national-socialisme), représenté par les colonels Argoud et Trinquier.
En Algérie, la diffusion du versant idéologique de la doctrine contre-révolu¬tionnaire est principalement assurée par les officiers du 5e bureau de la 10e région militaire, pour qui la revue Verbe est devenue le support théorique de référence, et qui n'hésitent plus à faire de « dangereuses incursions dans le domaine de la prise de décision politique ». Sous la houlette du colonel Gardes et de son adjoint le commandant Cogniet, qui sont, nous l'avons vu, deux membres actifs de la Cité catholique, le 5e bureau entretient de plus en plus ouvertement des liaisons dange¬reuses avec l'extrême droite locale ou métropolitaine, à laquelle la guerre d'Algérie a permis de sortir de l'isolement où elle végétait depuis la Libération.
C'est ainsi que dans la mouvance des milieux adeptes de la guerre révolu¬tionnaire se trament une multitude de complots ultranationalistes, voire car¬rément fascistes, comme l'organisation du «Grand O » qui, se voulant le calque inversé de la franc-maçonnerie, agglutine une kyrielle de personnages tous liés à l'élaboration de la « doctrine française », que ce soit à travers l'École supérieure de guerre, la Cité catholique ou l'ACUF, l'Association des anciens combattants de l'Union française. Conçu par le mystérieux docteur Félix Mar¬tin, le « Grand O » rassemble, en vrac, le général Charrière, l'ancien commandant en chef en Algérie (alias Grand A), l'incontournable général Chassin (alias Grand B), mais aussi Yves Gignac, le fondateur de l'ACUF, ou, pour ne citer que les personnages que nous avons croisés, le capitaine de cor-vette Jean Joba, conférencier phare de l'École supérieure de guerre, le colon et « soldat du Christ-Roi » Robert Martel, bien connu de Jean Ousset et du « moine-soldat » Georges Grasset, le général Lecomte, directeur de l'ESG, ou le colonel Thomazo, patron des Unités territoriales en Algérie.
Au moment où la « doctrine française » devient la coqueluche des aca¬démies militaires internationales, tout ce beau monde s'active en préparant le « grand jour »...

(Merci, merci Marie-Monique ROBIN )


(Le gentil temps...)

Mos cors s'alegr'e s'esjau
Per lo gentil temps suau
Et comment, après l'estranh mazel, l'« étrange
boucherie » de Béziers
N'ont su ni pu résister
ni à Montréal ni à Fanjeaux,
Pourtant cités par Peire Vidal le Fou,
Fils à Toulouse d'un marchand de pelisses
Qui disait de ce dernier (Fanjeaux ):
Que.m ressembla Paradis
Qu'amors e jois s'i enclau
Comme dit la chanson : ils ne trouveront personne
qui leur résistera
Ainsi furent pris Montréal, Fanjeaux et leur pays
Et sans cela, foi que je vous dois,
Aujourd'hui encore la force n'en aurait eu raison.
Mon coeur se réjouit et s'esjau
(s'esjauzir, d'ex gaudere, être ravi, dans la joie...)
Pour le beau temps, gentil temps suau
E pel (per lo) castel (château, castellum) de Fanjau
Que.m ressembla Paradis
(Qui me ressemble, qui ressemble toujours
pour moi, au Paradis)
Qu'amors e jois s'i enclau
Que (car) amour et joi (masculin
de joie, mais qui ne viendrait pas, paraît-il, du tout
de Gaudium,
Et resterait donc, selon les plus grands érudits, intraduisible)
s'y renferment,
E tot quant a pretz s'abau
Et tout ce qui convient à Prix (mérite)
(A savoir : tout ce qui a l'aval du Pretz,
tout ce qui, en ce monde, a du prix)
E domneis verais e fis
Vraie et parfaite courtoisie

Et ainsi fut rapatriée et acclimatée sur le sol européen,
En terre de chrétienté,
La guerre chirurgicale,
C'est-à-dire la terreur intégrale, la prise en otage
Des populations civiles,
(Comme le dit Henri Gougaud dans sa traduction - adaptation,
Qui pour une fois tombe juste :
« Tout château résistant, toute ville rétive
Seront pris par force et réduite en charniers.
Qu'on n'y laisse pas vivant pas même un nouveau-né. »
- Peu importe si Arnaud Amalric a vraiment prononcé
sa fameuse phrase -
« C'est pourquoi à Béziers ils sont détruits et mis à mal;
Pas un n'en réchappe: c'est l'horreur intégrale.
Ils tuent tous ceux qui se sont réfugiés dans les églises,
Et ni croix ni autel ni crucifix ne peut les sauver »

(Ce qui dans la version-remake de Gougaud, donne :
« On fait donc à Béziers un carnage exemplaire :
Pas un seul survivant. Qui dit mieux - qui dit pire ?
L'église ? Un abattoir. Le sang mouille les fresques.
La croix n'arrête pas les ribauds : prêtres, femmes,
Enfants et vieilles gens, tous trucidés, vous dis-je. »)

E femnas e efans, dit la chanson seulement,
Mais l'on peut aussi supposer les vieillards,
Oui, près de 20 000, en « dommages collatéraux »,
en « traitement d'objectif »,

C'anc mais tan fera mort del temps sarrazinis
No cuge que fos faita...
« Je crois bien que jamais depuis le temps des Sarrazins
Le monde ne connut plus sauvage tuerie. »
(Mais là, à mon sens, il se trompe plus gravement,
le Gougaud. Lisons plus clair :
« Jamais une aussi sauvage tuerie, je crois, fut perpétrée
au temps des Sarrazins... »
Ce qui est tout de même autre chose).

Non ai enemic tan brau,
Si las domnas mi mentau
Ni m'en ditz honor e lau
Je n'ai d'ennemi tant brau (rude, dur, mauvais)
S’il me cite, me vante, me célèbre
(mentau, de mentaure)
les dames, ou m'en dit honneur et louange,

De là-bas,
Qu'eu no.l sia bos amis
(Qui n'en devienne mon meilleur ami)

A Minerve, 140
(Et Arnaud Amalric, abbé de Cïteaux,
susurra à Montfort
en aparté : « Ne crains rien,
bien peu se convertiront. » )

A Lavaur, 400
(« gens du peuple », sans parler
de Na Giralda, « qui pleure qui crie
et qui braille » selon la chanson,
et des 80 pendus,
tous chevaliers occitans, avec parmi eux
Aimery de Montréal)

A Rabastens, 60
(Et l'église de Notre Dame du Bourg
fut entièrement reconstruite
avec les biens confisqués des hérétiques)

A Gaillac, (où l'on brûla
le sénéchal du comte )

A Casseneuil (où, selon la chanson,
« l'on jeta dans le feu
mainte belle hérétique » )

A Termes,
A Bram,
A Puylaurens,
A Moissac,
A Marmande,
A Castres,
(Et j’en oublie,
J’en oublie !)

Puis, les statuts de Pamiers
(Ce qui, pour l'historien fantaisiste
Gérard de Sède
Lequel, pour une fois, pour rien au monde ne fabule,
Équivaut « à une charte d'administration coloniale »
- Et de l'avis même du grand bénédictin, Dom Vaissete,
Entraîna la tentative de substitution imposée
Des coutumes de Paris et de l'Ile-¬de-France;
A savoir: la plus stricte application
de la primogéniture;
La non-reconnaissance du droit
à l’héritage foncier des femmes;
La suppression des libertés et des immunités municipales;
La défense à toute veuve et à toute héritière de la noblesse occitane
De se marier pendant dix ans d’autres que des Français...)

SUS DONC SOLDATS DU CHRIST!
SUS DONC NOVICES INTRÉPIDES
DE LA MILICE CHRETIENNE
EFFORCEZ-VOUS DE PACIFIER CES POPULATIONS
AU NOM DU DIEU DE PAIX ET D'AMOUR

(Ce qui constitue non seulement
l'acte de naissance
et la tentation caractéristique
de la théocratie romaine
mais se trouve déjà
à l'exacte intersection
entre passion sectaire, autoritarisme
et fonction identitaire )

Mos bels arquiers de Laurac
De cui m'abelis e-m pac
Bel archer, aux beaux sourcils
Recourbés comme un arc turc
M'a nafrat, tu m'as navré,
de part Galhac
M'a atteint, m'a frappé,
Aux environs de Gaillac
de Fin'Amors, d'amour ùdhrite
Et depuis lors je hante
les campements abandonnés
Aux alentours ou au-delà
de Gailhac
E son cairel,
son carreau, sa flèche d'arbalète
(Arme que l'Eglise avait
voulu interdire cinquante années auparavant
Et que, selon le moine de Montaudon,
il est impoli d'utiliser dans un tournoi )

El cor mis, au coeur m'a mis,
Et jamais coup tant ne m’a plu
Et anc mais colps tant no.m plac
Jamais si ravissante blessure

Et si tu es Louve
Je me ferai habiller en peau de loup,
Et je m'appellerai Majnùn

si tu es Leila

Deux siècles avant Juan de la Cruz,
Peire, « lo fols de » Peire Vidal

Mais Laurac, Gailhac, Saissac,
Montréal, Fanjeaux, Cabaret
Et les autres riants châteaux,
On sait ce qu’il en a été, ce qu’il en est

Simon va s’en emparer
En y implantant ses usurpateurs
(que l'on sait),
comme loups en tanière,
En faisant de Carcassonne déjà
la ville de garnison (que l'on sait),
pour la « projection des forces »
encore plus vers le sud
À moins d'en raser seulement les remparts
pour en faire le lieu de prédilection
des herboristes et des alouettes.

A Deu coman Montrial
Dieu ait en sa garde Montréal
Et le palais impérial
Mais, quant à moi, eu m'en torn, je m'en retourne
Sai, en Provence, a.N Barral
Auprès du Marseillais Barral
e cobrar m'en Proensal
Les Provençaux vont me retrouver
Les Provençaux, après huit siècles, vont rapiécer/reprendre
les mailles perdues du chant

(Nouveaux Rendez-vous...)

Il y a plus de quinze ans, nous avons commenté la révi¬sion des lignes directrices du Concile, telle qu'elle avait été élaborée sous la direction de Karol Wojtyla. Une révision qui était alors devenue motif d'affrontement manifeste entre les évêques lors des Synodes mondiaux de 1985 et de 1987.
Comme cela a souvent été le cas au cours de l'histoire, le différend était le reflet interne - au sein de la hiérarchie et du corps militant du clergé séculier et des ordres religieux - d'une bataille straté¬gique que l'organisation ecclésiale menait à l'extérieur. La question centrale portait sur la mutation sociale dé¬coulant dé la maturité impérialiste.
Dans le débat sur le primat pontifical, sur les pouvoirs des Conférences épis¬copales nationales, sur les « mouvements» ecclésiaux, jus¬qu'aux questions, concernant le célibat des prêtres ou l'ordination des femmes, questions soulevées par les évê¬ques américains, on pouvait identifier ce que Joseph Ratzinger considérait comme une situation de difficulté de l'Église, présente depuis une vingtaine d'années.
Pour le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi - l'ancien Saint-Office - dans cette crise se com-binaient, au sein même de l'Église, le déchaînement « de forces latentes agressives et centrifuges parfois irresponsables ou tout simplement naïves, d'un optimisme facile, d'une exagéra¬tion de la modernité qui a fini par confondre le progrès techni¬que moderne avec le progrès authentique, intégral » et à l'ex¬térieur, «l’affirmation, en Occident, des couches moyennes et supérieures de !a nouvelle « bourgeoisie du tertiaire , avec son idéologie libérale-radicale de type individualiste, rationaliste, hédoniste ».
Les tendances centrifuges qui mettaient en discussion la relation avec le centre romain reflétaient le risque d'une «protestantisation», et cela précisément parce que le protestantisme étant davantage lié à la modernité, il en devenait aussi plus fragile et plus influençable.
C'était, à l'époque, le vingtième anniversaire de 1968, et commençait à se répandre la thèse selon laquelle cette parodie de révolution avait été certes une défaite poli¬tique, «mais une victoire sur le plan des mœurs». La percep¬tion corrosive et sociologiquement exacte dont le cardi¬nal Ratzinger faisait preuve à propos de ce phénomène contri¬buait à faire pressentir la défaite des représentants de cette couche intellectuelle frivole et modernisante, alors même que se généralisait la psychologie sociale de l'in-dividualisme et de la consommation de masse.
Dans ce sens, face au vide pneumatique des cerveaux et face au dépérissement inexorable des mythologies politiques, le «rendez-vous » auprès du Saint-Office » était déjà fixé, pour eux et pour leurs enfants. C'était une prophétie facile. Elle fut vérifiée moins de dix ans plus tard, avec la mobilisation de jeunes défilant sur le Champ de Mars à Paris ou, en l’an 2000, sur l’esplanade de Tor Vergata à Rome : une véritable « démonstration de force du parti euro-vatican», à l'occasion de laquelle la con¬frontation interne semblait. avoir trouvé, elle aussi, un point final.

Une intervention de Ratzinger au Centre d'orientation politique, parue dans II Foglio, développe deux thèmes de ce même filon de réflexion des années quatre-vingt. Le premier renvoie à la question de la mondialisation, décrite comme une « unification progressive » : «Toutes les cultures se côtoient en permanence, affirme Ratzinger, en Eu¬rope, sont présentes l’Afrique et l’Asie, ainsi que le monde musulman ; dans les autres parties du monde, sont présentes aussi les autres cultures. Il y a surtout une présence universelle de la culture technique née en Occident et qui est déterminante dans toutes les parties du monde pour la vie quotidienne . Il y a, pour ainsi dire, une présence unifiante de la culture technique et, par conséquent, de la culture laïque ».

A travers l'image de l'unification culturelle, nous re¬trouvons dans les propos de Ratzinger le cycle inégala-ble de la diffusion universelle du mode de production capitaliste qui a refermé le cercle séculaire du proces¬sus de création du marché mondial. Si d'une part cela crée, selon Ratzinger; une « unification jusqu’à l'uniformi¬sation », d'autre part cela provoque « rébellion, résistance vis-à-vis de cette imposition, vis-à-vis d'une culture lointaine qui apparaît aussi, malgré tous les avantages qu'elle comporte, comme une imposition étrangère et une menace contre sa propre iden¬tité». C'est la raison pour laquelle l'uniformisation et la « particularisation » des cultures marchent ensemble ; la culture technique est «considérée comme étant occidentale, l'Occident est identifié avec !e christianisme, et donc cette opposi¬tion s'attaque non seulement à l'Occident, mais elle devient éga¬lement une opposition croissante contre la chrétienté et le chris¬tianisme». Le casse-tête de la modernité, dans l'ère du développement global, consiste à « trouver une réponse juste entre unité et multiplicité ».
Là aussi, il n'est pas difficile de retrouver l'écho de ce qui, en termes d'analyse marxiste, est décrite comme la dialectique de l’ «unité et de la scission » de l'impérialisme uni¬taire. Cette question, nous l'avons vu, a déjà été abor¬dée par le passé par Camillo Ruini, président de la Con¬férence épiscopale italienne, avec une attention cependant plus marquée pour la dynamique du jeu entre les puissances. Le processus d' « unification progressive » auquel fait allusion Ratzinger représente aussi, d'après Ruini, un cycle historique qui est en train de se conclure, une ère au cours de laquelle l'Occident a joui de « deux siè¬cles de domination incontestée et qui est maintenant en train de s’achever». Le versant de la « particularisation » et de la « multiplicité » que Ratzinger décrit en mettant l'accent sur¬tout sur le développement inégal entre l'Occident et le¬ reste du monde - présente plutôt, chez Ruïni, le caractère réaliste de l'irruption de nouvelles puissances.
Peut-être est-ce simplement poux des raisons d'exposition, toujours est-il que, chez le premier, l'attention porte davantage sur le ressentiment du monde islamique, alors que chez le second, elle porte sur la césure historique qui a déplacé en Asie le barycentre du développement mondial. Pour Ruini, de ces nouvelles régions - qui ne sont plus seulement le «monde de la pauvreté et du sous¬-développement» - émergent de « très grandes nations » se présentant comme des acteurs «dont les racines et les tra¬ditions ne sont pas chrétiennes». La véritable offre politi¬que formulée par les évêques se base sur la thèse selon laquelle l’Occident, et notamment l'Europe, ne peu¬vent faire face à un tel bouleversement qu'en gardant jalousement leur propre identité ; dans cette tâche, l'Église a un rôle à jouer, aux côtés des expressions po¬litiques et étatiques de la société libérale.
La seconde question dont se sert Ratzinger est liée à la première, dans la mesure où le même développement capitaliste qui a répandu la technique - en faisant de celle-ci le caractère dominant de l'unification du monde - a aussi considérablement augmenté « le pouvoir de l'homme» : « Un pouvoir qui va jusqu’à là possibilité de l’auto¬destruction, de la destruction de notre propre planète ; un pou¬voir qui, de l’ autre côté, est arrivé jusqu'aux racines de notre être : l'homme est capable de faire l’ homme, de produire l’ homme en laboratoire ».
Dans les risques implicites de cette capacité « en elle¬-même positive » - l'homme manufacturé, l'homme qui devient marchandise, l'homme qui devient laboratoire - Ratzinger voit l'effet d'une disproportion entre dé¬veloppement technique et morale. D'une part, il y a « cette crois¬sance, inimaginable jusqu’il y a peu de temps, de nos capaci¬tés, de nos possibilités, de notre pouvoir ». D'autre part, « cette capacité de faire, cette capacité de produire, ces connaissances de la recherche qui vont jusqu aux racines de l’ être n’ont pas fait croître notre capacité morale dans une égale proportion».
Derrière cette; formule de la « capacité morale », travestie par la représentation idéaliste de l'idéologie religieuse, apparaît la contradiction entre développement des forces productives et rapports de production: le capital s'approprie unilatéralement une force qui est, par sa nature même, sociale - la capacité scientifique et technique - et la rend ainsi otage du chaos capitaliste. De toute manière, dans ce « déséquili¬bre» décrit précisément comme conflit entre pouvoir technique et capacité morale d'en maîtriser les consé¬quences sur l'homme, les évêques saisissent l'occasion pour insister une fois de plus sur leur rôle, en tant que point de repère dans un processus dont la logique indi¬vidualiste n'est pas à même de garantir le contrôle.
Nous reviendrons sut les termes de cette double offre politique. L'idéologie religieuse appose le pansement de la « morale » là où il y a une contradiction, et envoie le tout dans les cieux de la transcendance; toutefois, les contradictions ne disparaissent pas pour autant et l'Église, tout en les assumant, n'en est pas moins touchée. Il suffit de penser, par exemple - face à ce moment de définition que constitue la guerre du Golfe et face aux divisions qui en découlent, depuis les deux rives de l’Atlantique jusqu'aux lignes de faille entre catholiques et protestants - combien la notion même d'Occident est ambiguë. Pour l'heure, nous remarquons que le débat actuel, qui se présente comme une ques¬tion de « valeurs » et de stabilité morale des sociétés con¬temporaines, part, suivant l'initiative du Vatican, de la con¬frontation post-conciliaire des années quatre-vingt tout en la transformant.
Aux questions « sociales » - c’est ainsi que, dans le débat américain, sont définies les questions sur la famille, sur l'avortement et sur la bioéthique - s'est ajoutée la question des tensions internationales. Non dans la dé¬clinaison générique et indéterminée d'une certaine rhé¬torique pacifiste, qui demeure pourtant dans les cordes de la pastorale catholique, mais dans le sens précis des nouveaux inconnus que le déclin relatif de l'Occident fait planer sur la stabilité sociale de l'Europe et des États ¬Unis.

C'est sur ces sujets, sans doute, que le nouveau rendez-¬vous auprès du Saint-Office est d'ores et déjà fixé.
,
( Merci, Lotta comunista, novembre 2004, merci)

 

(Arles, le 6 février 1211...)

Arles, le 6 février 1211.
(On attendait les légats dehors sur le parvis,
au grand froid, en plein vent ).

« Sitôt que le comte eût la charte, discrètement il appela son écrivain, qui la lui lut lentement d'un bout à l'autre. Quand il l'eut entendue, il fit signe au roi d'Aragon, tout ému de colère : « Venez çà, sire roi », lui dit-il avec un sourire [avec un sourire], « écoutez ce qui est écrit en cette charte et l'étrange commandement que me signifient les légats pour que j'y obéisse». Le roi en fit faire aussitôt une nouvelle lecture et, quand il l'eût entendue, il dit tout simplement, d'un ton calme [d’un ton calme] : « Voilà qui a bien besoin d'être amendé par le Père tout-puissant».

Arles, le 6 février 1211.
(On attendait les légats dehors sur le parvis,
au grand froid, en plein vent )

(Audiart...)

Mais Audiart, Audiart,
Avec son sourire de biais,
Qui n'est jamais à court d'une ironie,
Ne recule jamais devant un calembour, un paradoxe,
Audiart, alias Raimon VI de Toulouse
Qui porte en commun
Avec le trobador Raimon de Miraval
Un nom de femme: faux méchant, faux cynique
Devenu renard vrai par talent et par ruse,
Par inclination, mais surtout par nécessité,
Habile par bonté, préférant l'intrigue à la conquête,
L'entente à la domination, l’adresse à la force pure,
Nouant et dénouant les fils
Patients de sa toile d'influence
A force de fêtes, à force de chansons
A force de femmes, à force d'ostentation
A force d'éclat, de dépenses somptuaires
A force de crédit : un renard doux, un faux frère
S'entendant comme larron en foire
Avec les manants et les palefreniers,
S'appuyant déjà massivement sur la bourgeoisie, les juristes
Qui se flattent de ses amabilités, de ses complicités, de ses commandes
De ses députations, de ses délégations
De ses frasques, de ses familiarités,
Roi sans titre d'un peuple des villes presque heureux
Confondant Histoire et histoire d'amour,
Ou les conjuguant bien plutôt,
Se ralliant pour une chanson
A la mouvance de qui paiera les meilleures,
Sachant bien que la liberté suit le pas des poètes

(A savoir, les libertés concrètes
Gagnées de haute lutte sur son propre père :
Les franchises municipales, le desserrement
De l'étau des dîmes et des redevances,
L'autorisation du prêt à intérêt, la délivrance
De l'angoisse pesante des serments,
De l'interdit, des excommunications :
De s'organiser, de commercer, de contracter
Dans la libre reconnaissance de l'Autre)

Audiart, Audiart, alias Raimon VI,
Face au concile, aux stipulations des légats,
A la défaite, au louvoiement, en sa propre défense,
Que dirait-il ?
« C'est une époque où le meilleur défenseur
Aura été le plus fourbe, le plus droit le plus tortu,
Le plus loyal le plus mouvant, le plus
Résistant le plus insaisissable.
J'ai dû me faire serpent et caméléon,
Feu follet et roseau,
Qui suis soleil et lune, colombe et lumière pure,
Au jeu atroce de qui perd, gagne. »

(Morton Salt et les Salins…)

Les 2 200 habitants de Sa¬lins-de-Giraud (Bouches-du¬ Rhône) ne savent plus sur quel pied danser. Ils pou-vaient se réjouir d'apprendre que leur village allait enfin de¬venir une commune autono¬me en s'émancipant d'Arles. Une revendi¬cation vieille de 103 ans !
Mais cette satisfaction est gâchée par la confirmation des difficultés économiques du site des Salins du Midi qui pourraient se traduire par la suppression de 73 emplois sur 128.
Cette inquiétude sociale l'emporte sur tout le reste. Les salariés des Salins appel¬lent les habitants à participer demain à une opération "ville morte" pour protester contre le plan social qui touche leur entreprise et fragiliserait l'économie locale.
Aujourd'hui même, un co¬mité central d'entreprise des Salins du Midi se tient à Paris. Le débat portera sur les mesu¬res d'accompagnement du plan social annoncé par la di¬rection lors d'un précédent CCE, le 27 mars.
Ce jour-là, le groupe Salins avait annoncé la suppression de 73 des 128 postes actuelle¬ment occupés sur le site d'ex¬ploitation du sel. Et encore s'agit-il d'une hypothèse opti¬miste, conditionnée au fait que le Conseil régional PACA participe financièrement à la reconversion du site et que l'État, par l'intermédiaire du Conservatoire du littoral, ra¬chète une partie des terrains des Salins.
Si ces conditions n'étaient pas remplies, la totalité des emplois pourrait être suppri¬mée.
Les Salins du Midi envisagent de supprimer 73 des 128 emplois
La direction des Salins, res¬tée injoignable malgré nos demandes, avait, devant les re¬présentants du personnel, jus¬tifié son plan par la perte d'un gros contrat avec l'usine chimique Arkema. Et aussi par le fait que le sel produit à Salins-de-Giraud subirait durement la concurrence méditer¬ranéenne.
Zenasni Raouti, délégué CGT sur le site de Salins-de-Gi¬raud, réfute cette argumenta¬tion: « La concurrence avan¬cée par la direction vient du site que les Salins ont eux-mêmes acheté en Tunisie ! A l'origine, il avait une capacité maximale de 300 000 tonnes par an. Elle est aujourd'hui de 750 000 tonnes et on parle d'1,2 million. On nous dit que le sel tuni¬sien coûte 9 euros de moins par tonne. Mais en Tunisie les salariés sont payés 120 euros par mois ! Ici, on a déjà accepté un gel des sa¬laires. Ça suffit ! »
Derrière ce refus de princi¬pe, chaque partie fourbit ses armes en vue de négociations futures. Là direction a annon¬cé qu'elle se donnait deux mois pour boucler le dossier. Du côté des salariés et des élus, la stratégie consis¬te à gagner du temps au moins jusqu'en 2010. Les dé¬parts naturels des salariés les plus âgés pourraient permet¬tre d'éviter les licenciements envisagés.
Sollicité par les salariés et les élus, Christian Frémont, le préfet de région PACA, a prési¬dé une première réunion avant-hier. Invitée, la direc¬tion des Salins n'y a pas parti¬cipé. Le préfet et Michel Vau¬zelle, le président du conseil régional PACA, ont indiqué que l'argent public ne contri¬buerait à aucun projet pré-voyant des licenciements.
Enfin, l'avenir économique du site des Salins ne peut être séparé de l'enjeu écologique que représente la Camargue. L'exploitation salinière est es¬sentielle au maintien d'un mi¬lieu naturel vivant et à la pro¬tection contre les inonda¬tions.

Un village qui va devenir une commune autonome.
Le département des Bou¬ches-du-Rhône comptera d'ici quelques mois une commune de plus, la 120e, celle de Sa¬lins-de-Giraud. Ce qui n'est aujourd'hui qu'un village si¬tué sur la commune d'Arles (la plus étendue de France) deviendra alors une collectivi¬té locale de plein droit. Une émancipation qui répond à une demande formulée de¬puis plus d'un siècle.
Le village de Salin-de-Gi¬raud a été créé en 1856 lors de l'implantation de la société Merle qui exploitait à l'épo¬que un salin. Cette activité industrielle, qui s'est maintenue jusqu'à maintenant, a été ren¬forcée, depuis 1896, par l'im¬plantation d'une unité d'indus¬trie chimique gérée aujour¬d'hui par le groupe Solvay.
Le village a pris son essor grâce à ces activités indus¬trielles, les ouvriers étant lo¬gés sur place dans des bâti¬ments spécialement construits pour eux. Situé à plus de 40 kms d'Arles, la ville cen¬tre, le village se sent délaissé et revendique depuis long¬temps son indépendance.
En 1904, 1945, 1946, 1971, 1982, puis 2001, les habitants avaient formulé des deman¬des d'autonomie.
Après le travail d'une com¬mission d'enquête et la consultation du Conseil Muni¬cipal d'Arles et du Conseil Général des Bouches-du-Rhône (qui ont émis un avis défavo¬rable), Brice Hortefeux, le ministre délégué aux Collectivi¬tés territoriales, a autorisé «l'émancipation administra¬tive » de Salins-de-Giraud.
Le préfet des Bou¬ches-du-Rhône a jusqu'au 5 décembre 2007 pour pren¬dre un arrêté qui prononcera la dissolution du Conseil muni¬cipal d'Arles et la création de cette nouvelle commune.
L'élection des conseils mu¬nicipaux d'Arles et de Sa¬lins-de-Giraud interviendra en mars 2008, en même temps que dans toutes les commu¬nes de France:
Relais de cette demande d'autonomie exprimée par les Saliniers, le député Roland Chassain (UMP) a plaidé leur cause auprès du gouvernement. Un dossier sur lequel il s'oppose à la Municipalité arlésienne de gauche qui craint une perte de solidarité territoriale. «Une fausse querelle: Salins commune fera partie de la communauté d'agglomé¬ration Arles-Crau-Camargue-Montagnette », argumente Ro¬land Chassain.
Eric Jouveaux, président de l'association "Stop", consti¬tuée en 2001 en vue d'obtenir cette émancipation, est soula¬gé: « Les Saliniers vont pou¬voir gérer eux-mêmes leurs affaires. La construction du pont du Barcarin et les pro¬jets d'implantation économi¬que, vitaux dans le contexte que nous connaissons, se¬ront vraiment défendus, par nos propres élus municipaux. C'est une bonne nouvel¬le pour notre avenir. »
Chassain attentif
Roland Chassain, député (UMP) des Bouches-du¬-Rhône, a «longuement » rencontré Philippe Kessler, le président du groupe des Salins. II lui a fait part de son inquiétude et lui a indiqué qu'il était «nécessaire de prendre le temps de la discussion afin de trouver ensemble des solutions appropriées ». II déplore l'activisme du Maire d'Arles et de Michel Vauzelle.
Le groupe Salins
Le groupe Salins, à capitaux privés majoritairement français, est présent en Europe et Afrique. En Amérique du Nord, il est associé à Morton Salt, le leader mondial. Le groupe Salins réalise un chiffre d'affaires de près de 300 M€. Sa capacité de production installée est de 4,4 millions de tonnes. II emploie environ 1 300 personnes dans ses installations européennes. La Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est est la branche française du groupe. Elle comprend les sites d'Aigues-Mortes, Dax, Salin-de-Giraud et Varangeville pour une production totale de 2,5 millions de tonnes.

(Merci, merci Gérard DURAND)

 

(Lavaur...)

Je l'ai encore
Retrouvé par hasard
En feuilletant le bottin :
Lavaur où l'on fit
Jeter Na Giralda
En un puits
Il y a près de huit siècles :
« Et ce fut en vérité
Folie et crime
Sachez-le, car jamais
Homme ne la quitta
Sans être rassasié».
Et le puits, on le fit combler
De pierres au grand émoi de la foule.

Lavaur, le mauvais sandwich
Dans l'arrière-salle
Graisseuse du Bar du Marché.
Les rires, les énormes
Rires de connivence
De ceux qui trinquaient
Là - Oh, de bon coeur,
Certes, et sans un instant
Entamer notre joie:
Et comment
Tu rayonnais là parmi
Les papiers à mouche et les
Fleurs de formica. Mon désir
De toi. Et tu disais :
« L'Enfant, ah oui, l'Enfant,
C'est là le grand piège».
En riant. Le bonheur, sans doute,
Nous l'avions à portée de main.

Sans doute. Mais cela ne devait
Pas être. Et pourtant, pourtant
Aussitôt tu ajoutas :
« Comment cela se passerait-il
Si l'on débarquait
Là-bas ensemble comme ça,
Devant tout le monde... ?
Presque gagnée
Avec les sandwichs
Trop épais qui passaient
Mal et la pièce qui nageait
Dans la crasse, les crottes de mouche
Le formica et le vin
Triste, trop triste des vies,
De trop de vies
De Lavaur, ville stagnante,
Sans issue. « Maintenant, je dois
Rentrer, accompagne-moi
Vingt kilomètres, le reste
Je le ferai en stop. »
Et dehors, il y avait bien
Toujours la lumière, la
Fine, haute, incomparable
Lumière de toujours de Lavaur,
Ville-dortoir d'étourneaux. Puis
Dans un tournant
Quelque part un peu plus loin,
Un cèdre. « Tout est toujours
Là, il suffit de regarder».

Oui, bien sûr. Bien sûr, sans doute.
Mais quant à moi, je ne sais
Quand ni comment
Je reverrai Lavaur
Ville oubliée à la haute
Lumière où l'on fit
(Il y a près de huit siècles)
Jeter Na Giralda en un puits.

(Matin d'Automne : Chemin de Muret…)

Ce matin d'octobre la lumière est si belle,
Comme une fête inconnue,
imprévisible,
une hautaine fantasia,
une lumière si fine, si haute
qu'elle en est audible,
alors
quittant le lit argileux
des amours incertaines,

Toute la cavalcade du jour
intempestivement m'a rejoint
un soudain éclat
d'adresse et d'étourderie
une masse d'armes mouvante et miroitante,
de blasons, de bannières, de jeunesse,
d'adresse et de cavalerie,
caracolant, riant, devisant d'amour
de vers et de fauconnerie,
sur la route m'a rejoint, m'a soudain envahi
(ce moment où un peuple
fou d'amour s'assemble)
et je suis à nouveau
parmi eux
sur le chemin de Muret
en quittant le goût argileux
des amours sans lendemain
et tout le gâchis du temps

Et
c'est d'une bien longue chevauchée qu'il va s'agir
Vers une autre histoire, celle d'une Europe autre
(Bientôt, à nouveau, celle de l'ombre ? )
Oui, nous reprendrons ce chemin trop longtemps effacé,
trop savamment escamoté, trop
ostensiblement ignoré,
pour être dit vieux
(Qui est pourtant celui de notre liberté
et notre plaie secrète).

Quoi qu'il advienne, je pense que nous aurons raison
de céder à ce dur et doux défi, à ce signe
laconique et courtois,
proféré des yeux seuls, dans le silence
de la mi-saison
- Ici, par exemple, dans les premières brumes,
au bas du talus, parmi les pins ( à Homps ! ),
Cette piste de moût de raisin et de résine
Vers une autre dimension du Temps !
(On y entre presque par inadvertance,
de par une porte invisible
A condition d'avoir retrouvé, d’avoir recouvré
les yeux, les seuls yeux du voir ! )

Lo reis Peyr' d Aragon una seror dona
Al comte de Tolosa, e puis s'en marida
Un'autra a so filh, malgrat d'aquels de sa
Et s'es mes en la guerra e si ditz que vindra
Ab be mil cavaliers, que tot pagatz les a;
E si los crozatz troba, ab lor se combatra
E nos, si tant vivem, veirem cals vencera,
E metrem en estoria so que nos membrera
E escriverem encara so que nos sovindra
Et écrirons encore ce dont il nous souviendra
(Maintenant je m'en souviens)

Et
toute la cavalcade du jour intempestivement
m'a rejoint
Un soudain éclat
D’adresse et d'étourderie
amors e joven, foudatz e sen
une masse d'armes
mouvante et miroitante,
de blasons, de bannières, d'enseignes
et de cavalerie
caracolant, riant, devisant d'amour
de vers et de fauconnerie
(Ce moment où un peuple
fou d'amour s'assemble)
m'a un instant rejoint, m'a envahi
et je veux être là
à nouveau parmi eux
sur le chemin de Muret
(Moi qui ai quitté Cordoue et l'interminable
Noël de tes yeux)

En ces heures
Où tout ce qu'une mouvance pouvait rallier
De libre, de hautain, d'enjoué, de généreux
A toisé, a regardé de haut
L’autoritarisme, le fanatisme, le sectarisme,
Le goût du viol, de la domination, la haine de soi,
de ses yeux rieurs
Et d'un geste trop nonchalant
a relevé le gant :

Aras aujatz, senhors, co fo e escoutatz :
Tout le genre humain en fut diminué
de valeur, sachez-le
En vérité, car Paratge en fut anéanti
Et exilé, et toute la chrétienté
Rabaissée et couverte d'opprobre
Et qu'importe dans le fond de savoir
Si ce fut la lettre volée, la lettre pour Azalaïs
(ou bien provenant d'elle)

La lettre d'amour interceptée par les clercs
dans un bois près de Boulbonne
Celieys cui am de cor e de saber
(Celle que j'aime de coeur et de savoir)
« On verra bien ce que vaut sa pute
face à la Vierge Marie »
(Celle que j'aime de coeur et de savoir-saveur)
Qu'importe, dans le fond, comment cela
a pu arriver :
Duplicité des Toulousains, étourderie catalane,
écart de culture, d'honneur, de siècle
Déréglementation des conventions tacites
de la guerre aristocratique méridionale
Que sais-je, ou peut-être - pourquoi pas ? - tout simplement
une contrariété ( ou mieux encore,
un trop grand bonheur ! ) d'amour
Ce qui compte bien plus, c'est ce qui fut brisé là

Et nous mettrons en histoire ce dont
Nous nous remembrons

EXPOSEES EN PROIE, ces terres
« Pour ne pas avoir expulsé les hérétiques,
pour les avoir favorisés, eux et leurs fauteurs
pour avoir confié à des juifs des offices publics
pour ce qu'on dit que je n'ai pas gardé
les serments d'observer la paix »
(Traduire : la soumission aux occupants )
... sont venus
eux aussi
au nom de la paix et de l'amour
des droits de Dieu
des libertés ecclésiastiques
sont venus
eux aussi
pour la paix de la Terre et la pacification
ont frappé d'anathème, d'interdit
saisi proscrit assassiné torturé brûlé
au nom de la mansuétude divine
et pour défendre l'honneur
de l'Epouse du Christ
au nom de
l'ordre moral
et de la rectitude reproductive
sont venus
eux aussi

et le midi languedocien
a flambé de napalm
vingt ans

(The ‘Process’...)

These methods of physical and psychological coercion [physical and psychological coercion] were used by the military intelligence in a sys¬tematic way [in a sys¬tematic way] to gain confessions and extract information or other forms of co-operation from per¬sons who had been arrested in connection with suspected secu¬rity offences or deemed to have an "intelligence value." [Emphasis added].
The seven men were all placed in hoods, he said, and the beating began. "They beat our heads on the walls and the doors," he said. "I don't really know: I couldn't see." He said his jaw had been broken [his jaw had been broken], badly enough that he still has trouble eating. In all, he said, he believes that he received about 50 blows over about two hours.
"Then the interpreter told us to strip," he said. "We told him: `You are Egyptian, and you are a Mus¬lim. You know that as Muslims we can't do that [as Muslims we can't do that].' When we refused to take off our clothes, they beat us and tore our clothes off with a blade."
It was at this moment in the in¬terview ... that several pages of the photographs made public last week were produced.... He quickly and unemotionally pointed out all his friends -Hussein, Ah¬med, Hashim- naked, hooded, twisted around each other.
He also saw himself, as de¬graded as possible [as de¬graded as possible]: naked, his hand on his genitals, a female sol¬dier, pointing and smiling with a cigarette in her mouth. Mr. Abd said one of the soldiers had removed his hood, and the translator ordered him to masturbate while looking at Pri¬vate England....
"She was laughing, and she put her hands on her breasts," Mr. Abd said. "Of course, I couldn't do it. I told them that I couldn't, so they beat me in the stomach [beat me in the stomach], and I fell to the ground. The trans¬lator said, `Do it! Do it! It's better than being beaten.' I said, `How can I do it?' So I put my hand on my penis, just pretending."
These methods of physical and psychological coercion [physical and psychological coercion] were used by the military intelligence in a sys¬tematic way [in a sys¬tematic way] to gain confessions and extract information or other forms of co-operation from per¬sons who had been arrested in connection with suspected secu¬rity offences or deemed to have an "intelligence value." [Emphasis added].
• Hooding, used to prevent peo¬ple from seeing and to disorient them, and also to prevent them from breathing [breathing] freely. One or sometimes two bags, sometimes with an elastic blindfold over the eyes which, when slipped down, further impeded proper breath¬ing [breathing]. Hooding was sometimes used in conjunction with beatings thus increasing anxiety [anxiety] as to when blows would come. The practice of hooding, also enabled the inter¬rogators to remain anonymous and thus to act with impunity [thus to act with impunity]. Hooding could last for periods from a few hours to up to two to four consecutive days.
• Handcuffing with flexi-cuffs, which were sometimes made so tight and used for such extended periods that they caused skin le¬sions and long-term after-effects [skin le¬sions and long-term after-effects] on the hands (nerve damage), as observed by the ICRC;
• Beatings with hard objects (including pistols and rifles), slap¬ping, punching, kicking with knees or feet on various parts of the body (legs, sides, lower back, groin);
• Being paraded naked outside cells in front of other persons de¬prived of their liberty, and guards, sometimes hooded or with women's underwear over the head . . . ;
• Being attached repeatedly over several days ... with hand¬cuffs to the bars of their cell door in humiliating [humiliating] (i.e. naked or in underwear) and/or uncomfortable position causing physical pain;
• Exposure while hooded to loud noise or music, prolonged exposure while hooded to the sun over several hours, including dur¬ing the hottest time of the day when temperatures could reach. . .122 degrees Fahrenheit. . . or higher;
• Being forced to remain for prolonged periods in stress posi¬tions such as squatting or standing with or without the arms lifted.
These methods of physical and psychological coercion [physical and psychological coercion] were used by the military intelligence in a sys¬tematic way [in a sys¬tematic way] to gain confessions and extract information or other forms of co-operation from per¬sons who had been arrested in connection with suspected secu¬rity offences or deemed to have an "intelligence value." [Emphasis added].
« When the Red Cross delegates requested an explanation from the authorities ... the military intelligence officer in charge of the interrogation explained that this practice was ‘part of the process.’ »
Routine techniques include cover¬ing suspects' heads with black hoods for hours at a time and forc¬ing them to stand or kneel in un¬comfortable positions in extreme cold or heat.... In some cases, American officials said, women are used as interrogators to try to humiliate men....
Disorientation is a tool of inter¬rogation and therefore a way of life. To that end, the building -an unremarkable hangar- is lighted twenty-four hours a day, making sleep almost impossible, said Mu-hammad Shah, an Afghan farmer who was held there for eighteen days.
Colonel King said it was legiti¬mate to use lights, noise and vision restriction, and to alter, without warning, the time between meals, to blur a detainee's sense of time. He said sleep deprivation was "probably within the lexicon..."
This "process" is not new. After the arrest in Pakistan more than a year ago of Khalid Sheik Mohammed, the al-Qaeda oper¬ations chief, "senior American offi¬cials" told The New York Times that, "physical torture would not be used against Mr. Mohammed":
They said his interrogation would rely on what they consider accept¬able techniques like sleep and light deprivation and the temporary withholding of food, water, access to sunlight and medical attention.

(Merci, merci Mark Danner)

(Le chanteur...)

Le chanteur a retrouvé le chemin du chant ;
Le chanteur aux yeux fous vient de se perdre
en boucle à nouveau
sur la route du chant
Qu'il venait de retrouver, le chanteur
vient d'entrer dans le réseau
enjoué sans fin du chant,
de retrouver le grundton, le drone,
le ton fondamental
De la folie d'amour combinatoire du chant,
la Nueva Trova, le trobar-muffin, le son
dont s’honorent les Buena Vista
les Fabulous et les Massilia
dont ne dormira plus le pays,
Et les routes se sont ouvertes, villes et régions,
espaces et territoires
se pourfendent de dons
Un temps d'aube, le chanteur perdu au chant
tient le pays à hauteur d'amour,
S'ouvrent châteaux, villes et cours
le temps d'une contagion d'aube
Un pays s'est retrouvé dans la largesse, la liberté,
L’irrésistible affirmation de vie
du chant…

(L’Originalité de la République de Marseille...)

La croisade commença en 12o9, mettant à feu et à sang les terres du vicomte Raimon Trencavel. Les habitants de Béziers refusèrent de livrer quelques dizaines d'hérétiques citoyens de la ville, affirmant par là que le droit de cité l'emportait sur l'obédience à l'Église. Les croisés réussirent à investir Béziers et s'y livrèrent à un massacre en règle, excités par les légats du pape. Ils poursuivirent leurs exactions sur les terres du comte de Toulouse, Raimon VI. Les seigneurs catalans et languedociens firent front contre l'envahisseur, mais, en 1213, le roi d'Aragon Pere II, dont Raimon VI venait de se pro¬clamer vassal, trouvait la mort à la bataille de Muret. Les barons français s'assurèrent ce jour-là une écrasante victoire.

II fallut quelques années pour que Marseille se trouve concernée par cette croisade, quand celle-ci fût devenue l'axe d'une stratégie expansionniste des Capétiens. En attendant, la ville poursuivait son émancipation politique, les Marseillais constituant en 1212 une confrérie, religieuse quant à sa forme et politique quant à ses buts. L'objectif secret des confrères était ni plus ni moins que de constituer l'ébauche d'une répu¬blique indépendante. La confrérie du Saint-Esprit fonction¬nait comme une association de secours mutuels ouverte à tous, tant maiores que minores, qu'ils fussent de la ville basse ou de la ville haute, tenus par un serment.

Cet engagement réciproque des citadins de Marseille revê¬tait un caractère sacré, comme dans beaucoup de cités médié¬vales. En s'engageant par un serment, les citadins du Moyen Age rééditaient le geste fondateur des cités de l'Antiquité. Max Weber notera que « les évocations les plus anciennes des villes comme formes associatives nous en montrent le carac¬tère révolutionnaire. La ville occidentale est née d'un acte de confraternité, du sinikismos dans l’Antiquité et de la conju¬ratio au Moyen Âge. [...] La polis est toujours le produit d'un sinikismos; elle n'est pas toujours le produit d'une forte colo¬nie, mais celui d'une association unie par le serment [...] à laquelle ne participent que ceux qui ont leurs tombes sur l'Acropole et leur maison dans la cité. » Henri Pirenne a lui aussi relevé le rôle du serment comme acte fondateur de la cité: « La paix a, d'autre part, largement contribué à faire de la ville une commune. Elle a, en effet, pour sanction, le ser¬ment. Elle suppose une conjuratio de toute la population urbaine. Et le serment prêté par le bourgeois ne se réduit pas à une simple promesse d'obéissance à l'autorité municipale. II entraîne des obligations étroites et impose le devoir strict de maintenir et faire respecter la paix. Tout juratus, c'est-à¬-dire tout bourgeois assermenté, est obligé de prêter main¬forte au bourgeois appelant à l'aide. Ainsi la paix établit-elle entre tous ses membres une solidarité permanente.» Ce caractère de communauté spirituelle laïque que revêtait la cité médiévale avait de quoi inquiéter l'Église.

La confrérie voulait la mise en commun des biens propres à la cité, universitas massiliensis, et dans cet esprit elle créa l'Hôtel-Dieu, bâtiment laïc destiné à accueillir les malades. Ses statuts se référaient aux fidèles de l'Église primitive, «qui n'avaient qu'un coeur et qu'une âme ». Autrement dit, l'image du christianisme originel servait à fonder la conception de la cité comme chose publique, res publica, en opposition aux abus de pouvoir du clergé. Ayant rassemblé des fonds, la confrérie entreprit d'acheter les parts de la seigneurie mar¬seillaise. Hugues des Baux, qui avait eu l'imprudence de s'en¬detter, dut lui céder la sienne en 1214. Combinant pressions et menaces, les Marseillais n'eurent plus qu'à acquérir les autres, détenues par de petits seigneurs provençaux. La confrérie finit par constituer le seul pouvoir dans la ville basse. À ce propos, Paul Amargier dira que le bienfait majeur que les citoyens marseillais avaient retiré de l'expérience de confratria fut d'acquérir le sens d'une plus grande cohésion communautaire, « le Saint-Esprit leur donnant à la fois le désir de vivre unanimes in civitae et, cela, dans un propos d'ouverture universelle.»
Mais l'année suivante, en 1215, arguant d'une obscure tran¬saction passée jadis avec l'un des vicomtes, l'abbaye de Saint¬ Victor entreprit de faire valoir des exigences sur la ville basse. Les Marseillais se contentèrent de faire la sourde oreille, jus¬qu'au printemps r216, où ils prirent clairement parti dans les événements de la croisade. À ce moment-là en effet, le comte de Toulouse Raimon VI débarquait à Marseille avec son fils et successeur, revenant de Rome où il avait tenté en vain de recouvrer ses terres confisquées par les barons français forts de la caution papale. Marseillais et Toulousains parlaient la même langue et avaient le même ennemi, l'Église. La Chanson de la croisade raconte l'arrivée de Raimon VI : «Quand ils furent à Marseille, ils descendirent sur le rivage / Et furent accueillis avec joie et allégresse.»

Cette année-là vit se produire de part et d'autre du Rhône un sursaut unanime contre la destruction d'une civilisation commune. La Chanson de la croisade, chronique contem¬poraine, en constitue par elle-même une preuve éloquente puisqu'elle apparaît comme le texte fondateur de la conscience occitane. Tandis que Raimon VI s'en allait en Catalogne lever une armée afin de libérer Toulouse, son fils prenait la tête des opérations en Provence. Assiégés par les habitants, les Français étaient alors retranchés dans le château de Beaucaire, place stratégique sur le Rhône. La Chanson de la Croisade raconte :

Per totas las alberga garniscan los cors e caval milsodor,
Per so qu’ ilh de Maselha venon ab gran baudor [...]
E au faita la gaita ab totz los escudiers,
Car els agron temensa dels enemics sobrier,
Que no.b ama Maselha ni no.b vol Montpesliers,
E Avinho e Belcaire los a comes primers. '

Le 24 août 1216, les assiégés se rendaient. Raimon VII concéda à la commune de Marseille une exemption générale dès péages, leudes et autres impôts dans ses terres, et lui offrit plusieurs bâtisses dans la ville de Beaucaire.

Les jours suivants, des Marseillais molestaient â Orange le cardinal Bertrand, légat du pape, lequel se vengea en accu¬sant Marseille d'hérésie : accusation gravissime dans le contexte de la croisade. Appel entendu à Rome puisque le pape Honorius III écrivit aux citadins de Marseille, Toulouse, Avignon, Tarascon, Beaucaire et Saint-Gilles pour leur or¬donner de rompre la ligue contre les croisés et dénoncer l'hé¬résie gangrenant la population marseillaise. De fait, si la Provence avait ignoré le catharisme, le discours de la confré¬rie du Saint-Esprit avait quelque chose d'hérétique à l'égard du dogme romain.

Les Marseillais réagirent en s'emparant, les armes à la main, de bâtiments appartenant à l'Évêché. Ils s'attaquèrent aux édifices religieux, à des prêtres revêtus des habits sacrés, portant la croix et l'eucharistie; l'église Saint-Laurent fut profanée pendant la célébration de la messe et des blas¬phèmes y résonnèrent qui sentaient l'hérésie. Sujets de l'évêque, ceux de la ville haute se joignirent à la révolte et l'on cessa de respecter les limites des deux villes. La papauté prononça l'excommunication de tous les Marseillais, jetant l'interdit sur la ville.

Les événements de Marseille n'avaient toutefois rien d'ex¬ceptionnel. En Occitanie comme en Italie, la plupart des cités se trouvaient en conflit avec les autorités ecclésiastiques. Le clergé se voulait exempt des taxes municipales tandis que les communes s'opposaient à la perception de la dîme. En outre, le clergé exploitait durement nombre de citadins: les paysans marseillais protestaient régulièrement contre les abus de pou¬voir de l'abbaye Saint-Victor, qui possédait une grande partie du terroir. De son côté, l'Église tenait rigueur aux institutions communales de ne rien faire contre les hérétiques présents dans les villes, tandis que la plèbe citadine haïssait viscérale¬ment les inquisiteurs. Et quand une cité comme Marseille s'alliait à un seigneur tel que Raimon VII, elle déclarait ou¬vertement la guerre à l'Église. En août 1218, l'évêque de Marseille, Pierre de Montlaur, décidait « la dissolution de la confrérie établie sous le prétendu vocable du Saint-Esprit.»

Mais la confrérie avait débouché sur la constitution d'un système politique. Celui-ci s'exprimait par des statuts, pro¬mulgués dans les premières années du XIII° siècle et révisés en 1229. De ceux-ci, Portal dira qu'ils ne constituaient pas une simple charte octroyée par les vicomtes mais bien des règle¬ments que les Marseillais s'étaient librement donnés dans le cours de leur émancipation communale, et qu'ils furent, en ce début de siècle, le code civil, pénal, administratif et com¬mercial de Marseille. Les statuts avaient d'abord pour objet de proclamer en toutes lettres l'indépendance de la cité, un chapitre défendant à tout citoyen, juif ou chrétien, de prêter serment de fidélité à qui que ce fût: l'acte de soumission, nul de plein droit, aurait été sanctionné d'une forte amende. De même, les serments qu'auraient pu prêter des officiers muni¬cipaux auparavant se trouvaient annulés; en sus, les statuts interdisaient à tout citoyen marseillais d'accéder à une quel¬conque charge dans la ville haute, dépendant de l'Évêché. Le dernier paragraphe des statuts concluait : « Et totz losdiz capi¬tols jureran los sobre estans chascun an en las mans de Monsenhor lo Viguier et dels Senhors Consuls d’âquesta dicha cieutat que par aquel temps seran observar e far observar entierament sus lo peril de lur armes. »

Depuis la victoire de Beaucaire, la guerre de libération s'était poursuivie au-delà du Rhône. En 1218, le chef des croisés, Simon de Montfort, trouvait la mort devant Toulouse insur¬gée. En i229., les Français s'en allaient. Mais deux ans après, Raimon VII étant de nouveau excommunié, le roi de France Louis VIII en profita pour relancer la croisade et «châtier cette méchante et vaniteuse race des Provençaux». Son armée enva¬hit la Provence rhodanienne. Avignon, qui finit par se rendre après trois mois de siège, fut mise à sac et rançonnée par les croisés. Raimon Beranger V annonça qu'il se ralliait â la croi¬sade menée par le roi de France. Il avait avec ce dernier un double ennemi commun : le comte de Toulouse et l'indé-pendance communale des cités. Ce ralliement permettait en même temps au comte de Provence de tenir Louis VIII à dis¬tance de ses terres : la Provence avait en effet cessé d'être un enjeu politique pour la maison de Barcelone, avec qui les liens avaient été rompus en 1212, et le comté se retrouvait de fait exposé à la convoitise des Français. Très proche du haut clergé, Raimon Beranger se trouvait en outre influencé par son conseiller, Romée de Villeneuve, qui avait assimilé les con¬ceptions capétiennes du pouvoir. Aussi en 1226 le comte de Provence pouvait-il rompre définitivement avec la politique de ses prédécesseurs et profiter de la présence française en vallée du Rhône pour s'attaquer à l'indépendance des cités. Ce rapprochement de Raimon Beranger avec les Français annonçait, plus qu'un simple changement politique, un véri¬table changement d'époque : dans le royaume de France, un État déjà centralisé et fort d'une fiscalité lui assurant des ressources stables prétendait à un contrôle sans partage sur son territoire; alors que les souverains aragonais, endettés à l'égard de la bourgeoisie urbaine, n'avaient pu assujettir ni la noblesse ni les cités. C'étaient encore des seigneurs trobadorencs, mais le désastre de Muret les avait dissuadés de s'engager au-delà des Corbières. Désormais coupés de la Provence, dégoûtés d'intervenir dans le comté de Toulouse, ils resteraient sourds aux exhortations répétées des trobadors. Ils allaient au contraire répondre à celles de l'Église en s'engageant dans une tout autre direction, celle de la Reconquista...

L'immanence de l'esprit que proclamaient les cités s'op¬posait à la transcendance du pouvoir spirituel de l'Église. Sur le plan du pouvoir politique, cette transcendance prenait la forme de la souveraineté : une instance supérieure s'impo¬sait aux forces vives et multiples à l'oeuvre dans les cités; elle ne pouvait qu'être une et unique. L'absolutisme de l'Église, dont le dogme ne souffrait aucune discussion, fondait celui de l'État, dont l'autorité ne souffrait aucune extériorité. L'existence de l'Église légitimait celle du souverain, la trans¬cendance divine s'attachant, par délégation, à la personne royale, qui gouvernait de droit divin. Et la cité, sacrée du fait d'un libre serment contracté par ses habitants, perdit ce caractère au profit du souverain. Aussi les villes d'Occitanie apparaissent-elles, un siècle avant l'Italie et les Flandres, comme le terrain d'un affrontement entre les catégories irré¬ductibles de la cité et de la souveraineté, entre pouvoir imma¬nent et pouvoir transcendant. La France se voulait « la fille aînée de l'Église» ...

(Merci, merci Alessi dell’Umbria)

(Le Siège de Beaucaire)

Et les Marseillais sont venus
Sur le fleuve, en chantant
Au battement des rames,
Et il y avait du resplandor en Provence,
Sur les eaux luisaient les couleurs
Rhétoriques des senhals, des écus
- Bleu, vert, vermeil,¬
Or et argent, sur la turbulence,

Et il y avait Peire de Lambesc, En Gui le Hardi,
Celui de Cavaillon, qui fit le partimen,
Dragonnet de Mondragon, Bernard d'Avignon,
Peire-Raimon de Rabastens, avec les Faiditz
Nouvellement sortis des causses et des bois,

- Mais tant qu'ils étaient,
Ils auraient été de bien peu de poids
Face aux mercenaires, aux barbouzes de Simon,
Habitués de l'homicide, entraînés à la guerre d'usure
En Syrie, spécialistes de la Razzia
Et du raid punitif, pour pacifier le bougnoule,

Ils auraient été bien peu de choses,
Sans les chevaliers des villes, les bourgeois,
Le petit peuple de Tarascon et de Beaucaire,
Les Avignonnais aussi, bien sûr,
Lesquels avaient ouvert au Jeune Comte
Crédit illimité, afin qu'il n'ait pas peur
«De promettre et de donner»,

- En hommes de coeur, et en Marchands
Rompus aux nouveaux enjeux, bien sûr,
Prenant la cause du Jeune Raimon, que ceux de Beaucaire
« Aimaient d'amour cordial »
Et l'aimaient, en outre,
« Plus qu'ils n'aimaient le Christ spirituel »
(Selon la Chanson)
- Oui sans ceux-là,
Ils auraient été de bien peu de poids.

Sarenco sur Centuries,
Julien Blaine, Emmanuel Ponsart
Sur France-Culture,
" Pays d'ici ",
" Les nouveaux Troubadours ",

Ma Desheng,
Ma Desheng,

Le ciel parfait,
L'été dévastateur,
Les assiduités de l'ombre,
L’ivresse de la lumière,
Edmond Jabès, Ma Desheng

(Edmond Jabès, qui cinq ans plus tôt
à Miramas avait dit :
« Il y a malentendu,
Je ne suis pas un écrivain occidental »).

Dans la Judaria de Tarascon, à nouveau,
La méditation du Livre, Edmond Jabès,
(Au dehors l'Histoire pétarade),

Ma Desheng,
Ma Desheng,
Ma Desheng,

Et je songe et je cherche
Et je creuse et je me retourne

Et s'ouvre en moi une mémoire
Qui n'est pas à moi, qui est pourtant mienne

- Beaucaire,
Le combat sous les murs,
Le double siège,
La corporation des Nautoniers en armes,
(Car il n'y avait pas encore de Pont),
Le chevalier français
Pendu à un olivier,
(« Celui de l'Olivier " ),
Dans la poussière de l'été
Où tournoient vautours et milans,
(Poussière altière
Où s'éloignent nos amours)

" Que si per vos no.s leva
per totz tems es rescos ",
(Et si elle ne se relève pas par vous
La cause est perdue pour tous les temps,
Disait Dragonnet....)

En Gui de Cavaillon, Bertrand d'Avignon,
(Sus son arabis, sur destrier arabe),

Des noms qui tournoient,
Surgissent de l'oubli du temps, un tourbillon
De poussière, de chants, d'espérance intrépide,
Pris entre les jeux des puissants, en Europe

Raimon Belarot, Guilhem Porcellet,
Guilhem de Benafar, Peire de Lambesc,
- Et là dehors en face,
Hautains, cyniques, surarmés,
Les tueurs, les baroudeurs du Christ,
Les « garçons » de Simon, sûrs d'eux, méprisants,
Entraînés à toutes les ruses, à tous
Les coups de force, les coups bas,
Coupeurs de vignes, d'oliviers,
Massacreurs de bourgeois,
Pour qui le sang valait moins
Que l'eau, la vie bien moins que la Foi
(Dont les noms principaux étaient: soumission, profit,
Exaction, dépossession, viol)

Brûleurs d'hérétiques, de femmes, en masse

Foucaud de Berzy, Lambert de Limoux,
Hugues de Lacy, Guy de Levis,
(Dit plus tard ‘- Mirepoix’ ),
Alain de Roucy,
Puis Simon, « En Simos »,
Simon, Amaury et Guy, dévots,
Émules de Guillaume, ‘au court nez’,
Celui d’Orange et de Gellone,
Experts et entrepreneurs en rapine,
En putschs, en assassinats politiques,
Endurcis et entraînés sous les murs d'Ascalon
Et de Tyr, là-bas
Au soleil de Palestine,

« La Croix et Lion », oui

Et cela me revient,
Cela me revient,
Cela me revient,

« Gaugz Espiritaus»,
Eprouvée par ceux de Tarascon
(Toujours selon la Chanson),
Et :
" Fort be los ametz,
- Que si cobretz Belcaire
Ab lor lo cobraretz "
Disait Dragonnet le Sagace,
Celui de Mondragon, au jeune Raimon,

En lui conseillant :
« Chérissez les Tarasconnais,
Car c'est avec eux
Que vous, et tous ceux qui sont venus
D’Avignon, de Toulouse, de Beaucaire,
Retrouverez encore une fois !
Gaugz Espiritauz,
La joie de l’Ame,

Et il fut ainsi
Et ils sont entrés avec lui au galop dans la ville
Pris entre deux pluies de flèches,
Entre les croisés du dedans, et ceux du dehors,
Et ils ont construit un second mur
Pour tenir le Faubourg,
(Mais ils avaient pour eux l'eau, le déduit,
Les jongleurs et le bon vin de Ginestet,
Et force vivres qui affluaient),
Et Tomier e.n Palazi :
« Tels croient venir
Avec une fausse croisade
Qui sans feu ni foyer
Devront déguerpir.»

« Au sépulcre ont ravi
Secours et vaillance ».

« - Segur estem, Seignors,
E ferm de ric socors »

La joie de l'Ame, oui
C'est-à-dire la liberté de commerce, de culte,
L'honneur aux poètes, le respect des femmes,
La protection des Minorités, des migrants,
- Traducteurs, Médecins, Légistes,
Enseignants Juifs et Arabes -
(Que tentera de rétablir un siècle et demi
Plus tard, René, d'Aix et de Naples,
Avec sa fameuse " Provision de Sauvegarde ")

Le rejet de l'intégration verticale,
Du féodalisme, déjà peut-être,
La transition, en tout cas,
Vers une économie monétaire,
Une civilisation du droit, de l'échange, du contrat

(Davantage d'accent mis sur le flux des marchandises
Que sur l'exploitation en nature des hommes ? ),

Un pays, en tout cas, où en cet instant,
Les Représentants emblématiques
« Aiment », et « sont aimés » de leurs vassaux,
« Comme l'Etoile du Matin »,
« D'Amors corals ».
(Dixit encore la Chanson),
Où le mot « Parage » semble avoir pris un nouveau sens
(En une langue où « parce que »
Se dit, quelque fois, « per amor que »),

Oui, la joie de l'Ame,
La joie de l'Ame,
« Gaugz Espiritaus »,

Toulouse ! Beaucaire ! Avignon ! Tarascon !
Cri étouffé sous le poids de mort de huit siècles !

« E si Pretz e Paratges no se restaura per vos,
Dons es lo mort paratges e tot lo mon en vos. »

« Et si Prix et Paratge ne sont restaurés par vous
Paratge est à jamais mort et le monde entier en vous ».

(Tomier e-n Palazi: Esdemessa…)

En chantant je vais
Faire un Esclandre
Car le temps vient et va
Et les promesses se font attendre,
Et une grande détresse,
Dieu l'a vite balayée.
Soyons assurés, Seigneurs,
Et fermes en puissant secours.

Puissant secours aurons,
En Dieu mets ma foi,
Et ainsi gagnerons
Contre ceux de France;
Ost qui ne craint Dieu
Subit tôt sa vengeance.
Soyons assurés, Seigneurs,
Et fermes en puissant secours.

Pour les Aragonais,
J'ai perdu ma peine
Et mon sirventès,
Comme en Catalogne;
Le roi encore jeune
N'est piqué par personne.
Soyons assurés, Seigneurs,
Et fermes en puissant secours.

Et si le grand Frédéric
Qui est roi d'Allemagne
Supporte que Louis
Son Empire enfreigne,
Lui fera triste mine
Le roi d'outre-Bretagne.
Soyons assurés, Seigneurs,
Et fermes en puissant secours.

Au sépulcre ont ravi
Secours et vaillance,
Ceux qui volent la Croix,
Et c'est vraie hérésie.
Les faux absous niais
Ne verront guère Argence.
Soyons assurés, Seigneurs,
Et fermes en puissant secours.

Les Évêques sournois
Ne les pressent guère,
Si le saint Vase se perd
Où notre Père à tous priait
Et vivait au désert;
On aime mieux Beaucaire.
Soyons assurés, Seigneurs,
Et fermes en puissant secours.

Et notre Cardinal
Commerce et séjourne
Dans les meilleurs logis
- Que Dieu l'en abatte ! -
Mais ne se préoccupe guère
De la perte de Damiette.
Soyons assurés, Seigneurs,
Et fermes en puissant secours.

D'Avignon il me semble
Connaître la fermeté
Et voir se renforcer
La parfaite prouesse
Et progresser les affaires;
Mal en ait l'adversaire !
Soyons assurés, Seigneurs,
Et fermes en puissant secours.

II
La Commune de Toulouse

(L’Allumeuse...)

A la tombée de la nuit
près du parapet
dans la brume et le crachin
à Bruniquel

Près du parapet lugubre
qui surplombe la confluence :
trois vallées, deux rivières
gonflées de boue dès décembre,
L’Aveyron, la Vère

A la tombée du jour,
dans le dédale
des rues torses,
aux maisons trapues,
bien bâties de pierres
taillées à l’ancienne,
où devaient s’abriter
pèlerins et marchands,
en route depuis le Languedoc
et les ports méditerranéens
vers Cahors, Saintes

à Bruniquel,
le verrou imprenable du Quercinois
à Montfort livré, sans résistance,
en gage d’un retournement d’alliance,
par Baudoin, le fils de Constance,
et demi-frère du comte Raimond,
élevé à la cour du Capétien
(auquel les français le restitueront
aussitôt, contre un serment
de traître )

à Bruniquel,
où de longs mois séjourna
dans les brumes et le crachin
de l’hiver 1213-1214,
Guillaume de Tudèle, poète, clerc et lettré
travaillant d’arrache-pied
à la première partie
malheureusement ( ou fort heureusement
pour nous ! ) restée inachevée,
de la Chanson de la Croisade,
(Monument littéraire tout de même
plutôt gênant, tout compte fait )

Guilhem de Tudela,
lequel était catalan, profrançais
et surtout du parti catholique
et donc protégé de Baudoin
(pour d’évidents et pressants
besoins de propagande),
le raimondin félon et traître,

à Bruniquel,
aux confins des causses
et des terres de labour,
un soir périclitant et déjà sombre
de Décembre,
près du lugubre parapet,
à la tombée de la nuit,
entre Aveyron de Calcaire
et Tarn des Limons,
dans la brume et le crachin,
je l’ai encore entr’aperçue,
dans un soudain rire fou
quittant les bras d’un amant,
- grande, brune, le profile élancé,
en cape et blue jeans
et le rire sonnant clair

à Bruniquel,
rendez-vous des amoureux
du dimanche,
de promenades digestives
pour touriste gastronomique,
et autres photographes du pittoresque
moyenâgeux,
je l’ai encore entr’aperçue,
penchée au lugubre parapet,
l’allumeuse du chant

(Un Borgne les guide...)

L’hiver sème le jour d’ailes minuscules,
Bandes migratoires à la maraude des haies,
Serrant l’aurore contre ses joyaux cruels.
De s’escrimer ainsi contre neige et gel,
La prime lumière à jamais s’avive
(Celle qui au coeur vient darder la paix ).
Mais qu’entends-je? Un martèlement aller
Dans l’hiver, une intermittence de sabots
S’assourdissant à force de lutter contre la neige.
Des cliquetis d’harnais, un claquement de fouet,
Comme d’un cavalier pris en haute congère
Et qui hurlerait pour avancer à travers le noir.
Où nous replonge-t-il ? Dans cette vaste nuit
Où s’enfonce le Languedoc sous les coups du Nord.
J’essaie de mieux écouter. Mais pour n’entendre
Que piaffement éreinté et tournoiement de neige
Sur l’immensité d’une plaine vidée par les siècles,
Peut-être, peut-être aussi déjà...mais qu’y reconnaître
Dans cette nuit de janvier où une micheline poussive
Marche au pas à travers les cols, tente d’avancer,
Trébuchant sur les blancheurs que sculpte le silence,
Dans un univers où le temps toujours plus perd pied ?
Je ne vois encore qui l’attend. Dans une haute salle
Faisant les cents pas devant un feu prodigue...
Peut-être. Peut-être est-ce lui ? Pierre Mir, Jourdain,
Ou Pierre-Roger lui-même, Seigneur de Cabaret ?

Le cavalier s’empêtre, jure, cravache, avance à peine
A coup de blasphèmes et d’ave marias et d’un autre nom
Qu’il ne m’est donné d’ouïr. Où veut-il en venir,
De quels mots brûle-t-il contre glace et vents ? Quelle atroce
Hâte le décarcasse, le fait se battre contre le blanc ?
Quel message d’épouvante serre-t-il entre les dents ?

Mais maintenant j’entends. Qui est-ce, multiple
Et innommable, que j’entends là-dehors
Pleurer, implorer la nuit sans fin, sans forme ? Quel
Chant d’aube sans guetteur m’arrive dès avant le jour ?
Devant, je le vois, le Borgne, les autres à la chaîne,
Se tenant, qui la main, qui une épaule, qui un bout d’étoffe.
Oui, je crois les reconnaître. Ce sont les suppliciés de Bram,
Lieu-dit qui n’est depuis que cri, nuit et clameur
Dont l’écho ne se taira jusqu’à la fin des humains
(Pourtant que nul n’entend ). Notre Oradour-sur-Glane,
Notre Srebrenica. Ainsi le Loup s’est vengé,
Qui se connaît en cruauté comme un poète en rimes.
Il a étudié la technique, là-bas entre Oronte et Jourdain,
La tactique de la terreur, le gouvernement par l’atroce.
D’abord l’on terrorise ; ensuite l’on domestique.
(Les romains, puis les Tartares, que sais-je encore ? ).
Et dans la nuit ils s’en vont, pleurant la fine lumière,
Lums e clartatz, le visage qu’ils ne verront plus.
Ils ne sont plus que blessure, affront ambulant
Au jour de leur propre naissance, désolation sans borne.
Ils s’en vont vers Cabaret, à travers ces mêmes collines.
C’est Montfort qui les envoie, tels de sanglantes syllabes,
Vers Peire-Rogier. Tels une canso. Pour l’exemple.
Je les vois maintenant. Seul un Borgne les guide.


(L’Entrée Printanière )

Dans ce pays il y a encore un chant secret,
L’argelas flambe en bordure des chemins retors
Et l’aubépine honore les restanques délabrées,
Alors que les toits immensément en pente
Du moindre mazet sont visités de glycine
Et autour des cabanes des jardins d’ouvriers
Et contre les appentis ambre gris des faubourgs,
Le figuier reconduit son vert polythéisme.

Les rivières sont en crue, les terres détrempées,
Tandis que le poirier en fleurs entre les parcelles
Et les vergers ont viré aux noces de l’inconnu
Et le temps a vacillé en une heure d’indécision,
Affleuré par les doigts d’une douceur nouvelle
Dont l’ivresse a touché les branches les plus nues,
Tandis que dans les décharges et les terrains vagues
Réservées aux migrants aux ‘gens du voyage’

Dans l’enclos du ferrailleur près du chemin de fer
Ou dans le campement sous une bretelle de rocade
Où le linge se décolore et les enfants jouent,
Avec un élan aussi pur que le Cantique,
Le cognassier, l’arbre de Judée, le tamaris
Se sont souvenus d’un rêve plus vieux que l’Eden,
Plus neuf, plus ancien, plus beau que le paradis
(A moins que cet instant ne soit le paradis même).
*
Et voici l’entrée saisonnière, en trobar leu,
Et ainsi recommence la chanson,
Ainsi commence le vers, le versus,
Tournant, se retournant sur lui-même
Sans fin, revenant vers la source du chant,
Le toujours neuf instant, le printemps des coeurs,
Le joys d’amors, le recommencement de la joie,
Du bonheur, que domnas et drutz ont perdu :
Ab joi mou lo vers e.l comens,
E ab joi reman e finis ;
E sol que bona fos la fis,
Bos tenh qu’er lo comensamens.

Et ainsi recommence le dire de l’amour
Et le récit des faits anciens, l’Andenken
Des faits oubliés, escamotés, enterrés dans l’oubli,
Caricaturés, vilipendés, distordus,
Triturés, torturés jusqu’à en venir enfin
A dire le contraire, l’envers d’eux-mêmes
(Lorsqu’un passé même est soumis à la question),
Mais qui dans le silence nous accompagnent
Et se réveillent à chaque retour de la belle saison
Et sont toujours là, déjà en avant, bien plus que nous
Vivants, pour nous dire peut-être notre mort.

Ainsi recommence le Poème
Qui de Beaucaire, l’autre année (il y a bien dix ans,
Lorsque vivait encore le bon Maître Jacques
Et il y avait encore de l’argent pour les poètes)
Racontait le soulèvement, les valeureux exploits
Et le réveil du resplandor, des couleurs en Provence,
Les armes et l’amour, les chevaliers faiditz
Aux bourgeois, aux nautoniers mêlés,
Le siège double et le combat sous les murs,
Le bon vin de Ginestet, Tomier e.N Palaizi,
Les deux trobadors tarasconnais engagés
Pour la cause toulousaine, enragées contre Rome,
Et les bons propos de coeur et de corps
Lorsque le Comte Jeune mit en déroute les croisés.

Ainsi, vers ce temps tournant bride
Avec le vers, nous nous retournerons
En arrière, nous nous détournerons
Des vilaines aises, de nos vils arrangements
Avec les aspérités du temps, nous entendrons
A nouveau le dire d’un temps, d’un passé d’avance
Trop souvent escamoté, édulcoré, réduit en silence
Et rappeler les combats, les gestes, les noms, les dires,
Les turbulences, les couleurs, les hauts faits de vie,
La naissante défense du droit, l’Europe des libertés
Avec la solidarité des hommes et des femmes,
Des chevaliers, des bourgeois, des grands et des petits,
Le refus de la main morte des maîtres, des tortionnaires
Qui au nom d’une doctrine de haine et de sécurité
Sur la Provence tentaient à nouveau d’empiéter.

Ainsi, mille fois encore préférerons
A la dérobade d’une vie sans chant,
Aux taudis de l’âme, aux abris mensongers
Du fanatisme, de la haine de soi, de l’enfermement,
Tout ce qui avivera la lumière
Et éclairera la joie d’un désarroi neuf.
Ainsi, sans plus un instant nous dérober,
Nous nous en retournons à l’affaire de Toulouse.

(Le Premier Siège…)

Dans ce pays il y a encore un chant secret
L’argelas flambe en bordure des chemins
Et l’aubépine honore les restanques de pierre
Les toits gris bruns immensément en pente
Du moindre mazet sont visités de glycine
Tandis que dans les parcelles de faubourg
Et contre les appentis des lotissements
Le figuier reconduit son vert polythéisme

Les rivières sont en crue les terres détrempées
Alors que dans les cours de ferme les jardins
Le poirier déjà rallume son candélabre exquis
Les vergers ont viré aux noces de l’inconnu
La vigne torse a retrouvé l’enluminure
Et le temps a vacillé un temps d’indécision
Effleuré par les doigts d’une tendresse infinie
Dont l’ivresse visite jusqu’aux branches les plus nues

Et voici que viennent les croisés français
Droit vers Toulouse, à partir du près de l’Hers
E a l’albor del dia, can resplan lo seres
A l’aube du jour, rayonnante de rosée
Lo coms de Montfort s’arma e li autres frances,
Lor batalhas rengadas cavalgon demanes
En escadrons rangés, Montfort et les français

Dreitament vas Tolosa, per los bels camis ples
Foncent vers Toulouse par les routes pavées

Mas de la viala eison, cada dos, cada tres
Dels milhors cavalers e dels plus rics borzes
Voici, venus au devant, par les portes de la Ville
Des meilleurs chevaliers et des plus riches bourgeois,
Lai on viron lo comte si l’an a razo mes, les toulousains,
Dès qu’ils sont devant le comte, commencent à raisonner
Mot dossament li dizon : « Senher coms, si.us plagues,
Be nos fam meravilha com pot esser ni es
Que vos vengatz ab glazi ni ab fer mortales
Seigneur Comte, please, nous sommes étonnés
Que vous arriviez chez nous avec des glaives pour tuer
Car qui.l seu meteis dampna no leu pot venir bes
(Ils mettent les formes les toulousains)
Car qui endommage ce qui lui appartient en propre
(Ayant juré fidélité lors de la défaite de Muret)
Il aura du mal à en tirer profit, profit, profit
E s’ab vos mescabavam mal nos seria pres
(Ils lui lèchent les chausses en cottes de maille , les toulousains )
Mal nous serait pris, si nous vous contrarions
Car entre vos e nos no deuria esser res
Per que mals ni dampnatges ni trebalha cregues
Entre vous et nous, il ne devrait avoir que concorde,
Tranquillité, paix, sécurité, respect
(Ils mettent le paquet les toulousains)

Ainsi ont cru le raisonner, l’amadouer, le courtiser
Calmer sa fureur (pour la perte de Beaucaire ),
Peut-être même l’attendrir, dégeler d’un sourire
Ce regard froid perçant, cette fureur rouge et bleue.
Mais il est bien décidé, le Simon, il n’attend que cette excuse
Pour mettre Toulouse à l’exaction, soumettre au supplice
Ces insolents, changeurs de monnaie à la langue perfide,
Laver l’affront du regard trop franc de leurs femmes,
Se venger de leurs portes closes, de leurs coffres fermés.

Et ainsi dans Toulouse, avec le glaive et le feu,
Montfort est tout droit entré.

Mais ce n’est pas comme ça, pas tout à fait
Comme ça (ni même pas du tout,
Du tout comme ça ! ) que cela s’est passé. Il a fallu
Tout d’abord la langue double, experte, de serpentasse,
Ab votz d’angel, lengu’esperta, non bleza
Ab motz sotils, plans plus c’obra d’engles
(Ainsi que l’écrira plus tard Peire Cardenals
Dans un célèbre satire contre les clercs),
Il a fallu la langue d’acier affilé de Folquet,
De Folquet de Marseille, archevêque désormais,
Monseigneur Foulque, monté de vielle en mitre,
De prière d’amour en doucereux sermon,
En humilité orgueilleuse, d’amoureuse sujétion,
D’amoureux éconduit en tonsure tyrannique,
Ab plans, sanglotz, mostran la via de Jhesucrist,
Il a fallu toute l’habilité, la rhétorique
Pleurnicheuse, geignarde, cupabilisante,
L’onction du berger cistercien en peau de brebis,
Pour les rendormir, les toulousains, ou presque,
Pour les amener à résipiscence, à se soumettre
Aux bons offices de l’Église, aux tendresses de Simon,
A son bon coeur compatissant de Seigneur, de Père.

Mais ce n’est pas comme ça, pas tout à fait
Comme ça, que cela s’est passé (ni même pas du tout,
Du tout comme ça ! ). C’était sans compter
Avec la rumeur, l’intelligence service, les informateurs
Infiltrés à l’intérieur même du camps des croisés.
Les toulousains en perdition se sont ressaisis
Juste à temps, s’étant concertés in extremis.
‘Sans bruit et à la dérobée, retournez en arrière,
Car [en fait] le comte veut surtout prendre otage,
Et exige qu’on lui en livre, et s’il vous trouve ici
[En dehors des murs de la ville] semblaretz ben brico ,
Vous ferez figure de sots (ainsi traduit Martin-Chabot,
Mais qui se rend mieux par : ‘vous passerez pour des broques’,
Ou bien mieux encore, ‘pour de pauvres cons’ ).
Mais voilà : tandis que, à l’intérieur des murs,
La population est en universitas, assemblée délibérative,
Simon a envoyé ses sergents et ses écuyers
Courser toute la ville, briser portes, murs et coffres,
Exiger faveurs et rançons, en nature ou en espèces,
Et ‘dans toutes les rues’ pleurent femmes et enfants,
Tandis qu’ainsi rackettés, à voix basse les toulousains
Se mettent à siffler entre les dents : Dieus !
Co nos avetz meses al poder de Pharao !
Comme tu nous as livré, Dieu, aux mains de Pharaon !

Et en effet, Montfort est décidé
A détruire et à mettre à sac toute ‘sa ville’,
De fond en comble, surtout les plus riches quartiers,
Devant l’insolente, outrecuidante insistance des intéressés,
Les toulousains, ces manants, à vouloir recouvrer leurs droits,
Droits de justice, de péage, coutumes communaux,
Liberté de commerce, privilèges et immunités,
Le gouvernement en assemblée, des officiers élus,
Selon la charte arrachée in extremis à Raimond V
A St Pierre-de-Cuisines presqu’un demi-siècle plus tôt
(Car il voulait les mettre à contribution contre l’Anglais) ;
Une magna carta avant la lettre, déjà à l’italienne,
Avec le capitolum, le Chapitre, devenu capitoulat,
République municipale, qui se gouverne aux voix,
Signe des traités de commerce, se fortifie,
Tend à l’état de droit, jusqu’à l’autonomie,
Et à l’occasion met à l’amende le Premier État.
Pour Montfort, cette tourbe de bourgeois, de mécréants
Ne sont que des vassaux en rupture de ban.
De plus, ces toulousains, il les croit responsables
D’avoir participé, financièrement ou par les armes,
D’une façon ou une autre, de près ou de loin,
A la reprise de Beaucaire par le Raimondin
Et, encore plus cuisant pour le rêve qui l’obsède,
Qu’il en a héritée, et qui désormais le possède,
Que d’avoir laissé filer la Provence entre ses doigts.
Pour la première fois, l’image qu’on lui envoie,
N’est plus celle du Seigneur, autoritaire mais juste,
Ni celle du Croisé, d’une sévérité louable,
Dur, implacable, mais pieux et aimé de Dieu,
Mais celle du Tyran urbain, barbare liberticide,
Tortionnaire impénitent, cruel et rapace,
Qui met en péril le commerce, appauvrit la place,
Et que vomissent les rues...

Et en effet, ce n’est pas du tout comme ça,
Mais pas du tout, que cela s’est passé. Les toulousains
N’étaient pas du tout encore gens à s’en contenter,
A en rester là, à plat ventre, dans le caniveau,
Et se soumettre aux dictats d’une rapenasse de féodaux.
Ils avaient encore leur armée, leur milice urbaine,
Leur ‘Posse Comitatus Act’, le droit de garder
Armes, armures et munitions chez eux.
Et voilà, ‘ Soit équipement entier,
Soit écu ou chapeau de fer,
Soit pourpoint ou gonion,
Hache aiguisé, faucille ou pilon,
Arc de main ou arbalète,
Bon fer emmanché ou coutel,
Gorgerin, camail ou hoqueton,
( Ce ne sont pas des poulets, les toulousains,
Du bétail à abattre, après l’avoir mené au marché),
Ils ne vont pas se faire avoir, se laisser faire,
‘Tous furent réunis, les fils et les pères
Et les dames et les demoiselles,
Tous ensemble commencent à bâtir des barricades
A l’envi, chacun devant sa maison :
Escabeaux et coffres, tinets et pilons,
Tonneaux roulants, poutres et chevrons
Se dressent du sol aux étaux des boutiques,
D’en bas dans la rue, jusqu’aux perrons’.
Et puis les amabilités de commencer.

Et voici en effet que les amabilités, les choses sérieuses
Vont commencer. C’est la bataille de rue
En pleine Toulouse (La commune, s’il vous plaît,
La commune de Toulouse !). ‘Là où ils se rencontrèrent
[Les toulousains et les français] se frappèrent
Les uns les autres, la haine et la rage dans le coeur,
(Ainsi s’alluma le brasier, la lutte ardente) :
‘Lances, épées, piques, épieux à sanglier,
Carreaux, pierres, massues, tisons, flèches,
Guisarmes, glaives, pics, pennons, barres de bois,
Pierres, planches cloutées, mœllons’
(Elle n’en rajoute qu’à peine, la Chanson !),
S’abattent de tant de parts,
De face et par côté, que sont mis en pièces,
Heaumes, écus armoriés, arçons de cuir, têtes,
Cervelles, poitrines, mentons,
Bras, jambes, poings, avant-bras’.

Si rudes furent le combat, le péril et la lutte,
Que les croisés, les ‘barons’, les escadres de Simon
Devant les durs coups des toulousains,
Se voient repoussés pour la première fois.
Alors, loup à peine vieillissant au regard bleu,
Perçant, dur, étroit, rompu à la guerre,
Aux abois dans Toulouse, le comte de Montfort s’écria :
‘Qu’ils aient le feu ! Qu’on mette le feu à discrétion !’

Mais là encore, ça n’allait pas se passer comme ça,
Pas tout à fait se passer comme il le voulait.
Les toulousains (ce ne sont pas des poulets !)
N’allait pas encore se laisser abattre comme ça.
Et le brasier est allumé, qui rallume la joie !
(Et voilà bientôt la dynamique,
L’effet d’entraînement, d’urgence
Monomane de la monrime
Qui commence à se faire sentir ! ) .
‘C’est vers Saint-Rémézy, à Jouxtaigues
Et sur la place Saint-Etienne
(Au beau milieu des salons de thé, des librairies dévotes,
Et des modistes pour futures mamans),
Que se fait le carnage’,
C’est à dire que l’on se bat férocement
Autour des barricades dans Toulouse même,
Et pas dans n’importe quel quartier :
‘Pour résister aux attaques et avoir le dessus,
Pour défendre leur droit et détruire l ‘ennemi,
Au milieu de l’incendie, prenant et donnant des coups,
Après avoir fait renforcer les barricades,
Les uns s’occupent de les défendre,
Les autres d’éteindre les flammes’
Dans Toulouse même, le brasier est allumé.

( Et dans Toulouse même le brasier est allumé,
Qui rallume la joie ! ). Mais voilà Montfort et ses ‘garçons’
Qui veulent déboucher en force
Place Saint-Étienne. Avec leurs bannières, leurs cris de guerre
Qui glacent d’horreur, leurs enseignes inhumaines,
Têtes étranges, heaumes effrayants d’animaux,
Sous une pluie de pierres, de poutres, de carreaux d’arbalètes,
Les voilà, à cheval dans la ville, en plein galop,
Ce sont les mêmes, les vainqueurs de Muret,
Ils veulent tenter une percée-éclair, Montfort et les siens,
Jusqu’à la place Saintes-Scarbes :
‘Le bruit des hauberts et des heaumes,
Des bannières brandies, les rauques sonneries
Des cors, des trompes de guerre font retentir
Et le ciel et la terre et l’air’
(Sans parler du bruit des sabots sur les pavés,
Lesquels, au fait, n’existaient peut-être pas encore !),
Mais voici que, débouchant rue Croix-Baragnon, ils chargent
Avec une fougue telle (dit la Chanson),
‘Que.ls fustz et las barrieras fan brizar et croissir’,
Ils brisent et font crisser et lourdement gémir
Jusqu’aux poutres des barricades
(Tels les bandits aux abois dans un film de Kurosawa),
Puis comme des loups menaçants font la roue,
Proférant des insultes, provoquant au combat singulier,
Mais jusqu’à l’Église, où une bande de ces pillards est cernée,
(Car les toulousains parviennent encore à les contenir),
Ils ne peuvent parvenir....

Mais Simon n’en est pas encore à bout de ressources,
(Et le brasier est allumé, qui rallume la joie !),
Loin de là, il va encore tenter une percée
Par une autre côté, par la porte Cerdane
(Qui n’existe plus, mais qui était située
Entre la Matabiau et la Villeneuve,
Pour citer des noms qui nous sont familiers),
Il va tenter par cette voie retorse, détournée
De les prendre de revers et s’emparer du Bourg
(Qui était fortifié à part et séparé de la Cité),
Mais là aussi, en fait d’amabilités,
Ce ne sera que coups de massue, chutes de pierres,
Intifada général, pluie de flèches, de haches,
Blessures et carnage, cervelle, sang, blanc et rouge,
Qui les forcent à déguerpir à la fin,
Et à quitter la place et puis la rue dans le désarroi,
Bien que la bataille encore y dura
Bien jusqu’à ce qu’il commence à faire nuit noire....

(Lombez... )

Que s’est-il donc passé en ce bois de transfuges,
D’ordinaire simple refuge contre soleil et pluie
D’humbles bovidés qui l’ont à ce point piétiné,
Qu’ils ont réduit en boue, materia prima,
Ses milliers de chemins et le moindre carré
D’herbe fraîche où se dégager un lit ?

Que s’est-il passé entre ces pauvres fourrés,
A même le sol, à l’affût des orties,
Aux aguets pour une voix, un craquement de brindille,
Un bruit de moteur qui trop s’approcherait
- Au bois des Dames, que s’est-il donc passé,
Qui exorcise les monstres, qui fonde en foi ?

(Et moi qui nage en plein Paléolithique,
Je ne sais plus si ce sont tes hanches
Ou cette roulure de colline du Comminges
Que je malaxe, tandis que le ciel, les arbres
Se renversent dans tes yeux, tout or répandu,
Et nous assistons à la disparition définitive
Des frontières de l’impudeur et de l’innocence).

Que s’est-il donc passé sur cette pauvre terre,
Sans couche possible, à flanc de colline,
Nus, en sueur, alors que, le regard retourné,
Tu cries d’amour, puis dévisages les arbres
Et les nuages, au bois des transfuges,
Qui sent déjà les contreforts, à flanc de souvenir,
Qui fonde en foi, enracine en liberté ?

(Folquet l’évêque félon)

Mais Simon n’est pas à bout de ressources,
Même s’il enrage tout seul dans son château,
Le château Narbonnais, redoutable et usurpé,
Et s’en prend aux siens, puis aux otages prisonniers,
Fulminant la décapitation, ou une mort plus atroce.
Là à ses côtés, il y a l’Évêque félon Foulque,
Folquet le trobador, puis l’Abbé de St Sernin,
Avec leurs langues expertes, affilées de lettrés,
Ils vont s’y mettre à deux, tisser une double toile,
Un théâtre de marionnettes, pour reprendre au filet
Ces toulousains ahuris, recrus de combat.
Ils vont tisser double toile, jouer double jeu :
Ce ne sera plus l’Évêque qui parlera à la foule,
Mais bien l’Abbé qui en sera le porte-parole,
Rapportant in absentia le progrès des ‘négociations’,
De l’évêque avec le comte, redoutable cinéma,
Ainsi grâce aux séductions du discours indirect,
Comme qui croira ce qu’il voit en peinture,
Sur un mur d’Église, (ou sur un écran de télévision),
Les gens de la ville vont se laisser entuber,
Croiront peu à peu aux trompeuses sauvegardes
Fictivement arrachés in extremis par Folquet
Qui ne cherche en définitive qu’à les perdre,
A leur soutirer un maximum de biens, de richesse
(Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Chanson !),
Car ils lui en ont fait voir de toutes les couleurs,
Ces toulousains, et il tient à sa vengeance.
Il veut les jeter dehors, les déshériter à jamais,
Maudite gente mécréante, ces toulousains fiers,
Trop riches et entreprenant pour leur propre salut,
Trop intrépides, ne craignant plus l’enfer,
Ou le croyant sur Terre, osant, en plein Moyen-Âge,
Penser par eux-mêmes, se donner des lois,
Se gouverner, se constituer en assemblée autonome,
Raisonner sans le latin, se passer de l’Église,
Aspirer à une rationalité pour le monde et les hommes.
Et c’est avec une douceur feinte, des paroles doucereuses,
Faussement humaines, d’un cynisme indépassable,
Implorant le Consolateur - c’est presque le consolamentum -
Invoquant avec fourberie la lumière du Saint-Esprit,
Que l’Abbé va tenter de les amener à résipiscence,
En leur passant et repassant le baume et l’onction
Jusqu’à ce qu’ils soient endormis au point de croire
Que se rendre inconditionnellement à la merci
Du comte cruel est leur seule voie de sortie,
L’unique voie de salut, et qu’ils ‘ne perdront
Ni vie, ni argent, ni terre, ni maison citadine,
Ni rien de précieux’, qu’il suffira, à ces benêts,
‘De se soumettre, et alors l’affection et la bienveillance
Qu’il aura pour vous seront deux fois plus grandes’
(Dépassant ainsi avec plusieurs siècles d’avance
La perfidie du loup déguisé en grand-mère
Que connaissent de nos jours les enfants).

Mais là, c’en est trop,
Ces hommes, fans, compères et concitoyens
De Cardenal, de Peguilhan, de Guillem Figuiera,
Ne le savent que trop, que le loup, le loup féodal
A qui l’on avait voulu apprendre son alphabet,
Ne sut jamais écrire qu’ ‘agneau, agneau, agneau’
(Ainsi l’écrit Peire Vidal, dans un bout de vers
Peut-être apocryphe). Ils sont encore réels,
Libres, humains, dotés d’un fragile bon sens,
Ils ont encore leurs têtes d’hommes sur les épaules,
(Et de surcroît, la langue bien pendue). A l’Abbé, ils disent :
Trop nos fai gran paor la vostre lialtatz :
Vos e.l coms e l’Avesques nos aviatz castiatz,
Car en mantas manieras nos avetz esaiatz
Qu’anc re no.ns tenguitz que mandat nos aiatz’.
A savoir (plus ou moins ) : ‘Seigneur Abbé, votre loyauté
Nous épouvante, car vous-même, le comte et l’évêque
Trop de fois déjà nous ont à nos dépens appris que jamais
Ne tenez les promesses dont êtes pourtant prodigues’.
(Pan sur le bec dégoulinant d’onction !).
Pourtant l’Abbé intarissable est encore revenu à la charge ;
Avec sa langue fourchue, ses manières caressantes,
Il leur a promis formellement la protection de l’Église,
Y compris à l’égard du comte en personne, car celui-ci
‘Ne serait jamais assez déraisonnable ni assez emporté
Pour rien vous faire qui pourrait lui être reproché,
Car s’il vous faisait tort ou injustice, l’Église
Élèverait si fort la voix que Rome elle-même
(Il ne manque pas d’air, le bon Père Abbé)
Et la Chrétienté toute entière, l’entendraient’.
Mais ce qui leur à porté le coup de grâce,
C’est Maître Robert, le juriste respecté,
L’homme des négociations, des bons offices,
Lequel, soi-disant pour éviter le pire à sa ville,
Semble-t-il, accepta de se rallier à Simon,
De lui prêter hommage, ‘pour agir en médiateur
En faveur de ses frères’. Il donna donc à accroire
Que Montfort n’en voulait qu’à quelques uns,
Aux plus riches et aux puissants, et pas aux autres,
Qu’il leur laisserait volontiers la vie et les biens intacts
(Plus riches et puissants auxquels en aparté
Il conseille de quitter au plus vite la ville).

Et voici maintenant ce que dit aux toulousains
Par devant, Folquet lui-même, l’archevêque félon.
(‘Il commence sa prêche’, dit la Chanson, ‘sur un ton
Doucereux, en soupirant et comme en pleurant’).
‘Seigneurs, j’ai dans le coeur douleur et compassion,
Car je vous vois dans le tourment et l’affliction.
Je prie Jésus-Christ, en l’adorant avec onction,
Qu’il vous purge de la sève des mauvaises passions
E de l’humeur malsaine vous accorde sa rémission,
Qu’il vous donne bonne volonté et de telles dispositions
Qu’entre vous et le comte règne une bonne affection.
Puisque Dieu m’a élu pour être maître et docteur,
Et à ses brebis m’a donné comme pasteur,
Les préserverai du loup, du méchant prédateur.
Je voudrais que bêtes féroces, hyènes, vautours
Me dévorassent la chair, le sang, toute ma vigueur,
Plutôt qu’à un seul d’entre vous n’arrivasse malheur.
Je vous prie donc de m’accorder le pouvoir et l’honneur
D’établir entre vous et le comte et la paix et l’amour
(Mot, on l’a entendu, qui ici rime avec ‘vautour’)
Sans pour l’argent ou pour vos terres avoir peur,
Ni pour vous-mêmes, le moindre souci ou frayeur.
Mettez-vous en son pouvoir, vous gagnerez son coeur’.

(Et voilà l’effet d’entraînement,
L’urgence monomane de monorime
Qui se fait à nouveau sentir !) . Et ceux de la ville,
Tentés, commençant à fondre, de lui répondre :
‘Messire Évêque, par amour, vous, notre bon pasteur,
Puisque nous vous avons pour père et gouverneur,
Au nom de la justice et de notre Rédempteur,
(Remarquons l’ordre : la justice, ensuite le Rédempteur),
Nous vous prenons pour guide et pour (il n’y pas cette rime
Là en français, ni le mot, ‘conseilleur’),
Nous vous supplions (de nous parler sans leurre),
Est-ce un bon conseil où devrions-nous avoir peur
De passer pour des fadas, et vous pour menteur ?’
Et l’Évêque (qui n’est pas Monseigneur Salièges),
De prendre un ton encore plus bonimenteur :
‘Je prends à témoin Dieu, la Vierge, les apôtres,
Et le corps du Saint Sauveur et tous les ordres,
Ainsi que l’Abbé et le Prieur, la messe et les vêpres,
Que c’est un bon conseil, meilleur que tout autre,
N’en ai jamais donné d’aussi bon, puis en répondre.
Si le comte devait en quoi que ce soit vous tondre,
Vous donner cause de plainte ou de vous morfondre,
Vous aurez Dieu et moi-même pour vous défendre’.

( ...Et ainsi ce fut fait.
Et c’est ainsi qu’ils se sont mutuellement engagés,
Jurant sur les saints, marmonnant sur les évangiles,
C’est ainsi que les toulousains se sont laissés prendre,
‘Sont pris dans le noeud coulant’,
(Ce n’est pas moi qui le dit, c’est la Chanson ! ),
C’est ainsi que sur le champ et tout droit, sans désemparer,
L’Évêque et ‘En Gui’, le frère de Simon,
Les accompagnent précipitamment devant le comte).

Et maintenant voici ce que dit Folquet, l’évêque félon,
Seul à seul, en aparté, par devant ce baron
(Et par derrière le dos des toulousains) :
‘Comte, voici ce que vous ferez pour commencer ;
Je vais vous indiquer comment vous en emparer,
Des toulousains, comment vous en rendre maître.
Je les ai reçus à merci pour vous les remettre,
Pour que par surprise, les preniez en otage.
Si on vous blâmait d’avoir enfreint les usages,
Et la sauvegarde de l’Église, avec mes gages,
Justifiez-vous en du mieux que vous pourrez.
Vous démolirez ensuite tours et palissades,
Leur enlèverez armes, équipements et bombardes,
Punissant de mort quiconque en cacherait.
Puis par toutes vos terres disperserez les otages.
De toute la richesse que nous leur connaîtrons,
Vous vous en emparerez, dès qu’en aurez vent.
Vous vous enrichirez à jamais, avec vos parents
Et tout votre lignage, grâce à leur argent.
Vos ennemis confondrez, vos conquêtes reprendrez,
Gascogne, Catalogne, Provence, vous vous en assurerez,
Et Beaucaire sera à nouveau vôtre.
(Ce n’est pas moi qui l’écrit, c’est la Chanson !).
‘Sire comte, soyez envers eux si dur et si méchant
Que vous ne leur laissiez que la peau. Tout l’argent,
Tout l’or, toute la richesse, vous reviendront.
D’ici à la Toussaint, vous les mettrez en demeure
De verser trente mille marcs, sonnant et trébuchant,
Pas un sou de moins, en espèces et sur l’heure.
Et ce ne sera qu’hors d’oeuvre. Il faudra les faire cracher
Jusqu’à ce qu’il ne leur reste ni chemise, ni braies.
Traitez-les comme serfs en fuite, vassaux révoltés.
Ainsi ne vous montreront plus haineusement les dents.
Si grands l’orgueil, l’audace, la mauvaise volonté,
Si perfide et si retorse leur naturelle habilité,
Qu’il faudra s’en méfier à perpétuité.
Si vous ne les maintenez misérables, déchus, avilis,
Vous en aurez tôt fait de vous en être repenti.’

...Et ainsi ce fut fait. Et c’est ainsi que les toulousains
Se sont laissés prendre comme des enfants,
‘Pris dans le noeud coulant’,
(Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Chanson),
Et pour comble de rage et d’amertume,
Le comte et l’Évêque firent réunir tous les habitants,
(A St Pierre-de-Cuisines, qui plus est), pour dénoncer le pardon
Promis par l’Église, et leur faire commandement
Qu’ils oublient tout cela, convenu premièrement,
Qu’ils n’invoquent ni garanti, ni saint, ni clergé,
Mais qu’ils se mettent à son entière discrétion,
Sous crainte de mort ou de dure prison,
Ou qu’ils s’en aillent et délaissent leurs possessions.
Alors vous auriez vu dans toutes les rues de la ville,
Les dames et les hommes, en catastrophe, paniqués,
Se tordre les mains, les yeux exorbités, pestant de rage,
S’arracher les cheveux, se labourant le visage,
Les larmes amères, les soupirs de perdition,
Dehors, arrogants pillards, dedans, pauvres habitants,
Spoliés, en pleurs, aux outrages, aux exactions,
Car on ne leur laisse ni blé, ni froment, ni robe, ni drap,
Ni soie, ni pourpre, ni vaisselle, ni coffre de bois...
‘Et de la ville sortirent le meilleur et la fleur,
Chevaliers et bourgeois, marchands et changeurs,
En proie aux ribauds, menaçant, harceleurs,
Les couvrant d’insultes, de honte, de déshonneurs,
Par les rues les menant au trot, blêmes de peur,
Dans la peine et la colère, la poussière et la chaleur,
Et le trouble et l’angoisse, et le péril et l’épreuve
(Car elle est humaine, trop humaine, la Chanson !),
Et l’eau de leurs larmes qui se mêle à la sueur,
Qui leur font crever le ventre et défaillir le coeur,
Augmenter l’amertume et se perdre la vigueur.
Par toute la ville se lèvent les cris, les gémissements de douleur,
Des hommes et des dames et des enfants majeurs
Et des fils et des pères et des mères et des soeurs
(Elle se traduit ici toute seule, la Chanson !),
Des oncles et des frères et des notables en pleurs
« E Dieus ! », ditz l’us a l’autre, « tant mals gouvernadors,
Senher, co.ns avetz mese en mas de raubadors »,
(Quelle mauvaise gouvernance, quelle bande de voleurs),
« A ! la gentil Toloza per las ossas franhens,
Com vos a Deus tramessa e mas de malas gens ! »
(Ah, Noble Toulouse, pour te briser les reins,
Comme Dieu t’a livrée à une meute de chiens !),
Car le comte de Monfort a longuement séjourné,
Pour détruire la ville et faire ses volontés,
Puis une fois qu’il l’a bien saignée à blanc,
Il passe la Garonne avec ses cruels sergents,
Après les outrages, les exactions, les insultes cuisantes,
Les brutalités, les dégâts, les cruels affronts,
et s’en va piller la Gascogne.

(Mais cela n’allait pas tout à fait se passer ainsi,
Ça n’allait pas tout à fait se passer comme il le voulait,
Car Toulouse aux murs et aux tours démolis,
Toulouse et ses toulousains, vilipendés, meurtris,
Toulouse la grande n’en est pas à son souffle dernier.

Cela n’allait pas tout à fait se passer ainsi,
Ça n’allait pas du tout se passer comme il le voulait,
Pour le loup vieillissant, rompu à la tuerie,
Au regard étroit, hautain des hommes de son caste,
Par les prêtres et le jeu des puissances manipulé,
Poussant à l’excès, à la faute pour le faire chuter,
Puis reprendre le tout d’un air de légitimité.
Comme avant lui, ceux qu’il a usurpés,
Ces Raimondins, compagnons du soleil et de la lune,
(Comme le Christ, les Pharaons de l’Égypte ancienne),
Il n’échappera pas aux destins de géographie,
Il ne résistera pas aux tentations de l’Histoire.
Qui possède Toulouse, lorgnera sur la Provence,
Les riches péages de St Gilles, de Maguelonne,
Les routes de commerce de Beaucaire, d’Avignon,
Les riantes richesses du triangle sacré.
Il va s’engouffrer, avec les fruits de ses rapines,
Son lignage sans gloire et ses rapaces meurtriers,
Dans le Grand Écart).

(En repassant à Lombez…)

Foncer vers la nuit dans une voiture rapide
en passant par les rocades nord
direction Bordeaux direction Blagnac
direction Purpan sortie Auch
Foncer sur l’Isle-Jourdain
en passant par Colomiers
Puis la longue descente la bifurcation
direction Samatane direction Lombez
la longue route droite presque vide
avec les faux plats et les chaumes de l’été
Samatane le rond point le concessionnaire Renault
Lombez déjà t’arrache Lombez
la vallée de la Save à la langue fourchue
La lumière rasante les jets d’arrosage les canons d’eau
les lents jets d’arrosage à contre-jour
(encore un été brûlé dans l’absence )
Le concessionnaire le pont le café minuscule
le faux clocher toscan
La place de l’archevêché avec la plaque
commémorant la visite du dénommé
Francesco Petrarca François Pétrarque
Qui y séjourna pendant l’été 1330
hôte de son ami et patron
Giacomo di Colonna
titulaire de la charge
en ses sauvages contrées
En évitant l’embranchement vers les hauteurs
direction Saramon direction Masseube
Vers notre petit bois des Dames
Que nous ne prendrons pas
Où nous ne retournerons plus
Mais toujours plus vers le Sud
Boulogne Boulogne-sur-Besse
En passant l’embranchement pour Sauveterre
En passant l’embranchement pour Simorre
Et Molas
Et Meillan
Et Séré
Et Masseube surtout Masseube
Mais sans oublier
Sans jamais oublier
De tourner à gauche à gauche toute
Cinq ou six kilomètres avant Boulogne
La lumière déclinante sur la mer
Et ta voix qui traverse l’atmosphère
A l’embranchement pour Péguilhan
La lumière à peine voilée, un rien automnale,
Un rien mélancolique, à peine sépulcrale
Puis à droite dans le village vers St Ferréol
Bifurquer à gauche
Virer à gauche encore
Là sur la D84 devant la statue de la Vierge
Chapelet des nostalgies, litanie des désespoirs :
Si cum l’arbres que, per sobrecargar,
Frang se meteys e pert son frug e se,
E perduda ma bella donna e me
E mon entier sen frag, per sobramar
(Tel l’arbre qui, de trop de fruits surchargé,
Sous un excès de fécondité se casse,
Ployé sous son poids, perdant son fruit et soi,
Ai-je perdu ma belle dame et moi-même,
Et mon esprit n’est plus entier, de suraimer)
Or l’auteur, Aimeric, Aimeric de Péguilhan
était de Toulouse, fils de bourgeois
d’un marchand qui vendait des draps
Mais il apprit bientôt cansos et sirventes
chants, samples et échantillons
et bien qu’il chantait fort mal
(encore à l’époque, s’entend )
Il s’énamoura d’une bourgeoise, sa voisine
Et cet amour lui apprit enfin le trobar
l’art d’écrire de composer
de vrais cansos d’amour
Et d’elle il fit mantas bonas cansos
Mais son mari à elle s’entremit enfin
et le fit déshonorer
Au point que notre Aimeric dut s’en venger
le blessant d’un coup d’épée à la tête
Ce pourquoi il lui a mieux valu vite sortir
de Toulouse et s’exiler au loin
Donc il s’en alla en Catalogne où l’acceuillit
Monsieur Guillems de Berguedà
Grand trobador catalan qui dans son art
si bien l’avança
Qu’il en devint Joglar, jongleur de son état,
et lui fit donner un costume
et un palefroi
Et le présenta au Roi Alfons de Castille
qui l’enrichit encore davantage
Ce pourquoi il demeura encore longtemps
dans ces contrées
Puis s’en alla à la fin en Lombardie
où tous les bons hommes
lui firent grand honneur
Et en Lombardie enfin definet mit une fin
en finit atteignit son point final
comme une phrase
qui n’a plus besoin de virgule
ni d’adjectifs
Quant à Francesco, François Pétrarque
écrivit à peu près un siècle plus tard
dans une lettre
A son ami et (surtout peut-être jaloux ) protecteur
Giacomo di Colonna évêque de Lombez
« Que dis-tu donc ? Que j’ai inventé de toutes pièces
le beau nom de Laure
Afin d’avoir quelqu’un à qui parler et à cause de qui
beaucoup faire parler de moi
Que Laure en réalité n’est peut-être en mon coeur
que ce laurier poétique
Auquel mes longs et infatigables efforts témoignent
que j’aspire
et que de cette Laure vivante dont je fis croire
que la beauté m’a ravi
Tout est fabriqué, poèmes d’invention, soupirs
de complaisance... ?
Sur ce point et celui-ci seulement plût au ciel
qu’en plaisant tu dises vrai,
Qu’il n’y ait que de la dissimulation et point
de fureur...
Ah ! Mais crois-moi, il en faut, du travail
pour simuler aussi longtemps
Et le faire pour rien, juste pour paraître fou,
serait le comble de la folie... »
Et ailleurs dans la même lettre d’évoquer
St Augustin et Cicéron :
« St Augustin à qui nulle interdiction
ne fut opposée [ à la différence
de St Jérôme] en songe,
N’a pas rougi de faire d’eux [des auteurs
Gentils, des auteurs païens
et classiques] un usage familier
Ni même de confesser ingénument qu’il
avait trouvé dans les livres
des platoniciens une grande partie
de notre foi
S’il n’a pas craint dans sa contemplation
du Dieu commun de se promettre
l’amour angélique
Tout homme qu’il fût, eh bien moi aussi,
qui suis homme aussi j’oserai
Espérer l’amour humain de cette âme sainte
qui jouit à présent du ciel »
Renouant de la sorte la conflictuelle continuité
de la longue cohabitation
Chrétienne avec les humanités classiques
Et commençant ainsi à donner une sorte de statut
à la littérature profane
en langue vulgaire
Alors qu’Aimeric, lui, grand gibelin,
Illustrateur et propagandiste de Frédéric II,
Meurt italien, vraisemblablement en hérétique
Lors de la première vague de Diaspora cathare
Tout en méritant tout de même une mention
particulièrement admirative
par le De vulgari eloquentia de Dante
Pour les vers de l’arbre sobrecargat cités ci-dessus
alors que dans une autre canso
Il compare bel et bien l’emprise que possède
sur lui sa dame
A celle qu’exerce sur les initiés de sa secte
le Vieux de la Montagne
(Ce qui constitue bien, sauf erreur, l’unique mention
de celui-ci dans la littérature européenne
avant le Temps des Assassins
d’Arthur Rimbaut ).

(La Chevauchée Fantastique…)

Le voici donc, le Vieux Renard,
Audiart, après les années d’errance
(‘exposé aux grandes chaleurs, au froid’ )
vivant en pensionné dans les châteaux
et les palais des autres,
logé bien souvent à l’enseigne
de la Grande Ourse,
Écumant les cours
des rois d’Angleterre, d’Espagne
quémandant argent et armes
auprès de l’Empereur
(Songeant même à l’Émir du Maroc ),
Le voici avec une poignée d’amis, de routiers
Brabançons et Navarrais,
puis quelques toulousains,
Bourgeois, faidits, chevaliers à la solde,
(Parmi lesquels, bien entendu, tous
‘les plus riches et les plus puissants’
chassés par Simon ),

Le voici, il a passé les ‘ports’ (les cols)
en plein mois d’août,
Le voici en Couserans, à Saint-Lizier,
Et voilà pour la première fois avec lui les jeunes,
Bernard de Comminges, Roger-Bernard,
celui de Foix,
Les Montaut, Guillaume Unaud, Aimeric
de Castelnau,
Ils sont là ensemble à conférer sous la fraîcheur
incroyable des arbres
- Alors que Simon, ‘En Simos’, est au loin, à gaspiller
ses forces au delà du Rhône,
dans un rêve d’impossible domination
( ‘Le Grand Écart,
qui avait bien valu aux Raimondins
une Guerre de Cent Ans ’ ),
déjà condamné sans doute
à son insu, dans les chancelleries,
croyant se tailler un royaume
entre Alpes et Pyrénées
(Peut-être, pourquoi pas, s’emparer
finalement de la Catalogne ! ),
se démenant, en pleine démesure -

Les voilà, au point d’équilibre silencieux de la guerre
et du temps,
sous la fraîcheur des arbres,
jouant aux échecs, devisant
dans la salle chapitre à voix basse,
écoutant un bruit d’eau, le chant d’un joglar
rapiéçant son schéma de rimes,
- Vont-ils descendre ?
Vont-ils descendre ? -
« Sire », dit Roger ( l’un des trois ),
« Une action bonne, du fait qu’on en parle,
Si l’on tarde et hésite, tourne en désastre ».
« Mieux vaut entrer dans la Ville, y mourir,
Que parcourir le monde
dans la honte et à l’aventure »,
Enchaîne Roger-Bernard, fils du comte roux,
neveu d’Esclarmonde,
Et Bernard VI : « Ni biens ni terres, n’en voudrais
si vous ( le comte Raimond ) n’en avez point.
Nous, nous en aurons toujours tous assez, si vous
rentrez en possession de la vôtre ».
Et tous : « Pour Dieu, notre cher Seigneur,
entrez dans Toulouse.
Car quiconque reçoit, recherche et sollicite
les bontés d’autrui, mieux vaut
qu’il fût mort ou qu’il ne fût pas né ».
Et ainsi il en fut décidé.
Et ainsi fut conduite et conclue
la délibération
« Par laquelle le brasier s’allume
et resplendit la clarté »
(Ainsi que le dit la Chanson)
Et voici le vieux comte dépossédé,
Avec les jeunes, qui chevauchent
résolument et vite,
Les voilà en selle, bien dans leurs arçons,
les toulousains,
comme en rêve, résolument et vite,
traversant combes et vallées,
Les voilà qui piquent des deux, gonfalons déployés,
traversant ruisseaux
et grands bois feuillus,
Voilà Bernard et Roger-Bernard,
et les trois Rogers, les autres,
en avant garde, qui s’en vont droit et foncent
vers la Salvetat,
Les voilà au point d’équilibre de la guerre
et du temps,
qui s’enfoncent dans l’ouverture
à la sortie de la mêlée,
(comme la balle de l’essai s’envole,
le long des arrières, d’agiles mains en mains),
Piquant droit vers la Garonne, pour ouvrir
la route vers Toulouse,
les voilà qui traversent combes, bois et siècles,

Et ils ont traversé, à Cazères
(Le plus probablement ) -
A coups de lance et d’épée, en abattant
Aimart de la Béche, Roger de Tournedos,
(mais Joris, Joris le teigneux,
ils ne l’ont pas eu) ,
Roger d’Aspet et Roger-Bernard
ont forcé le passage, avec les chevaux arabes
sont entrés dans la brêche, brisant à l’un l’écu,
à l’autre carrément le crâne,
( Mais Joris le traître a pris peur, il a réussi à s’enfuir
encore mieux que l’on a su le poursuivre ).

Et voici le comte lui-meme qui arrive (mais trop tard )
pour se joindre à la mêlée,
mais tout joyeux du bon présage
et de la déroute des autres.
Et les voilà qui chevauchent de pair et ensemble
par les chemins unis,
tout le jour, jusqu’à la nuit noire, et les voilà
qui débouchent devant Toulouse.

*

Et voici que Dieu a envoyé
Une douce clarté, un soleil montant
Du côté de Toulouse, nimbant le monde,
Et Paratge est restauré, Prix reprend des couleurs,
Car voici à l’aube du jour, quand le matin s’éclaircit,
Le comte Raimond,
il a passé la Garonne à gué
Au Bazacle, pour éviter les ponts,
contourner les français,
Le voici avec les siens, bannières déployées,
( et la Croix cléchée et cloutée ),
Dans la prairie fleurie, devant la Porte Baussane
(Et Dieu a fait un miracle le soir avant,
car il a envoyé pluie et mauvais temps
Et ainsi les guetteurs croisés
n’y ont vu que du feu).
Et voici qu’afflue le peuple, petits et grands,
Barons et dames, femmes et maris,
manouvriers et marchands,
Tous à genoux, lui baisant les vêtements,
Qui un pied, qui une jambe, le bras, la main,
Pleurant enfin de joie, car ‘avec joy est reçue
la joie qui revient porter fleur et fruits’,
Se disant les uns aux autres : « Nous l’avons maintenant,
Jésus-Christ, la lumière du jour, l’étoile du matin
Qui sur la montagne se rallume.
C’est notre Seigneur, que nous croyions perdu.
Maintenant Prix et Paratge, mérite et bon coutume,
Qui étaient morts et enterrés, à jamais
Seront ressuscités, restaurés, rétablis et guéris ».

(Peire Cardenal : Sirventes novel...)

Je veux commencer un sirventes inouï
Que je réciterai le jour du jugement
Devant qui me fit et me forma de rien.
S’il fait mine de vouloir m’accuser
Et de m’enfermer en sa diablerie,
Lui dirai : ‘Seigneur, de grâce, non !
Le monde m’a tourmenté toute la vie,
Des tortionnaires d’en bas, épargnez-moi, vous prie !’

Toute sa cour sera dans l’étonnement
Quand ils entendront mon plaidoyer,
Car je soutiens qu’envers les siens il faillit
S’il les veut détruire ou mettre en enfe
Qui perd ce dont il pourrait s’accroître
Mérite de passer d’abondance à disette
Car il convient d’être doux et généreux
Pour retenir les âmes au moment du passage.

Il ne faut surtout que vous barriez Votre porte,
Car Pierre, qui en est le saint portier,
En reçoit trop de honte ; toute âme qui le désire
Doit pouvoir y entrer le rire aux lèvres,
Car nulle cour ne peut se dire accomplie
Où les uns rient et les autres pleurent,
Et tout souverain roi puissant que Soyez,
Si ne m’ouvrez, il Vous en sera demandé compte.

Je ne veux de vous me désespérer ;
Bien plutôt, place en vous tout bon espoir
Que me défendiez au moment du trépas
Et que sauviez et mon âme et mon corps.
Vous mets en mains un excellent marché :
Ramenez-moi là où j’étais avant de naître
Ou pardonnez les torts que j’ai pu commettre ;
Je ne les aurais point faits sans avoir vu le jour.

Avoir le mal ici bas et ensuite l’enfer,
Selon ma foi, ce serait tort et péché,
Car je pourrais bien vous faire le procès
Que pour un bien j’écope d’un infini mal.

(Letter to Sir Ridley…)

Dear Sir Ridley,

Seeing your last big medieval epic 'The Kingdom of Heaven' definitely turned me, from a distant admirer of your great technical and story-telling skills and your art of using Hollywood know-how to hit the big picture, into a strong admirer.

First and foremost, the more I have watched the film, the more I have come to recognize your courage, audacity and skill in managing to use the whole extent of Hollywood, punch, scale and scope, and indeed Hollywood-powered production machinery, to shoot what could only appear to me, in my capacity as a medieval literary scholar, as an amazingly refreshing alternative vision of History (that of the Crusades and the Latin Kingdom). Suffice it to say here that the knowledge which I have been able to gradually piece together through my own research in my own field of work, medieval Occitan literature, encourages me to strongly endorse the point of view you and your team have developed in that film, not only as a feasible version of 12th century Middle Eastern geopolitics, but as quite a probable one. I also particularly admire your remarkable talent for cross-historical condensation and inference, establishing daring, but thoroughly convincing analogies between past and present, in the thick of dire world events – so much so, that the critical reception of the film was in many cases, perhaps unsurprisingly, but above all disappointingly, political in the first degree !!

This strong background of shared interest and admiration, plus the fact that a few months ago I came to learn quite by chance – in fact through a local French TV channel coverage – that you had fairly recently set up house in Provence, and more particularly in West Lubéron, somewhere near Oppède, brought me to resolve to try to get into touch with you, if possible, as it seemed to me that you might conceivably be interested in the project which I am currently working on. Having no other immediate means of establishing contact emboldened me to attempt to locate your new place of residence, which I finally quite miraculously succeeded in doing. After plucking up the nerve to ring your door bell – and running the gauntlet of being devoured by a modern version of the Hound of the Baskervilles - I was very cordially handed what I take to be your official London working address by a kind associate of yours, who had rescued me in extremis.

Now, to come to the point, I am currently being helped by the PACA (Provence-Alpes-Côte d'Azur) Regional Council (only very partially devolved sort of regional parliament, which I am sure you know) to write up the basic idea, and begin the scripting, for a full-length fiction around a very important event of the Middle Ages in Provence and Occitania, i.e. The whole of Southern France. To cut a long story short, July 2009 will be the 800th anniversary of the onset of the Albigensian Crusade (the only major crusade against a part of Christian western Europe), which was actually (all historical proportion maintained) a sort of Vietnam war which lasted for 25 years at least, and wrought untold destruction to the southern civilisation and way of life (the culture of the Troubadours, nascent urban republics etc..) This war was not only a sort of collective ethnocide, and the original 'cradle' of the Inquisition, but it was also arguably totally pivotal in the formation of the State of France, and France's subsequent history. The script I am trying to get afloat revolves around the fictional spinning out of some of the key initial events of the Crusade, i.e. The Battle of Muret (which was decisive in making the Midi French, rather than Catalan), and the Siege of Beaucaire (where the Occitan and Provencal knights brilliantly succeeded in winning back (for a good twenty years) most of Provence and the County of Toulouse (the whole of Languedoc and much more) from the French Crusaders, led by the half English Simon de Montfort (Not the same one as at Runnymede, but of the same stock) under the rapacious clerical guidance of fanatical monks and papal legates (quite comparable with the ones you depict in 'The Kingdom'). In between there are the atrociously vicious sack of Beziers, the brutal submission of Carcassonne and most of Languedoc, the first mass burnings of the so-called Albigensian Cathars (religious dissidents, whose purported Manichean dualism was in fact the main pretext for a highly political Crusade – another analogy with the Middle East a little earlier in the same period – only 30 years or so before). As many as 400 'heretics' were burned at a time (several thousands in all) during that first summer. In fact, we are talking about the first modern ideological war. All this is a very hot potato in terms of the 'official memory' of French State-Building, and a multi-secular bone of contention between North and South. Over the last 30-50 years, the theme has been the object of much attention and debate, entailing plays, books, conventions, television debates...but precious little, if any, (and still less any major) films ! The wider public are thus now well informed – one can find History books, novels, even comic strips about it at tobacconists' and Newspaper vendors all over Languedoc and the South-West (in Provence too, though a little less). And now we are running up to the 800th anniversary of this huge event, which is crucial, pivotal not only for French, but also for the whole of our shared European History, and indeed our collective cultural subconscious, and nobody seems to have had the idea of making a film about it. This of course is what prompts me to think of turning to you, as I can think of no one else capable of doing, or even of helping to do it so well, in the right spirit and on the right scale.

All this I can explain to you at greater length and in much finer detail. However, the main point here is to give you a very succinct idea of the kind of script I am working on, so that you can see for yourself if you might conceivably think it worth your while taking an interest in at least its main ideas (Budget-wise, may I add, it can be reckoned beyond any reasonable doubt that at least some money and support should be forthcoming, if only from the three Regional Councils concerned, but also on the part of other sponsors or co-producers, more especially if someone like yourself were in one way or another to be associated...). Heritage-wise, the historical window of opportunity is roughly 2009 (1209, the sack of Béziers etc. and the beginning of the crusade) to 2013 (1213, The Battle of Muret) ...

So, very briefly, I am trying to spin out a plot whose main theme is a stolen letter – a real, historically attested one, that sent by a famous muse of the troubadours, one Azalaïs de Boissézon, to the King of Aragon, her former lover in a scandal-fraught affair, to persuade him to come over the Pyrenees with his Catalan knights (1000 of them, in real fact) to help the Count of Toulouse and the Occitans against the overweening, fanatical northern Crusaders (Simon de Montfort, first and foremost). This the King accepts to do (for various reasons, among which the perspective of territorial annexation, plus also marital links with the House of Toulouse, but again, just conceivably, with more sentimental or even chivalrous motives..). A second letter from Azalaïs is intercepted by the crusaders and shown to the Church authorities (the King was formerly a great favourite with the Papacy, as he had not so long ago resoundingly, and very bloodily, defeated the Spanish Arabs at the Battle of Las Navas de Tolosa in the north of Andalusia). What became of that letter, History (or story, for that matter) does not say. The next day however the King was betrayed and killed by the northern crusaders at the Battle of Muret, (so the Midi became French).

What happened to the letter? Was it substituted? Did the substituted version cause division and betrayal in the southern ranks? Nobody knows, or can prove anything (we are facing a documentary black hole, an absolute absence of evidence, one way or another). But I have chosen to spin that story: the letter was substituted (and sent on through the ranks by the intermediary of the same minstrel-messenger, whose tongue is to have been priorly cut out by precaution). The nature of the letter is thus transmogrified from the amatory to the political, i.e. Its substituted version contains a framed-up plot on the part of the King against the Count of Toulouse, his ally. The latter thus allows the King to go out to his death on the battlefield the next day, by withdrawing at the last minute the requisite level of troop support. Alternatively, the letter was allowed through as it was a love assignation. The King spent the night with Azalaïs, and the next day was unexplainably slaughtered for lack of sleep, energy or will. Or again he went to the assignation, but no one came, so he allowed himself to be killed out of despair... One of these alternatives must be chosen. Or the three could be shown successively (with the idea of the importance of the undecidable ‘butterfly effect' in a major historical event). Anyway, my work over the next few weeks will be to try to elucidate these key details and reach a dynamic plot.

The letter would, of course, also be able to function more symbolically, as a sort of link between the past and the present. During the opening credits of the film, one might show a certain number of politically and socially representative people living in the Midi today, receiving a mysterious letter through the post or by mail, whose contents would remain undisclosed. Some sign or reference to these people might occur again several times, either in the course of the film, in counterpoint, or during the credits at the end. In this case, the letter would silently symbolise the reappearance of a repressed historical memory, or subconscious, initiating an unexpected, at first incomprehensible disruption in their lives. In a way, these people would represent the audience (schematically, as far as possible, but not too locally).

I am also planning to include intermittent evocations of a group of contemporary strolling players, or perhaps a puppet theatre (like in contemporary Sicily), whose function would be to recite and play passages of the great medieval Occitanian epic poem (in Occitan, with subtitles), the Canso de la Crozada, concerning the main events portrayed in the film. They too would serve to strengthen the sentiment of a strong link between past and present, as they would be filmed in contemporary Provencal and Occitan settings (village squares or 'greens', etc.). The three levels of plot would function successively, or better still perhaps, in counterpoint. However the main story, the stolen letters and the two battles, would definitely be in the forefront.

Please forgive this intrusion into your own plans and privacy, and my presuming this project might be of enough interest to take up even this much of your time. Two main reasons, one of which I have already enlarged on – your tremendously courageous commitment to a resolutely alternative and highly inspirational vision of the History of the Middle Ages and the Crusades, in 'The Kingdom of Heaven', the other being that you are now, like myself, an adoptive 'provençal', which conveys the idea that you might just conceivably appreciate the opportunity of getting still more deeply involved in this extraordinary country's culture and history - have prompted me irresistibly to think that you ought to be informed. I definitely have the feeling that if you did see a way to taking an interest in it, the result would have a very considerably impact – however, perhaps after all I am just asking you to make 'The Kingdom ' over and over again...

(Le Deuxième Siège…)

Mais voici que dans Toulouse il ne reste ni tour,
Ni logis voûté, ni galerie, ni maison à étage,
Ni mur élevé, ni bretèche, ni créneau de défense,
Ni rempart, ni guetteur, ni portier, ni haubert,
Ni armure, ni équipement de combat au complet.
Mais les coeurs sont remplis d’une telle vaillance
Que les toulousains s’emparent, qui d’un bâton,
Qui d’une pierre, qui d’une lance, qui d’un dard aiguisé,
Et tous de crier: «Toulouse, aujourd’hui est arrivé
Le jour où s’en ira hors d’ici le seigneur postiche
Et toute sa racaille de mauvaise semence,
Car Dieu défend le droit, et notre comte trahi,
Avec peu bien de compagnons, a recouvré Toulouse
Des mains des usurpateurs». Et sur le champ, de prendre
Qui une masse, qui une pique, qui un gourdin de bois
De chêne, tandis que les ruelles se remplissent
De crieurs municipaux, de porte-bannières de quartier.
Des français qu’ils rencontrent ils font triste massacre
Et grand carnage. Et tous ensemble ils s’écrient:
«Puisque Dieu nous a rendu notre seigneur en droit,
Bien que sans armes et sans argent, nous recouvrerons
Et la terre et celui qui en est le légitime héritier,
Car l’hardiesse et l’Astre et nos sentiments exigent
Que chacun se défend contre l’agresseur superbe».

Mais voici que la comtesse, la femme de Simon,
Alix de Montmorençy, à la fenêtre, se tient
Pleine d’anxiété, de pressentiment, sous l’arc appuyée.
«Qui sont-ils», demande-t-elle, «cette tourbe mal élevée
Qui fait tel massacre et m’enlève cette ville mienne,
Sont-ce routiers, ou mercenaires?» Mais rien à faire,
On doit le lui avouer, ce sont les toulousains,
Qu’il y a là le comte Raimond, Bernard de Comminges,
Et Roger-Bernard de Foix, le fils de Raimond-Roger,
Et Raimond-At d’Aspet, le fils de Fortanier,
On les reconnaît à leurs senhals, leurs bannières
Qui pavoisent sur la place au soleil et au vent,
Et les chevaliers faiditz, les légitimes héritiers
Et mille autres encore, et bien plus qu’un millier.
Puisque Toulouse la grande les veut, les aime, les aide,
Ils ont dans les pays tout autour allumé le brasier.
La comtesse, catastrophée, dicte vite une lettre
Qu’elle scelle de son sceau et remet à un coursier
Habile, polyglotte, plus rapide que le vent,
Par précaution le lui faisant répéter à haute voix:
«Dîtes au comte Simon qu’il a perdu Toulouse,
Ses fils et sa femme. S’il tarde à dépasser Montpellier,
Il ne trouvera intact ni moi, ni aucun des siens,
Si, de ce côté-ci, il perd Toulouse (Toulouse, always to lose),
A quoi bon lui servira-t-il de posséder la Provence?
Dîtes-lui encore qu’entre l’ici et le là-bas,
Il fait obra d’aranha, œuvre d’araignée,
Qui, toujours recommencée, mouche jamais n’attrape...»

Mais ceux de Toulouse ne quitteront guère le terre-plein.
Sur la place devant le Château, ils font des palissades,
Un solide mur transversal, des hourdes, des archères,
Un passage oblique pour se protéger vers l’arrière,
Comme pour une corrida, avec de belles barrières,
A cause des carreaux qu’on lance du haut du Château.
Et jamais dans aucune ville on ne vit si riches ouvriers,
Car y sont à la corvée, comtes, bourgeois et chevaliers,
(Pour la monorime qui revient, on bouscule le degré ),
Mais aussi les belles bourgeoises, marchandes et notables,
Hommes et femmes côte à côte, les changeurs aimables,
Les garçons et les fillettes, les coursiers, les valets.
Et c’est à qui portera un pic, une pelle, une fourche,
Qui une bêche, une perche, un épieu de sanglier,
Qui le plus du coeur à l’ouvrage, face au danger.
Et la nuit, tous et toutes ensemble, ils font le guet
(La ronde de nuit, plus tard de Rembrandt ),
Dans les rues on allume luminaires et candélabres,
Clairons, tambours, tambourins résonnent, ce n’est pas glabre,
(Ils font une rave party pour se tenir réveillés,
Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Chanson! ):
Las tozas e las femnas per joi vertader
Fan baladas e dansas ab sonet d’alegrier
Filles et femmes, ivres d’une joie non feinte
(Ou mieux encore, du bonheur vrai, du joi véritable),
Chantent et dansent sur des airs d’allégresse.
Et pendant ce temps-là le comte avec les gens de robe
Tiennent conseil et rétablissent le Capitole,
La république, pour gouverner la ville.
Pour défendre les droits, ils ont élu un viguier
(Élu, ce viguier, cela vaut d’être souligné;
Tous ensemble ils ont élu leur chef de police!),
‘Bon, valeureux, habile et avenant homme’,
Et sur le champ, on le met à contribution,
L’abbé et le prévôt doivent livrer leurs églises
Pour qu’on en fortifie et les toits et le clocher.

Car le comte est dans Toulouse où le brasier s’est rallumé.

Mais voici que, dès matines, à peine la messe dite,
Accourent Guyot et Gui, nos plus féroces ennemis,
Et les chefs de guerre croisés, ils arrivent au galop
Pour les combattre, un vendredi, de bon matin,
Croyant surprendre les toulousains, avec leurs femmes
Encore couchés. Les voici, déjà de fer bardés et d’acier,
Qui chevauchent vers la ville. Et voici aussitôt
Les amabilités qui vont recommencer.

Et voici Guy et Guyot qui arrivent pleins de felnia,
De morgue et de dépit, avec l’élite des mercenaires,
Foucaud de Berzy, Alain de Roucy, Hugues de Lacy,
Lambert de Limoux, Guy le Maréchal, dit de Lévis
(On n’en peut plus avec tous ces noms en - y!).
Les voici sur leurs chevaux aux belles crinières,
Bannières déployées et gonfalons déployés,
Avec leurs convois et leurs riches compagnies,
Avec les écus et les heaumes où brille l’or battu,
Les hauberts, les housses et les enseignes armoriés,
Comme s’il en avait plu, tant ils sont en quantité,
Tant ils en jettent, cette chevalerie de France.
Mais une fois arrivés devant la porte Montolieu,
Guy de Montfort leur fait mettre pied à terre.
Tous ces brillants jouteurs s’en vont de par les rues
L’épée à la main, s’essayer à la guérilla urbaine.

Les hommes de la ville, jeunes et moins jeunes,
Chevaliers et bourgeois, ont su supporter le choc,
Avec ‘l’adroit vaillant peuple’, «l’adretz valens pobles»
Qui en combattant durement les a défendus
(Ainsi que l’affirme la Chanson). Mais voici que les français
Ont à nouveau recours à l’incendie volontaire
En pleine zone habitée. Mais aussi vite
Que ça et là le feu on allume, ceux de la ville
L’éteignent, l’empêchant de se répandre.
Et voici Roger-Bernard de Foix, roux comme son père,
Au milieu de la mêlée, avec tous les siens,
Qu’il mène au combat, raffermissant le courage.
Et voici Pierre de Durban (de Durban-sur-Aize ),
Son porte-enseigne, qui s’est placé au premier rang,
Et qui crie et proclame: «Foix et Toulouse!»
A qui veut l’entendre. Le combat part de plus beau,
Dards et masses d’armes, épées aiguisés,
Pierres, flèches et carreaux fins foisonnent
Aussi drus que s’il en pleuvait droit du ciel,
Et les pierres pointues, lancées du haut des toits,
Brisent déjà heaumes, cabochons de cristal, écus,
Poignets, jambes, bras, vertèbres et cous.
De tous les moyens à leur portée, de tous les coups
Les toulousains les ont si vaillamment combattus
Que les heurts, les chocs, le vacarme, les cris aigus,
Les ont rendus moins fiers, ébranlant leur courage,
Leur faisant perdre pied, après de premiers exploits :
Defendens e perdens e fugens e vencutz
Los menero ensemble desamparatz e nutz
(Réduits à la défensive, lâchant pied, perdus,
Fuyant, vaincus, désemparés, tout nus).
Ceux de la ville, tant leur bravoure s’est accru,
Rejettent les français hors de la ville, brisés, vaincus.
Et voici Bernard de Comminges, qui s’est bien battu,
Lui qui, avec ses compagnons aguerris et sages,
Du côté du Château, où attendaient leurs équipages,
Avait occupé et tenu débouchés et passages.
Vaillant et avisé, il mérite qu’on le loue !
Les croisés alors tous ensemble remontent et refluent
Jusqu’au Jardin, près de la porte Montolieu.
Mas dedins ne remazo de mortz e d’estendutz
Des chevaux morts et des corps qu’ils ont dû laisser,
La terre et le palud en sont encore tout décolorés.
Abandonnant la place, les croisés n’ont plus rien attendu.

Et voici de part et d’autre que de plus beau
Reprennent les combats et que la lutte s’avive ;
Car fora es de Tolosa totz l’orgolh e.l bobans,
Que lo coms la governa e la te en estans,
Car el e sos linhatges i an estat mans ans,
Que ab petita companha et ses omes estrans,
Desgarnitz, senes armas, ab coratge temprans,
A gitat de la fora los Frances e.ls Normans
Il les a bouté dehors, Français et Normands,
Avec l’orgueil et la morgue, arrogance de féodaux,
Saisissant leur chance, cadets en déshérence,
Tandis que lui, le comte, ‘gouverne’, fait tenir debout
Sa ville, avec les acquis de sa gouvernance,
Et avec la seule force de sa légitimité,
Pour avoir respecté ses lois, ses droits acquis.
Avec peu de compagnons et quelques étrangers
Déshérités, sans armes, au courage bien trempé,
Les a bouté dehors et Dieu lui a rendu Toulouse.
Puisse le Seigneur, qui surtout pardonne
Aux pécheurs pardonnant de leur côté,
Puisqu’il la lui rend et qu’y flotte l’oriflamme
A la Croix cléchée, cloutée et évidée,
Avoir égard à la justice, à la raison,
Aux torts infligés, aux tromperies perfides,
Entendre les plaintes de ses fidèles spoliés,
Protéger Toulouse et gouverner ses amants !

Et voici que pour secourir la ville, piquant des éperons,
Arrivent l’honorable comte de Comminges,
Plein d’esprit et d’éloquence, Esparc de la Barthe,
Roger de Comminges, Bernard-Jourdain, celui de l’Isle,
Le fils d’Esclarmonde, puis Ot de Terride,
Son plus jeune frère, vicomte de Gimoès,
Guiraud de Gourdon, Seigneur de Caraman,
Bernard de Montégut, son frère Bertrand,
Avec toute la smala, puis Gaillard de Beynac,
Droit du Périgord, Arnaud de Modenard
(Qui a tourné sa veste, puis l’a remise à l’endroit ),
Estève Sa Valeta, Araimfres de Montpezat,
Avec son frère qui sait bien rendre les coups,
Et Guilhem Amanieu, qui faits des exploits,
Amalvis de Pestillac, Hugues de la Mothe,
Le vaillant, son frère qui soutient fort le droit,
Guillaume-Arnaud de Tantalon, bientôt Sénéchal,
- Les voilà tous, sur leurs montures cabrées
Qui tourbillonnent, suivis de tous les leurs,
Au son des trompes, soulevant la poussière.
Les voilà les faiditz, les dépossédés, les hérétiques
Fraîchement sortis des bois et des Causses,
Les voilà en fantasia, qui se jettent dans Toulouse.

(Les Faidits…)

Des roses pales aux lys mêlées,
Mye Ladie, mye Leman
Na Domna, myne Lykynge
Comme deux lynx, ils courraient les bois,
Comme le roitelet et sa roitelette,

Et lui qui ne quitterait jamais
L’épée à la claire lame, pas plus
Que moine ne quitte son chapelet,
Et elle qui ne savait guère
Coudre, filer la quenouille, tisser, aimant
Mieux monter, tramer une chanson, courir
Les cours, une femme odieuse aux prêtres,
Ne sachant écouter (ou alors seulement
son propre coeur ),

Des roses pâles aux lys mêlées,
Res Veraia, pros et valensa
Midons, mye owne dere darlynge
Comme le loup et sa louve ensemble gîtent
Au fond de la montagne, changeant souvent,
Dormant dans les grottes, faisant paître
Leurs chevaux dans les clairières,

Prenant les truites à la main, dans
Le clair-obscur des ruisseaux,
Faisant l’amour à l’aube, à midi,
A la brune, dans l’herbe mouillée,
Avant de partir, un peu tristes, en silence,
Le long d’un sinueux sentier,
Toujours vers de nouveaux asiles,

Des roses pâles aux lys mêlées,
Au jour des noces, dans la haute salle
Claire, dans l’âtre le feu brillait
Et de regard en regard, l’éclat du joy
(S’obstinant pour son bonheur, dans l’erreur
A ne jamais commettre
- Selon Elias Cairel dans sa tenson
Avec Uc de Saint-Circ :
« Mais j’aimerais mieux être
Mari jouissant, qu’amant marri ! »),

- Maintenant, oui, maintenant
Faidits et dépossédés, n’osant guère
Recourir au droit d’Albergue
Même auprès de leurs plus anciens,
De leurs plus loyaux vassaux,
Et toujours dès avant le jour partis
A la hâte, par des chemins de sanglier
Vers une rencontre, des nouvelles,
La prêche d’un Bonhomme
Dans une ferme, un bois, une
Maison de faubourg éloignée,

Avec les embuscades et les escarmouches
Entraînant de temps en temps
De devoir se battre contre les traîtres,
Les brigands, sans oublier les frances,
Les bagarres pour s’approcher
D’un puits ou d’un hameau,
Et les chevauchées et les balafres,
Et les heures de midi passées
En un tourmente de mouches, à se consoler
D’un baiser ou en se disputant
Sur un point de doctrine,
A faire la chasse aux poux,

Des roses pâles aux lys mêlées,
Mye Ladie, mye Leman
Na Domna, myne Lykynge
A l’aube, se penchait-elle sur l’eau
De l’étang, en écartant les fougères ?
Le soir, à l’heure des moustiques,
L’aidait-il à se démêler
Les cheveux, ou seulement les pensées ?

Mais quand le loup sera pris
Avec l’engin des chasseurs
Qui aura soin de la Louve,
Mein Liebling, myne Lykynge,
Domna pros e enseignada
Quand le fauconneau ne répondra plus
Au cri de la falconnelle,
Traînée en hurlant
Sur un bûcher de fagots
Au milieu du te deum des prêtres,
Ou jetée vivant au fond d’un puits,
Quand le roitelet sera pris
Avec le glu des oiseleurs
Qui chantera pour la roitelette

Mye Ladie, mye Leman,
Mein Liebling, myne Lykynge,
Domna, mye owne dere darlynge.

(Tout cela, nous le connaissons…)

Il est vrai, il est vrai que tout cela est loin
De nous être inconnu - à nouveau non seulement
L’agression, les incendies, les coups bas, les massacres,
Les prises d’otage, les déportations en masse,
Mais la terrorisation-pacification, l’alibi religieux
Pour la torture, la scarification des consciences,
La mise en coupe réglée, le double jeu des puissances,
Punissant pour sauver, ne secourant que pour perdre,
La prétention à l’usurpation au nom du droit de Dieu,
Devenue cache-sexe humanitaire, un même écran de fumée,
Cachant mal le jeu des interêts, la redistribution des cartes,
La décapitation des lignages, l’extinction une à une
Telles des feu-follets dans la nuit qui survient
Des cours et des villes où l’on riait - Fanjeaux, Cabaret, Béziers,
Srebrenica, Mostar, Sarajevo, que sais-je ? Autres temps,
Autres histoires, mais une même haine tenace
De l’ouverture, de l’échange, de l’hybride, du complexe,
De l’autonomie, de la mobilité, de la différence,
Une même tranquille assurance en son bon droit
D’extirper tout ce qui ne relève du principe d’autorité,
Gens de hiérarchie, contre ceux de la mouvance,
Gens de près carré, contre gens d’archipel,
Gens d’ordre, contre ceux du réseau, de l’alliance,
Puis l’annulation des chartes, des libertés gagnées,
La rétrogradation des coutumes, l’étouffement des voix
Par dogme, par censure, par destruction systématique
Des structures de support, de relais d’une culture,
La mise en place peu à peu d’une machine idéologique
Pour rectifier les esprits et broyer les mémoires
( L’épuration spirituelle, en guise d’épuration ethnique ).
Tout cela, il est vrai, est loin, très loin à nouveau
De nous être inconnu - avec par dessus tout
Ce vent froid, ce souffle glacial qui balaye les structures,
La disparition des lieux où l’on peut innover, être gai,
Les châteaux, les villes où l’on sait accueillir, aimable
Avec l’étranger, le soupirant, l’hôte venu de loin,
Puis les hommes et les femmes de gouvernance, de dialogue
Que l’on diffame, que l’on caricature, que l’on incrimine,
Que l’on assassine, que l’on brûle en place publique,
Que l’on dépouille du pouvoir, les accusant d’être hérétiques
Parce qu’ils n’ont pas voulu trancher dans la chair vive
De la différence, arracher le bon grain avec l’ivraie,
Couper le membre sain en même temps que le gangrené
Avec le ton larmoyant des bourreaux de la pitié.
- Tout cela est loin, très loin de nous être inconnu.
Puis les populations mutilées, orphelines, prises en otage,
Répandues sur les routes, se terrant dans les bois,
Martyrisées, pleurant de faim et de froid,
Réduites à merci, rejoignant les chiffres du chômage,
- Cela nous le connaissons bien aussi - avec la rectification
Intellectuelle et morale, la réduction au servage,
La fascisation, l’empoisonnement des consciences,
La manipulation pure et simple des frontières, des langues,
Les abus de l’amalgame, la disparition du doute,
L’engloutissement des mémoires, l’oblitération du passé,
La destruction pure et simple des traditions de liberté.
Avec l’épuration littéraire, signifiant avant tout
La mise au pas et sous haute surveillance
De tout accès libre aux puissances de la poèsie,
De tout accès à la vision, à l’autonomie intérieure,
De tout accès non-taxé à l’extase, à la spiritualité libre,
De tout recours non-balisé à l’expérience créatrice.
A savoir, le tri des styles, des figures, des rhétoriques
Par la suffisance hongre d’académies imbues de soi
( Ceux qui chassèrent Montanhagol, de Péguilhan, Figuerra...).
Tout cela nous le connaissons - avec par dessus tout
La mise au pas moraliste, la pression sur le sexe,
L’étranglement de la liberté, l’avilissement du désir
Par le tonsuré qui, tel la chenille processionnaire,
Dépose au sein des lignages ses larves mortifères,
Flétrissant l’Arbre de vie, séparant corps et conscience.
Nous le voyons de retour, nous ressentons son souffle
Sur nos nuques, à nouveau son interdiction faîte
Aux femmes de s’insurger, ne serait-ce in extremis,
Contre le piège de nature, l’enfermement reproducteur,
D’être des consciences, d’avoir droit à l’expérience,
A l’errance et à l’erreur, de rompre l’enchaînement
Fatal de la reproduction et de l’inconscience -
La mise au pas de la Dame, initiatrice du chant,
Patrie prenante du jeu libre, responsable d’amour,
La lapidation, la mise au bûcher de la femme de lumière,
La mise au pas, au nom du primat du biologique,
De toute connaissance-jouissance, gai sabor et saber d’amour,
Grâce à celle qui est senher et domna et amia,
De toute expérience initiatrice de l’amour - tout cela,
Nous le connaissons, nous pouvons à nouveau en témoigner,
Tout cela, nous le savons, nous commençons à le savoir,
Comme un rayonnement fossile au fond des coeurs-corps,
De nos corps-âmes, de nos vies-consciences,
Tout cela, nous commençons à peine à le soupçonner
- A peine une trace, une blessure secrète
Au fond de nos corps-coeurs - tout cela, dont ne faisons
Que recommencer à peine à nous souvenir,
A déjà eu lieu ici.

(Le Retour de Simon…)

Et voici Simon, le coeur plein d’amertume et de rage,
Indigné, angoissé par la révolte de Toulouse,
Qui brûle les étapes, chevauchant nuit et jour
Avec le Lion et son cabochon, cachant son désarroi,
(Arles, Montpellier, Carcassonne, Toulouse,
I’ve got those Bas-Languedoc Blues),
‘Per los dreitz abatre e per mal enansar
Ab complidas jornadas e ab mant cavalgar’,
A cheval, sans autoroute, à bride abattue,
Le voici qui a comprimé ‘les cinq journées en trois’,
Et le dimanche suivant à l’heure du souper,
Le voici à Baziège, mais non pour se coucher.
Simon maintenant, c’est Darth Vader, la croix à l’épaule,
C’est le Pen tentant de l’emporter en PACA
Avec le DPS et toute sa famille aux abois,
C’est Saroman tentant de récupérer l’Anneau.
A ses côtés il y a Foulque et le Cardinal Légat
Qui dissertent doctement sur les sûretés d’Église
Et quand et comment on doit accorder l’immunité
Et si l’on doit massacrer aux portes des Églises
Ou jusqu’à devant les autels. Le Cardinal Bertrand
Opine en ce sens, ce qui donne à Foulque le beau rôle,
Une fois n’est pas coutume, c’est pudeur de faucon.
« Comte », dit le Cardinal, « Vous devez vous réjouir,
Car voici l’occasion de les vaincre ensemble.
Vous prendrez la ville. Puis, sans désemparer,
Pendrez les notables, mettrez les comtes au supplice.
Vous garderez bien de n’en laisser échapper».
Les voilà qui traversent combes, rivières et vallées,
Rivalisant de théologie et de cruels sévices
(Rumsfeld, Cheney, Wolfowitz n’auraient dit mieux ).
Les voici à Toulouse, ils atteignent le Près de l’Hers.

Et voilà que devant tous le Cardinal veut parler
En avant des autres, avec l’Évêque, l’Archevêque,
Portant mitre et anneau, croix, crosse et livres saints,
Il parle et sermonne, faisant étalage de science :
« Seigneurs, le roi spi-ri-tu-el mande et fait savoir
Que dans cette ville règne le feu même de l’Enfer,
Qu’elle regorge de part en part de criminels pécheurs,
Car avec eux habite le Seigneur principal d’en bas ;
Qui les combat aura pleine et entière indulgence.
Vous reprendrez la ville, vous occuperez les maisons,
Vous les tuerez tous, Dieu reconnaîtra les siens,
Que ni église, ni hôpital, ni relique de saint,
Ni aucun droit d’asile ne leur garde la vie sauve.
Car de Rome la sentence est tombée, urbi et orbi,
Qu’ils doivent tous être passés au fil de l’épée,
Que pas un n’échappe au fer cruel de vos glaives»
(A moins d’utiliser des machettes, comme au Rwanda ) .
Le sermon fini, tout le monde descend de cheval.
Jamais on ne vit plus bel ost que celui des croisés,
Il y avait bien là Guy, Sicard, Foucaud, Maurice G. Dantec,
Houellebecq des Flandres, Renaud Camus, Muray,
Violents, hautains, mauvais, aux armoiries vermeilles,
Tortionnaires d’arabes, coupeurs de vignes, d’oliviers,
Avec des heaumes où brillent les cabochons de cristal,
Hauberts et housses ouvragés, de clochettes frangés,
Avec le son des cors, le hennissement des montures.
Par escadrons rangés, ils atteignent les premiers jardins,
Tandis que des murs et des baies, les arbeletriers tirent,
Les miraculeux archers, c’est une pluie d’acier continue,
Tant que c’est vrai qu’à Toulouse, dans Toulouse,
Pour Toulouse, aujourd’hui, comme il y a huit cents ans,
Les choses sérieuses vont recommencer.
Et il y a péril en la demeure.

E Dieus gart la Dreitura, que sap la veritat !
(Ce n’est pas moi qui le dit, c’est la chanson ! ).
L’abbé et le prévôt, l’Évêque et les clercs tonsurés
Implorent Sainte Marie et la Véritable Trinité
Que la ville soit aussi mal défendue que bien damnée
(Damnée, donc sans défense, livrée à la vindicte croisée ),
Et que le comte Montfort, avec ses gentils tueurs,
Ses barons, sa bannière au Lion brodée en relief,
Prennent aisément le dessus, pour servir de Dieu les griefs.
Mais Dieu garde la Droiture, qui sait la vérité !
Et il y a péril en la demeure.

Dieu protège le bon droit, qui connaît la vérité !
Mas la brumor de l’aire e.l gomfaino frisat
E.l frim de las esquilhas e li escut daurat
Atempran las coratges e.l creis d’alegretat.
Les barons, les notables et les artisans de la ville
Se tiennent prêts à résister, c’est bien le mot,
A rendre coup féroce pour coup, et dans les rues
Partout on voit aller les chevaux de combat,
Alors que les archers, couvant des traits d’acier,
Guettent sur les remparts, dans les lices, sur les toits.
Et voilà que de part et d’autre s’allument les hostilités.
Les cris de guerre, les sonneries de trompes, de cors
Pour la charge, ont partout si bien résonné
Qu’en retentissent le Château, Garonne, les rives et les quais.
Et voilà que français et gens de Berzy se sont approchés
Tant et si bien qu’il ne reste que les lices et le fossé
Comme défense à la ville. Imbert de la Volp s’est trop avancé,
Il s’en retourne pour prendre son oriflamme brodée,
Alors Arnaud de Modenard d’un coup l’a transpercé.
Et puis le comte de Comminges, prenant arbalète,
D’un tir descend son gendre, le fils de Simon,
D’un trait cruel lui transperçant de part en part les côtes.
Il le raille dans sa chute, lui qui voulait son comté.
Et partout on crie : « Toulouse, l’orgueil est rabaissé ».
« Foix » et « Comminges », pour le comte et Roger-Bernard,
« La Barthe », pour Esparc, « Saint-Béat », pour Ot,
Et « Montégut», « L’Isle », « Montaut », « Montpezat ».
Alors on pouvait voir maints chevaliers en armure,
Et maints bons boucliers fendus en deux,
Maints flancs ouverts, maintes jambes brisées,
Maintes poitrines déchirées, maints heaumes entaillés,
Maintes chairs arrachées, maintes têtes éclatées,
Du sang répandu à flots, beaucoup d’avant-bras tranchés,
Des hommes nombreux au combat, avec beaucoup d’autres
Affairés à se porter les uns les autres une fois à terre.
De tant de façons les envahisseurs sont frappés et blessés
Que de rouge et de blanc le sol est tout décoloré,
Tant le sang a coulé, tant de cervelle s’est gâchée.
Puis Guy le Maréchal dit au comte en aparté :
« C’est pour votre malheur, Sire, que vous vîtes Toulouse,
Car votre frère sera mort et votre fils est blessé
Et tant d’autres barons pour toujours seront pleurés ».
(Oubliant un instant, par anticipation enthousiaste,
La Chanson, la concordance des temps).
La guerre en toute son horreur est ici chantée.
Pour chasser le Loup et l’Hyène, les toulousains doivent lutter,
Pour défendre droit et coutume, ceux de la ville se sont dressés,
Ils ont affronté les cruels tueurs, pour défendre leurs libertés.
Et la bataille fut si grande et le péril si intense
Et tant furent mis à mal les meilleurs assiègants,
Eux et leurs belles armures, qu’ils ont du faire volte-face.
Et dans la ville on entend : « Toloza ! que los matz a matatz ! »
Toulouse, aux fous du dehors, a fait échec et mat,
A elle seule la Croix a bouté le Lion hors de la place.
Les français s’en vont, tristes, pâles et enragés
Et les hommes de Toulouse se sont d’autant honorés,
Car pour un temps encore le péril est chassé
Et Dieu et le Droit gouvernent.

(Document...)

SERMENT RECIPROQUE ENTRE LE COMTE RAIMOND V
ET LES CONSULS DE TOULOUSE LE 6 JANVIER 1189
'
Moi, Raimond, par la grâce de Dieu duc de Narbonne, comte de Toulouse, marquis de Provence, je fais savoir à tous les hommes et à toutes les femmes de la ville et du bourg de Toulouse, présents et à venir, et je conviens avec eux qu'ils m'accorderont leur foi et confiance comme à leur bon seigneur. Que nul d'entre eux, à mon instigation ou sur mon conseil, n'en tue ou n'en blesse un autre, n'allume d'incendie, ne détruise vignes ou récoltes, n'abatte des arbres, ne tue de bestiaux, ne commette quelque autre méfait, ne participe à une rixe ou à une émeute, au détriment d'un habitant de la ville ou du bourg de Toulouse, homme ou femme, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'agglomération.
Je ne conclurai aucun pacte ni traité avec homme ni femme de la cité et du bourg de Toulouse à l'encontre d'un autre, en vue d'une rixe ou d'une émeute. Si j'en passais un, je le tiendrais pour nul et si acte en était dressé, il n'aurait à l'avenir aucune valeur.
Si un homme ou une femme commettait un meurtre, causait des blessures, allumait un incendie, saccageait des vignes ou des récoltes, abattait des arbres, tuait des bestiaux, commettait quelque autre méfait ou participait à une rixe ou à une émeute, dans la cité ou le bourg ou à l'extérieur, au préjudice d'un homme ou d'une femme y habitant, j'agirai en loyal seigneur et bon justicier et je leur rendrai la justice que déclareront par jugement les consuls de Toulouse ou d'autres prud'hommes de Toulouse, s'il n'y avait pas de consuls.
J'exécuterai, je tiendrai et j'observerai les conditions de paix, condamnations et peines que l'évêque, les consuls, Thoset de Toulouse et Aimeric de Castelnau prononceront à propos des émeutes, rixes et événements survenus dans cette ville.
Tout ce qui précède, je le déclare et j'en conviens, moi, Raimond, susdit comte, non parce que je suis tenu de le faire, mais de ma propre volonté, par affection et amour pour les prud'hommes de Toulouse et je jure sur les saints évangiles que je tiendrai et observerai fermement et à perpétuité ces dispositions, saufs et retenus tous mes droits de seigneurie comme je les ai et dois avoir.

Ceci fait, les consuls de la cité et du bourg de Toulouse promirent en prêtant serment sur les saints évangiles au seigneur Raimond, comte de Toulouse, et à celui à qui il voudra confier le gouvernement de la ville, leur fidélité, leur vie, leurs corps et Toulouse, à savoir la cité, le bourg et tout son territoire. De cela ils jurèrent qu'ils ne lui refusaient rien, ni à lui, ni à celui à qui il donnerait le gouvernement de Toulouse, saufs et retenus tous leurs droits, coutumes et franchises, comme ils les ont et doivent avoir.

Ce fut fait au mois de janvier, le vendredi en la fête de l'Épiphanie, dans l'église Saint-Pierre-des-Cuisines, l'an 1189 de l'incarnation du Seigneur...

(Et cela va plus loin, beaucoup plus loin...)

Un plus un, cela fait deux, Monsieur. C'est aussi simple que cela.
Nous avons énoncé, additionné et raconté.
Nous sommes remontés à l'automne 1990.
Au 2 octobre, très exactement, au lendemain
d'une attaque lancée contre le Rwanda
par une rébellion venue d'Ouganda.
Jean-Christophe Mitterrand, conseiller du président
pour les affaires africaines, est à l'Élysée.
Son téléphone sonne. Au bout du fil, le président rwandais
Juvénal Habyarimana. La conversation terminée,
le fils du chef de l'État français déclare: «Nous allons lui envoyer
des bidasses, au petit père Habyarimana. Nous allons le tirer d'affaire.
En tout cas, cette histoire sera termi¬née en deux, trois mois ».
La France, la Belgique et le Zaïre volent
au secours des autorités rwandaises. Bruxelles et Kinshasa
se désengagent rapidement. Paris reste, s'installe et s'im¬plique
lourdement aux côtés de Kigali, de « la famille », de notre famille...
En plus des quelques bidasses promis - des éléments
du 2° régiment étranger de parachutistes (REP),
le fleuron de la Légion étrangère -, nous mettons en place
des programmes d'instruction militaire. Nous acheminons,
aussi des tombereaux d'armes. En février 1992, nous
en livrerons plusieurs tonnes par jour.

Très vite, les chiffres se mettent à valser. Nous
Fournissons pour un million d'euros d'armes en 1991,
Sur près de trois millions d'euros en 1992, pour plus
d'un million d'euros en 1993. Mais attention, il ne s'agit
là que du sommet de l'iceberg: les relations entre Paris
et Kigali sont un tiers émergées, deux tiers immergées.
En sous-main, d'étranges intermédiaires se fau¬filent
dans les coulisses: Paul Barril l'ancien gendarme
du GIGN, qui devient le conseiller officieux du régime
rwandais; Pierre-Yves Gilleron, un ancien commissaire
de la Direction de la surveillance du territoire (DST)
passé lui aussi par l'Élysée, qu'il a quitté en 1986, et qui
négocie, selon son « ami » Barril, la fourniture à la
présidence rwandaise d'un Falcon 50 pour dix millions
d'euros, facture payée par le ministère de la
Coopération; le Crédit lyonnais, banque nationalisée,
qui y va de son écot et garantit pour six millions de
dollars, en mars 1992, la livraison d'armes au Rwanda
par l'Égypte; des officines comme la société DYL-Invest,
basée en Haute-Savoie, qui signe en 1993 un contrat
de fourniture d'armes portant sur
un peu plus de douze millions de dollars...

C'est totalement démesuré. De 1981 à 1988,
le Rwanda n'avait acheté qu'un total
de cinq millions de dollars de matériel militaire.
Soit, en sept années, même pas l'équivalent
de la seule garantie accordée par le Crédit lyonnais en 1992.

C'est démesuré mais cela correspond
à l'effort de guerre mené par le régime Habyarimana.
Les effectifs militaires enflent dans le même temps
dans des propor¬tions inquiétantes: cinq mille
deux cents soldats en octobre 1990, quinze mille
à la mi-1991, cinquante mille à la mi-1992...
Sans état d'âme, sans débat, sans se poser
la moindre question, Paris fournit, équipe et entraîne
cette armée recrutée à la va-vite.

Et cela va plus loin, beaucoup plus loin.

La France prend les rênes de l'armée rwandaise.
Le 3 février 1992, le Quai d'Orsay adresse une note
à l'ambassade de France à Kigali.
À compter du 1°` janvier 1992, est-il indiqué,
«le lieutenant-colonel Chollet, chef du détachement
d'assistance militaire et d'instruction (Dami)
exercera simultanément les fonctions
de conseiller du président de la République,
chef suprême des Forces armées rwandaises (FAR),
et les fonctions de conseiller du chef
d'état-major de l'armée rwandaise ».
Autrement dit, un militaire français endosse
la responsabilité de la guerre que mène
le gouvernement rwandais. Ce n'est pas jouer
sur les mots: la note précise que les pouvoirs
de l'officier français auprès du chef d'état-major
consistent à « le conseiller sur l'organisation
de l'armée rwandaise, l'instruction et l'entraînement
des unités, l'emploi des forces ». En termes militaires,
cela peut être interprété comme un ordre opérationnel.
Il sera appliqué. Strictement.

Et cela va plus loin, beaucoup plus loin.

À Paris, le chef de la mission militaire
du ministère de la Coopération, le général Huchon,
coordonne l'ensemble de l'exercice
en liaison avec le général Quesnot,
chef d'état-major particulier de François Mitterrand.
Quand le lieutenant-colonel Chollet, « conseiller »
du président rwandais, devient trop « visible »,
il est remplacé aux mêmes fonctions par son adjoint,
le lieutenant ¬colonel Maurin. Il ne s'agit donc pas
d'un coup de tête, mais bel et bien d'une action concertée.

Et cela va plus loin, beaucoup plus loin.

Tous les rapports faisant état de risques
de massacres sont ignorés par Paris. Au début 1993,
le Fédération inter¬nationale des ligues
des droits de l'homme (FIDH) publie une enquête
accablante pour le régime rwandais. Les responsables
d'escadrons de la mort y sont nommé¬ment désignés,
on y parle des prémices d'un «génocide ».
Le chef de l'État rwandais est directement
mis en cause. La France aussi. Un repenti
des escadrons de la mort est cité. Il explique:
« Des instructeurs français m'ont appris,
en 1991, à lancer un couteau, à assembler mon fusil.
Dans un camp, sur le mont Kigali, nous avons fait
ensemble des exercices de tir. Il y a eu des stages
pour ça et aussi pour les milices. » L'enquête
est transmise à l'Élysée. Qui ne réagit pas.
Cette même année, le rapporteur de la commission
des Nations unies pour les droits de l'homme rédige
un autre rapport. Il y mentionne « un éventuel génocide »
en préparation et fait état de « la nécessité de démanteler
les caches d'armes », ces caches où l'on dissimule
les armes que Paris fournit secrètement par brassées.

Mais à l'Élysée, on ne veut toujours rien savoir.
À l'automne 1993, François Mitterrand reçoit
le président Juvénal Habyarimana à Paris. C'est une visite
officielle avec tapis rouge, garde d'honneur...
En dépit de tous les avertissements, le Rwanda
reste un allié, un allié que Paris persiste
à soutenir en secret envers et contre tout.

Et cela va plus loin, beaucoup plus loin.

Début 1994, alors que la France assure
s'être totale¬ment désengagée du Rwanda,
une trentaine de soldats restent sur place.
Par l'intermédiaire du vendeur d'armes
Dominique Lemonnier et d'autres réseaux,
le soutien actif se poursuit. À Bruxelles, les services
de renseignements signalent qu'« une campagne
de dénigrement des casques bleus belges » est organisée.
Dans un télégramme en date du 15 mars 1994,
ces services rendent compte de « livraisons d'armes
en provenance de France » et rappellent
qu'a « déjà été interceptée, le 21 janvier 1994,
à l'aéroport de Kigali, une livraison de munitions
déclassées parmi lesquelles des mortiers de l'armée
belge en provenance de France ».

L'extermination démarre trois semaines après
l'envoi de ce télégramme. Le 6 avril 1994
très exactement. Vers 20 heures 30.
Mais notre soutien ne s'arrête pas là.

Il va plus loin, beaucoup plus loin.

Le 27 avril 1994, alors que de nombreuses
organisa¬tions humanitaires parlent déjà de génocide,
une déléga¬tion du gouvernement intérimaire
rwandais est reçue à Paris. Nous sommes en pleine
cohabitation. La délégation se rend à l'Élysée, où elle
rencontre la cellule africaine, puis à Matignon,
où elle est reçue par Édouard Balladur, et enfin
au Quai d'Orsay, où l'attend Alain Juppé.

Dans cette délégation: Jean-Bosco Barayagwiza,
chef de la Coalition pour la défense de la République (cDR),
le parti politique des extrémistes hutu les plus radicaux,
et actionnaire de Radio mille collines,
« la radio qui tue » ; et Jérôme Bicamumpaka,
« ministre des Affaires étrangères » du gouvernement intérimaire.
Jean-Bosco Barayagwiza a été condamné
à trente¬cinq ans de prison par le tribunal d'Arusha.
Inculpé de génocide et de crimes contre l'humanité,
Jérôme Bicamumpaka était en cours de jugement
au début de l'année 2004 à Arusha.

Et cela va plus loin, beaucoup plus loin.

Une quinzaine de jours plus tard, nouveaux
entre¬tiens à Paris. Au ministère de la Coopération.
Nous sommes le 10 mai 1994 et le général
Jean-Pierre Huchon, responsable de la mission militaire,
reçoit le lieutenant¬colonel Ephrem Rwabalinda,
conseiller en chef de l'état ¬major de l'armée rwandaise,
qui supervise l'extermina¬tion des Tutsi
tout en y participant activement.
La discussion dure deux heures.

Dans un point intitulé «Avis et considérations
du général Huchon », le lieutenant-colonel rwandais note:
« La mission militaire de coopération prépare
les actions à mener en notre faveur. Le téléphone
sécurisé permettant au général Bizimungu
[le ministre rwandais de la Défense]et au général Huchon
de converser sans être écoutés (crypto¬phonie)
par une tierce personne a été acheminé à Kigali.
La Conclusion du lieutenant-colonel Rwabalinda :
« Ces contacts m'ont permis de sonder combien
la coopération française est gênée
de nous expliquer sa retenue, en matière
d'intervention directe, par souci de solidarité
avec l'opinion publique européenne et américaine. »

Et cela va plus loin, beaucoup plus loin.

Le lieutenant-colonel Rwabalinda l'écrit:
la retenue de la coopération française
ne vise que l'intervention directe. C'est parfaitement exact.
Tout au long du géno¬cide, le général Huchon
reçoit régulièrement le « chargé d'affaires »
de l'ambassade rwandaise à Paris, le lieute¬nant-colonel
Cyprien Kayumba, dont le titre officiel est
« directeur du service financier » du ministère
rwandais de la Défense. Comme en témoigne un courrier,
celui-ci est un homme très occupé. Le 17 avril 1994,
il a quitté Kigali pour Goma, où il a surveillé
le déchargement d'un cargo rempli d'armes.
Puis il a gagné Nairobi, Le Caire (trois jours),
Paris (vingt-sept jours), Nairobi, Kinshasa, Le Caire
(«Billet payé par le colonel Bagosora, actuelle¬ment
en cours de jugement devant le tribunal d'Arusha),
Tunis, Tripoli, Paris, Le Caire et enfin Nairobi.

Du 19 avril au 18 juillet 1994, en plein génocide,
le « contact » du général Huchon a organisé,
grâce à deux sociétés - DYL-Invest (France)
et Mil-tec Corporation (Grande-Bretagne) -,
six livraisons d'armes pour un montant
de 5 454 395 dollars.

Et cela va plus loin, beaucoup plus loin.

Le 19 mai 1994, un ancien des services secrets
franais en charge du dossier Rwanda
au ministère de la Coopération avait affirmé
à Gérard Prunier: «Nous livrons des munitions
en passant par Goma. Mais bien sûr, nous le démentirons
si vous me citez dans la presse. » Nul besoin de démenti:
un responsable militaire nous confir¬mera
personnellement avoir « donné l'ordre d'interrompre
les livraisons d'armes un mois
avant le début de l'opération Turquoise »,
soit à la fin mai 1994.

Et cela va plus loin, beaucoup plus loin.

Le 18 juillet, en pleine opération Turquoise, des armes
sont livrées aux tueurs en exil. L'aéroport de Goma,
au Zaïre, est alors la tête de pont de l'intervention
« huma¬nitaire » lancée par Paris. Nos hommes
sont partout: sur la piste, dans la tour de contrôle,
sur les parkings, dans les hangars ou les champs avoisinants...
Nous opérons sous mandat de l'ONU, un mandat
impliquant entre autres la surveillance de l'embargo
sur les armes. Pourtant, ce 18 juillet 1994,
un avion se pose sur la piste. Dans ses soutes,
des armes pour une valeur de 753 645 dollars.
Des armes que personne ne voit mais qui parviennent
bel et bien à leurs destinataires.
«La dernière cargaison est arrivée à Goma
le 18.07 1994, alors que les hommes avaient déjà
commencé à franchir la frontière avec le Zaïre »,
écrit dans un courrier le lieutenant-colonel
Cyprien Kayumba, l'acheteur d'armes des tueurs.

Et cela va plus loin,
Beaucoup plus loin.

En ce bel été 1994, François Mitterrand confie
à ses proches: «Dans ces pays-là, un génocide
c'est pas trop important. »

Et cela va plus loin. Beaucoup plus loin.

Le génocide est terminé. Deux ans plus tard,
nous soutenons toujours nos alliés les tueurs.
Ils sont notre rempart pour défendre le régime
chancelant du président zaïrois Mobutu. Ils seront
militairement défaits en 1996 par l'armée
du nouvel État rwandais, qui lance l'assaut
contre les camps de réfugiés du Zaïre. Et s'en iront
avec femmes et enfants pour un long et terrible exil.
Des dizaines de milliers au moins mourront, fauchés
par les combats ou la faim. Quelques mois
plus tard, Mobutu sera détrôné.

Et cela va plus loin. Beaucoup plus loin. Bien plus loin.

Quatre ans après le génocide, en 1998,
en pleine guerre du Congo-Brazzaville,
le général Augustin Bizimungu,
ancien «ministre de la Défense»
du gouvernement des tueurs, rejoint
l'entourage proche de Denis Sassou Nguesso, un allié
de la France qui, sur fond d'une terrible guerre civile,
reprend les rênes du Congo-Brazzaville.

Et cela n'a pas de fin. Mais nous arrêtons là,
Monsieur.

Pour l'instant. Nous sommes, épuisés.
Nous soufflons.

(Merci Patrick de Saint-Exupéry, merci ).

(La Bataille pour les Ponts... )

Et il faut imaginer le fleuve en crue
et les ponts brisés
A cause de bien trois jours et trois nuits consécutives
de fortes pluies
( La fonte tardive des neiges ayant entraîné
une exceptionnelle crue de printemps ),
A hauteur de parapet, une surface d’eau
immense et impétueuse,
Visiblement indomptable, à débit irrésistible
emportant tout sur son passage,
S’étend, et il ne reste que les deux tours
dangereusement implantées,
Chacun avec sa garnison, sur les deuxième et quatrième
piles du Pont Neuf
( Dont les travées du tablier de bois
ont déjà été violemment arrachées ),
Et les hommes de la ville, les défenseurs toulousains
coupés de leurs arrières,
De tout doux secours de proches, de parents, d’amis,
juchés là,

mortellement exposés
Aux tirs de catapultes, de mangonneaux et d’arbelètes
des hommes de Simon
là-bas en face sur les berges
(Qu’ils occupent depuis le Faubourg St Cyprien )
et d’où ils font mine d’exulter
Et de tenir enfin les malheureux toulousains à merci,

Et il faut imaginer un moment de crise
et de suractivité peu communes,
Les femmes et les jeunes filles allant pieds nus,
se pressant dans les Églises,
Qui se déchirent les joues et se lacèrent
les vêtements de soie,
Apportant pains d’offrande, lumières et cierges,
Se perdant en sanglots, en d’interminables,
lancinantes prières de supplication,
Prostrées aux pieds de la Vierge Noire,
(La Kali, la Proserpine de la Daurade ),
Il faut imaginer les défis, les insultes et les jurons
lancés à tue-tête entre
les deux partis adverses

Par dessus l’eau turgescente, impétueuse
où nul n’était homme à trop s’aventurer,
Les cris d’angoisse, de conseil, d’encouragement
de part et d’autre des deux rives du fleuve,
Et surtout l’impuissance, l’effroi
grandissant des toulousains
Qui voient à chaque instant toujours moins le moyen
de venir au secours des leurs,
Ces courageux fils et frères et oncles et amis et pères
qui s’étaient portés aux avant-postes
Pour interdire l’accès à la ville par l’eau
aux loups vantards de Simon
revenus sournoisement à la charge,
Et qui maintenant, au vu et au su de tous, se voient
coupés de toute possibilité de retraite,
A portée des catapultes et des mangonneaux,
des lourdes pierres et des carreaux d’arbalètes,

Il faut imaginer cela, une vaste arène,
les avis et les contre-avis, avec les mises en garde
et les exhortations désespérées,

Les ordres et les contre-ordres, les cris aboyés
de haine, de menace et de frayeur,
Proférés par dessus toute cette eau tumultueuse, tourbillonnante,
avec pas une minute de plus à perdre,
Et comment même les nautoniers et les manouvriers,
Les maîtres des métiers et les hardis charpentiers,
Sans parler des Capitouls, des bourgeois et des marchands,
Avaient leurs coeurs dans leurs chausses, leurs souliers,
Et la langue qui déparle en se distordant
et une nette insuffisance testiculaire,
(plus rien dans le pantalon ),
devant l’effroi du vide, les eaux rapides, les railleries
des ennemis,
le terrible vertige des eaux rapides,
(Même si n’Ugs de la Mota, Hugues de la Motte,
Un vaillant chevalier, se jeta à l’eau le premier
avec de bons compagnons pour ramer,
Mais si fortes sont les eaux, le courant si emporté
Qu’ils passent au large et ne peuvent atteindre
la tour avec ses défenseurs ),

Et puis il faut imaginer, de ses yeux voir,
Comment dans toute cette vaste arène,
Par dessus les eaux déchaînées,
il n’y a qu’un seul homme,
Homme-araignée, un montagnard,
Pero Domingo, un vaillant écuyer
venu d’Aragon pour défendre Toulouse,
Qui s’y risque, au vu et au su de tous,
avec des grapins, des cordes jetées,
D’une incroyable habilité,
Qui se risque à l’aventure, à la mort certaine
par dessus les eaux impétueuses,
« Et il y a bien cent mille hommes
qui le regardent »
(A peine elle exagère, la Chanson !),
E dedins e defora l’esgardan cent melhiers
E si ditz l’us a l’autre : « Aquest hom es leugiers ! »,
Soudainement émerveillés, ils se disent les uns aux autres,
« Quelle intrépidité, quelle légèreté, cet homme ! ».
Puis on fit vite faire des ponts de cordages
à barreaux transversaux,
Grâce à quoi le chemin fut à nouveau complété
Jusqu’à la Vieille Tour, et ses défenseurs
connurent enfin le réconfort mérité...

(Le passé permet de comprendre le présent...)

Les accointances d'une notable fraction de l'armée française et surtout de certains de ses cadres avec la droite musclée, voire la droite extrême [Les accointances d'une notable fraction de l'armée française et surtout de certains de ses cadres avec la droite musclée, voire la droite extrême], sont connues, mais semblent faire partie des secrets de la République. Le pouvoir, qu'il soit de « droite » ou de « gauche », évite d'aborder le sujet. [Les accointances d'une notable fraction de l'armée française et surtout de certains de ses cadres avec la droite musclée, voire la droite extrême] Le Réseau Voltaire, association de défense des libertés, vient d'en faire l'expérience. Des militaires d'extrême droite font circuler depuis fin août 2000 dans les casernes de gendarmerie des textes appelant à la. «destruction » de cette organisation républi¬caine. Le Réseau Voltaire y est désigné comme « le fer de lance de l'anti-France ». Sa destruction est réclamée pour la sauvegarde de la gendarmerie et « au-delà, pour la France elle-même ». II faut donc bien constater que le « devoir de réserve » des militaires ne s'applique pas à la propagande d'extrême droite [II faut donc bien constater que le « devoir de réserve » des militaires ne s'applique pas à la propagande d'extrême droite].
Le service qui coiffe tous les autres services secrets, la DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de défense), ex-Sécurité militaire, comptait parmi ses membres Bernard Courcelle et Bruno Gollnisch [comptait parmi ses membres Bernard Courcelle et Bruno Gollnisch]. Bernard Courcelle était l'homme de confiance de Mitterrand qui assurait la sécurité de sa fille Mazarine et le chef de la milice privée du Front national, le DPS (Département Protection et Sécurité). Bruno Gollnisch était, lui, le secré¬taire général du Front National (tendance Le Pen). La DPSD, cachée au coeur de l'État, possède le privilège de l'habilitation « secret défense» [La DPSD, cachée au coeur de l'État, possède le privilège de l'habilitation « secret défense»]. Ce service se situe au carrefour du licite et de l'illicite, des trafics d'armes officiels et interdits. II se chargerait aussi de superviser les chiens de guerre [II se chargerait aussi de superviser les chiens de guerre ]. À la DPSD, Bernard Courcelle était chargé des ventes d'armes et des mercenaires. Le Réseau Voltaire a dénoncé, devant la Commission d'enquête parle¬mentaire sur le DPS, les liens entre ce service d'ordre lepéniste et la DPSD [les liens entre ce service d'ordre lepéniste et la DPSD]. Il a notamment fait mention de l'utilisation des nervis d'extrême droite comme merce¬naires dans des opérations non revendiquées en Afrique [comme merce¬naires dans des opérations non revendiquées en Afrique ].
Une structure interne au DPS mise sur pied par Bernard Courcelle était chargée d'opérations clandes¬tines en France et à l'étranger. C'est un militaire français, intégré par le chef du DPS dans cette structure spéciale, qui a dévoilé cette organisation et la nature de ses opéra¬tions. Elles vont en France de l'incendie de voiture en banlieue, «pour attiser la haine ethnique » comme le révèle ce militaire, aux interventions en Afrique [Elles vont en France de l'incendie de voiture en banlieue, «,pour attiser la haine ethnique » comme le révèle ce militaire, aux interventions en Afrique Elles vont en France de l'incendie de voiture en banlieue, «pour attiser la haine ethnique » comme le révèle ce militaire, aux interventions en Afrique]. Il explique ce qui apparaît comme une routine: «Dans un quartier, si vous mettez le feu à une voiture, dans l'heure qui suit, neuf fois sur dix, vous en avez quinze autres qui. brûlent. » [«Dans un quartier, si vous mettez le feu à une voiture, dans l'heure qui suit, neuf fois sur dix, vous en avez quinze autres qui. brûlent. » ] Mais c'est en Afrique que se passent les choses sérieuses: il témoigne de la manière dont cette structure apportait son soutien à Mobutu au Zaïre et à Sassou N'Guesso au Congo Brazzaville [à Mobutu au Zaïre et à Sassou N'Guesso au Congo Brazzaville]. Les membres du DPS ont formé les milices de Sassou en 1999, sous la direc¬tion de Bernard Courcelle lui-même. Ainsi, « un person-nage très proche des services français, Bernard Courcelle, ancien officier de la Sécurité militaire (DPSD), disposant d'autorisations incroyables et de moyens surabondants, s'est servi du DPS et du Front national [disposant d'autorisations incroyables et de moyens surabondants, s'est servi du DPS et du Front national] pour mener des coups d’État en Afrique, la surveillance d'opposants africains en France. [...] Cette hyperactivité serait impossible sans la complicité des services » [Cette hyperactivité serait impossible sans la complicité des services].
Signalons aussi un épisode remarqué du dysfonc¬tionnement de ce service secret, [Les accointances d'une notable fraction de l'armée française et surtout de certains de ses cadres avec la droite musclée, voire la droite extrême] alors sous la direc¬tion du général Ascensi: des hommes de la DPSD ont agressé en plein Paris un militaire, le colonel Méchain. Celui-ci avait eu le courage de révéler le parti pris fasci¬sant des militaires français pour les nationalistes serbes [le parti pris fasci¬sant des militaires français pour les nationalistes serbes], auteurs de la purification ethnique au Kosovo et en ex¬-Yougoslavie [auteurs de la purification ethnique au Kossovo et en ex¬-Yougoslavie ]. La filiation de ce service peut expliquer bien des choses et notamment ce comportement de nervis [Les accointances d'une notable fraction de l'armée française et surtout de certains de ses cadres avec la droite musclée, voire la droite extrême]. La DPSD est en fait l'ancienne Sécurité militaire, elle-même issue du BCRA gaulliste où l'extrême droite cagoularde s'était largement infiltrée [où l'extrême droite cagoularde s'était largement infiltrée]. Cet aspect de la « grande muette» mériterait de toute évidence une enquête approfondie [Cet aspect de la « grande muette» mériterait de toute évidence une enquête approfondie]. L'amiral Antoine Sanguinetti avait déjà dénoncé ces tendances de l'ex-coloniale (l'infan¬terie de marine) et sa «tradition de haine meurtrière contre les peuples colonisés » [Les accointances d'une notable fraction de l'armée française et surtout de certains de ses cadres avec la droite musclée, voire la droite extrême]. Les criminels qui se cachent au sein de l'armée française ont toujours bénéficié de la plus totale impunité, malgré « les massacres de Madagascar en 1945 et du Cameroun en 1962-1964 [et 1958-1960], les tortures de la guerre d'Algérie avec en particulier les dérives meurtrières des groupes qui ont intégré l'OAS » L'amiral Sanguinetti ajoute que cette « chapelle hétéroclite de la haine» reste en mesure de « contrôler la coopération militaire, et d'occuper, pour le compte de l'Élysée - en l'adaptant à ses propres concepts -, une position stratégique sur le continent africain [une position stratégique sur le continent africain]».
Le passé permet de comprendre le présent [Le passé permet de comprendre le présent]. L'Affaire Dreyfus a révélé l'ancrage du racisme dans l'armée française et le rôle des services secrets dans cette instru¬mentalisation de l'antisémitisme [Le passé permet de comprendre le présent]. Le putsch en novembre 1937 d'une organisation d'extrême droite, la Cagoule, pour abattre la République a échoué [Le passé permet de comprendre le présent]. Mais il a mis en évidence des réseaux de complicités dans les milieux militaires et des affinités inquiétantes, révélant que de nombreux officiers sont plus que de simples sympathisants pour les organisations fascistes [Le passé permet de comprendre le présent]. L'implantation de cette organisation secrète au sein de l'armée s'est confirmée trois ans plus tard avec la victoire de la «Révolution nationale » du 10 juillet 1940, « coup d'État constitutionnel» réussi par la Cagoule. Dès 1940, une partie des hommes et des réseaux de la Cagoule rejoindra les Forces françaises de l'intérieur (FFI) ou de Gaulle à Londres [Le passé permet de comprendre le présent]. Une autre se mettra aux ordres des nazis, constituant la frange la plus extré¬miste du régime de Vichy.
L'infiltration des services secrets, corps de prédilection de ces activistes, date de cette époque. La branche « résistante » a servi de caution « gaulliste » pour blanchir les autres [Le passé permet de comprendre le présent]. Certains n'échappèrent pourtant pas à la justice, comme Joseph Darnand, chef de la Milice. Il répondra à l'accusation d'avoir été Cagoulard lors de son procès en 1948, en disant: « je ne crois pas qu'on fasse des reproches, à l'heure actuelle, aux militaires qui étaient à la tête de cette organi-sation et sont, en ce moment, à la tête de la Résistance. Ce sont les mêmes... » [Le passé permet de comprendre le présent] De ce sérail sont issus nombre d'hommes politiques, dont François Mitterrand. [Le passé permet de comprendre le présent].
Cette extrême droite se distingue du simplisme d'un Front national. Elle est ouverte, complexe et mystique, à l'image de son théoricien, Raymond Abellio. La présence de Cagoulards au sein des unités d'élite de l'armée française n'inquiétait pas de Gaulle [La présence de Cagoulards au sein des unités d'élite de l'armée française n'inquiétait pas de Gaulle]. Pas plus que la présence de gangsters notoires au sein du Service d'action civique (SAC), mis sur pied par Jacques Foccart. Véritable milice chargée de disperser les manifestations anti-gaullistes, ce service était dirigé par des officiers de la police et des hauts responsables des renseignements. « Le SAC avait attiré nombre d'indi¬vidus au passé judiciaire chargé et s'était financé par des voies clandestines, y compris au moyen des fonds du Sdece et du trafic de drogue. » [y compris au moyen des fonds du Sdece et du trafic de drogue]. Ces services avaient en effet acquis une grande autonomie. Le Sdece, qui deviendra la DGSE, s'autofinançait par le trafic d'héroïne depuis la première guerre d'Indochine, une époque où le trafic de stupéfiants relevait de la doctrine de ce service secret [y compris au moyen des fonds du Sdece et du trafic de drogue]. En 1972, un observateur pouvait encore écrire: « Le rôle joué actuellement par certains agents du Sdece dans les opérations de contrebande d'héroïne des gangsters corses laisse penser que les liens du Sdece avec le trafic des stupéfiants ne sont pas rompus. » La guerre d'Algérie, avec la systématisation de la torture, complète le tableau et explique la « déshumanisation» des unités d'élite françaises [La guerre d'Algérie, avec la systématisation de la torture, complète le tableau et explique la « déshumanisation» des unités d'élite françaises La guerre d'Algérie, avec la systématisation de la torture, complète le tableau et explique la « déshumanisation» des unités d'élite françaises].
En France, les toutes-puissantes cellules élyséennes sont totalement incontrôlées. De même, les services secrets sont étroitement liés à l'autorité militaire et échappent au contrôle parlementaire. Une situation que ne connaissent ni les États-Unis, ni l'Allemagne et qui présente de grands risques pour une « puissance démocratique » [et qui présente de grands risques pour une « puissance démocratique »]. L'ancien patron civil de la DGSE, Pierre Marion, a dénoncé l'interpénétration des services secrets militarisés et foccartisés avec « des groupes marginaux comme celui de Bob Denard ». Denard n'agissait jamais sans le feu vert de l'Élysée, c'est en gros ce qu'ont expliqué le général Jeannou Lacaze (ancien patron du Sdece) et Jacques Foccart à son procès en 1993. La Françafrique est tissée de réseaux d'ex-gendarmes, d'agents secrets, de militaires issus des troupes de marine (ex-coloniale), devenus mercenaires, « conseillers » de dictateurs africains ou à la tête de services de sécurité privés [La Françafrique est tissée de réseaux d'ex-gendarmes, d'agents secrets, de militaires issus des troupes de marine (ex-coloniale), devenus mercenaires, « conseillers » de dictateurs africains ou à la tête de services de sécurité privés]. On peut citer Paul Barril, Jeannou Lacaze, Paul Fontbonne, Jean-Claude Mantion, Pierre-Yves Gilleron, Robert Montoya, Alain Le Caro, Gérard Le Pemp en lien avec son ancien chef Christian Prouteau, etc.
Le général Jeannou Lacaze, ancien chef d'état-major de l'armée française et haut responsable du Sdece, est devenu le conseiller militaire « privé » de Mobutu [ancien chef d'état-major de l'armée française et haut responsable du Sdece, est devenu le conseiller militaire « privé » de Mobutu], une des premières fortunes mondiales bâtie sur le pillage de son pays. Il a même élargi ses «conseils » au général Eyadema, qui est parvenu au pouvoir en assassinant lui-même l'ancien président togolais Sylvanus Olympio. L'ambiguïté de ces personnages est bien exprimée par Paul Barril lorsqu'il explique: « Pierre¬Yves Gilleron venait de quitter, officiellement, les rangs de la "cellule" [de l'Élysée]. II travaillait, en principe, à son compte et offrait ses conseils avisés aux dirigeants rwandais pour la réorganisation de leur service de rensei¬gnements.». Pendant le génocide, Paul Barril était lui-¬même sous contrat avec le ministère de la Défense rwandais pour former une unité d'élite au tir et aux tactiques d'infiltration [pour former une unité d'élite au tir et aux tactiques d'infiltration]. « L'opération avait reçu le nom de code d’ "opération insecticide"; signifiant que l'opération se destinait à exterminer les inyenzi ou les "cafards" [l'opération se destinait à exterminer les inyenzi ou les "cafards"]»
Cette privatisation du crime est la tendance vers laquelle s'orientent maintenant militaires et hauts respon¬sables de la politique africaine de la France. L'État français se retranche ainsi derrière des hommes qui sont de véritables supplétifs « officieux » des services secrets « officiels » [supplétifs « officieux » des services secrets « officiels »]. Les opérations en Afrique supervisées par Bernard Courcelle ou Paul Barril sont l'application de cette stratégie. L'utilisation du service d'ordre du Front national est un moyen nouveau, moins compromettant que l'utilisation des militaires du Dami [L'utilisation du service d'ordre du Front national est un moyen nouveau, moins compromettant que l'utilisation des militaires du Dami]. Ce mélange de services de l'État et de services privés permet de réaliser impunément et discrètement une politique inavouable [Ce mélange de services de l'État et de services privés permet de réaliser impunément et discrètement une politique inavouable]. Le secret d'État sert à dissimuler le mélange des intérêts politiques et privés, parfois criminels, souvent mafieux. Cette atteinte permanente à la légalité républicaine mériterait des enquêtes, un recensement et une information du public [Ce mélange de services de l'État et de services privés permet de réaliser impunément et discrètement une politique inavouable]. En 1937, les activistes de la Cagoule pratiquaient déjà la corruption et travaillaient en relation avec des douaniers: « On se trouve là dans les eaux troubles, mêlant activisme politique, contacts avec des puissances étrangères, trafics d'armes et crimes crapuleux. » On ne peut mieux décrire l'activité actuelle de la Françafrique ! [Ce mélange de services de l'État et de services privés permet de réaliser impunément et discrètement une politique inavouable] C'est toute une tradition qui s'est infiltrée au sein des services. Après la Première Guerre mondiale, l'extrême droite se disait ouvertement antiré¬publicaine et convergeait avec une certaine extrême gauche antiparlementaire dans sa haine de la République. Dorénavant, leurs héritiers s'affirment « républicains ». Mais l'esprit et les buts restent les mêmes. Derrière un discours où la « République » se veut présidentielle, autoritaire et « souverainiste » (la nouvelle manière de dire nationaliste) se dissimule la Françafrique [Ce mélange de services de l'État et de services privés permet de réaliser impunément et discrètement une politique inavouable] : un État corrompu et mafieux qu'ils expéri¬mentent depuis la Seconde Guerre mondiale.

(Merci, merci Jean-Paul Gouteux )

(Le Retour du Loup…)

Et voilà ce qu’il en fût,
Et voilà ce qui s’est passé.
A peine le beau temps revenu,
Le comte Fort a passé le fleuve
Avec près de la moitié de son ost,
Chevaux houssés, chevaliers en armes,
Gonfalons déployés, insolentes oriflammes
De toute les baronnies de l’Île de France,
Et de plus loin encore, jusqu’en Allemagne.
Il est remonté jusqu’au guet de Muret,
Pour passer le fleuve à couvert,
Pour lancer un deuxième siège,
Il compte bien s’emparer de St Cyprien,
Il veut investir le nouveau faubourg,
S’en servir pour mettre un double siège
Et prendre la ville en tenaille,
S’emparer par surprise des ponts
Et couper la route aux victuailles,
Couper Toulouse des bons vins gascons,
Barrer le chemin au blé et aux jambons
Et aux renforts qui viennent de Lomagne.
Le voici qui charge sur la rive d’en face
Pour s’emparer derechef du Faubourg.

Mais ça n’allait pas du tout se passer
Comme cela, cela n’allait pas du tout
Se passer comme il le voulait -
Il y a ceux d’en face, chevaliers et bourgeois,
Avec eux, les Brabançons, les routiers Tiois.
Grâce aux nautoniers, bons et courtois,
Comme à Tarascon, ils vont traverser le fleuve,
Ils vont arriver des barques au pas de course
Alors que dans les jardins et les ruelles
Français et croisés s’empêtrent,
Trébuchant dans les fossés, les tranchées,
Se heurtant aux épieux avec leurs destriers.
Par vagues successives, ils les ont repoussés,
A coup de madriers, de pierres lancées.
Battant la retraite, Simon faillit se noyer,
Car son cheval en montant en barque
A fait un faux pas, tombant
Entre barge et embarcation,
Et le chef des croisés aurait pu se noyer
Emporté par le courant impétueux
Avec haubert et destrier caparaçonné,
(Et s’il fut sauvé, ‘ce fut sûrement un miracle’,
Écrivit le très cistercien chroniqueur
Pierre des Vaux-de-Cernay),

Par deux fois, on les a repoussés,
Tant et si bien qu’ils ont du installer
Un campement un demi-lieux en arrière.
Cela n’a servi à rien au comte de Montfort
De s’emparer de l’hôpital St Jacques
Pour en faire sa forteresse personnelle,
Tant les gens de la ville, les habitants de Toulouse
(‘Où même les mémés aiment la castagne’),
Avec la flamme, les flèches, des coups d’épée,
Ont su suffisamment leur tenir la dragée haute
Aux français et aux bourguignons,
Rapaces, orgueilleux, gens félons,
(‘Orgolhos et felon’, ce n’est pas moi
Qui l’écrit, c’est bien la Chanson ! ),
Cadets sans terre à la maraude,
Tueurs endurcis, baroudeurs du Christ,
Sûrs de leur force, de leur bon droit
D’envahisseurs et d’usurpateurs de Dieu,
Massacreurs de bourgeois, de femmes,
Coupeurs d’oliviers, brûleurs d’hérétiques,
Bouchard de Marly, Alain de Roucy,
Pierre des Voisins, Foucaud de Bercy,
Hugues de Lacy, Lambert de Limoux,
Guy de Lévis, plus tard de Lévis-Mirepoix,
(Tous ces noms en ‘y’ ! ), ce sont les mêmes,
On les a vus à Beaucaire, à Tarascon aussi,
Les ‘garçons’ de Simon, hautains, méprisants,
Émules de Guillaume, ‘au court nez’,
Celui d’Orange et de Barcelone,
Sûrs de leur force, endurcis à la joute,
Coupeurs de vignes, d’oliviers, mauvais perdants,
Tortionnaires, entrepreneurs en rapine,
Experts ès Putsch, mercenaires d’Afrique.
Et voici pour eux revenu le beau temps,
La belle reverdie, le temps pour aller tuer,
Pour casser du Sarrazin, de l’hérétique,
Amenant les criquets pèlerins, les renforts de croisés
Qui déboulent dans le sud à la belle saison
Pour accomplir leur quarantaine
Avant de rentrer pour les Fêtes de Pâques.

Voici le comte de Soissons
venu faire ses quarante jours,
Amaury de Craon, Gilbert des Roches,
Aubert de Senlis, avec la foule innombrable
Des pèlerins en armes,
En quête de sensations fortes, d’indulgences,
De butin aussi, bien sûr,
Voici Gautier de Cambrai, Thibaut de Blaison,
Drieu de Mello, Raoul de Nesle,
Geoffroy de la Truie, Renaud d’Aubusson,
Thibaud d’Orion, Gervais le Veautre,
Gilbert de Maubuisson, Robert de Beaumont,
Jean de Bouillon, Rainier le Frison,
Amaury de Luset, Bernard de Courson,
Alan Bloom, Irving Kristol,
Paul Wolfowitz, Robert Kagan,
Alain Finkelkraut, André Bruckner
Alexandre Adler, Romain Goupil,
Et tant et tellement d’autres, que plus
Que pas plus les étoiles du ciel ou les sables de la mer,
On n’aurait pu bien les compter,
Tous gens d’armes rompus à la guerre,
Chevaliers madrés, endurcis à la lutte
Dans les tournois rhétoriques ou en Syrie latine,
Au delà d’Édesse, là-bas, part Roays,
Au Krak des Chevaliers, à Ascalon
(Que n’habite plus que le cri des éperviers),
Au soleil d’Alep ou en Palestine,

Et cela me revient,
Cela me revient,
Cela me revient,

« La Croix et le Lion », oui

Et je songe et je cherche
Et je creuse et je me retourne

Et s’ouvre en moi une mémoire
Qui n’est pas à moi, qui est pourtant mienne

Des noms ardents, des blasons qui tournoient,
Surgissent de l’oubli du temps, un tourbillon
De poussière, de chants, d’espérance intrépide
Prise en tenaille entre les puissances,
Happé par la formation des États, en Europe,
Échappant un instant à l’intégration verticale

Et cela me revient,
Cela me revient,
Cela me revient,

« Gaugz espiritaus »,
Éprouvée par ceux de Tarascon, déjà
(Toujours selon la Chanson)
Et :
« Fort ben los ametz,
Que si cobretz Belcaire
Ab lor lo cobraretz »,
Disait Dragonnet au jeune comte Raimond
Déjà sous les murs de Beaucaire
- Parlant du peuple, des bourgeois
De Beaucaire, de Tarascon

«Chérissez les Tarasconnais,
Car c’est (surtout) avec eux
Que vous, et tous ceux qui sont venus
d’Avignon, de Toulouse, de Beaucaire,
Retrouverez, éprouverez
A nouveau en votre for intérieur,
Gaugz Espiritauz,
La joie de l’Ame »

(Faisant signe sans doute
Vers l’alliance nouvelle ou encore renforcée
Entre les comtes, l’aristocratie du Languedoc,
Et les communes naissantes, ces républiques urbaines),

Oui, la joie de l’Ame,
La joie de l’Ame,
« Gaugz Espiritaus »,

(Toulouse ! Beaucaire ! Avignon ! Tarascon !
Cri étouffé sous le poids mort de combien de siècles ?

(Retour au pays...)

Que devinrent les cinq Occitans qui ont été nos seuls informateurs sur l'Église de Messer Vivent et de Bernard Olieu ? Le premier rentré au pays, le parfait Guillaume Fournier, se confessa en 1256, on l'a dit, après avoir fait amende honorable entre les mains de l'Inquisition ita¬lienne. De Guillaume Raffard, on a raconté l'arrivée dans la Montagne Noire à Pâques 1273, puis la misérable errance qui le conduisit à être arrêté en août 1278. Raymond Baussan, revenu à Pavie après son noviciat manqué, se fit réconcilier par l'inquisiteur Guglièlmo Corrigia. C'est sans doute en rentrant de Sirmione qu'il vit à Vérone les frères Barthélemy et Pons Fougassier, de Toulouse. Après cinq semaines passées à Pavie, il prit la route du retour. À Gênes, il vit un forgeron de Toulouse, Arnaud Coupe, qui était entré dans le tiers-ordre des Humiliés. À Coni, il vit un changeur, Jean Razoul, et les autres frères Fougassier, Arnaud et Raymond, ainsi que Raymond Audron, de Mascarville, Étienne Gros, de la terre de Saint-Félix, et Guillaume de Saint-Laurent, de celle de Lavaur. On lui dit qu'il y avait dans la ville beaucoup d'autres personnes du pays toulousain, toutes en fuite pour hérésie. Rentré sans doute directement de Coni par le col de Larche, il déposa devant l'Inquisition toulousaine le 24 mai 1274.
Bernard Escoulan, qui s'en était allé rejoindre son père à Pavie en 1272, était rentré une première fois, en 1273, seul, peut-être après son séjour à Sirmione. Arrivé à Appelle, près de Puylaurens, il n'avait pas osé aller jusque chez sa mère à Saint-Paul-Cap-de-Joux, mais il lui avait fait passer de l'argent, de la part de son père. Puis il avait rebroussé chemin jusqu'à Montpellier et avait repris au bout d'un mois le chemin de la Lombardie, y retrouvant son père et passant dès lors avec lui trois années à Pavie, Crémone, Alexandrie et autres lieux. Puis les deux hommes se disputèrent et le fils rentra définitivement à la fin de 1276. C'est certainement sur le chemin du retour qu'il vit lui aussi à Coni Arnaud et Raymond Fougassier, qui lui demandèrent s'il était allé à Sirmione - preuve que le lieu représentait quelque chose d'important pour les croyants. Il répondit que oui. Ils lui demandèrent encore s'il avait vu quelque part leurs frères Barthélemy et Pons. Il leur dit qu'il les avait vus à Vérone. Il ne put en revanche leur donner des nouvelles du parfait Guillaume Prunel, qu'ils avaient bien connu à Toulouse et dont ils s'inquiétaient.
Bernard Escoulan eut le malheur, lors de son interrogatoire, sans doute sur citation, le 14 avril 1277, de dire à Pons de Parnac qu'il n'avait jamais vu de parfaits et ne savait rien de l'hérésie. Il fut incontinent jeté en prison, d'où on le sortit pour l'interroger à nouveau le 2 mai, et ce fut là qu'il parla de Pavie, Crémone, Sirmione et Coni...
II ne reste plus qu'un récit à écouter, celui que fit Pierre de Beauville à Pons de Parnac, en plusieurs fois d'ailleurs, le 13 janvier et le 9 décembre 1278, et qui clôt de pathétique façon l'histoire de l'émigra¬tion languedocienne en Lombardie - au moins pour les années 1270. II se passe de tout commentaire. Cela commence à Pavie en juin 1271, trente-cinq ans par conséquent après que Beauville a fui Avignonet :
Étant tombé gravement malade, j'ai demandé aux hérétiques Bernard Barbe et Arnaud d'Aguts de me recevoir et de me consoler si ma maladie empirait au point qu'on désespérât de ma vie. Comme mon état s'était tellement aggravé que j'avais perdu toute conscience, je fus reçu et consolé par ces hérétiques, à ce qu'ils m'ont eux-mêmes rapporté. L'ayant appris, j'ai servi leur secte et me suis abstenu de viande cinq ou six jours, puis j'ai abandonné. Guillelme et Raymond Papier, qui étaient d'Avignonet, et qui habitaient à Pavie dans mon hôtel, ont assisté à mon hérétication, selon ce qu'ils m'ont dit. Cela s'est passé à Pavie, dans mon hôtel, il y a eu un an en juin dernier. [...]. Huit jours environ avant la dernière Toussaint [1277], quittant Pavie, je revins peu à peu dans ce pays-ci. Mais je suis resté cinq semaines à Coni, malade et affaibli. Je n’y ai pas vu d’hérétiques, mais j’ai vu qu’y résidaient Jean Razoul, de Lavaur, Guillaume Gros, de Montmaur, et son neveu Arnaud, Arnaud Carrière, de Toulouse. J’ai vu aussi Pierre de Cahors, Jean Talagre et Pons de Bar, qui, à ce que j’ai entendu dire, étaient hérétiques. Et aussi Molinier d’Albigeois, et Arnaud Gout, beau-fils de Pons Gout, des Cassès, Pierre Gaillard, de Saint-Martin-Lalande, Alazaïs, du même village, mais dont j'ignore le nom de famille, et Arnaude, de Saint-Paul¬-Cap-de-Joux, qui me demanda des nouvelles de Pierre Escoulan, lui aussi de Saint-Paul, et Ermessinde, veuve d'Étienne Gros, de Montmaur. Mais je n'ai vu aucun de ceux-là avec des hérétiques.
J'ai toutefois entendu dire à Guillaume Gros que Pierre Mathieu, de Montmaur, et son sôci hérétique étaient à Ayton au Val d'Escurana. J'ai entendu aussi ce Guillaume Gros et Arnaud Gout dire que Bernard Olieu, l'évêque des hérétiques de Toulouse, et un de ses jeunes compagnons, récemment ordonné diacre parce que l'évêque ne devait pas être sans diacre, ainsi que Raymond du Vaux, Guillaume Audouy, de la terre de Saint-Félix, et Pierre Maurel, qui s'était évadé de la prison des inquisiteurs et venait de se mettre dans l'abstinence des hérétiques, demeuraient à Gênes. Guillaume Gros a dit encore que ces hérétiques avaient envoyé leur messager à Coni au tisserand Pierre Rey, pour qu'il vint à Gênes avec sa femme afin d'y louer une maison où ils puissent habiter avec lui. De Coni, je vins par étapes comme je pus jusqu'à Avignon en Pro¬vence, où je vendis quelques marchandises que j'avais emportées. J'ai ainsi continué jusqu'à Avignonet au diocèse de Toulouse, où je descen¬dis chez ma cousine Guillelme, la veuve de Pons Faure. J'y vis sa fille Aurenca, mais elle ne me reconnut pas. J'ai demandé à Guillelme de me conduire chez ma fille Ermengarde, la femme de Paul. Elle me reçut avec un mélange de joie et de crainte, me prit dans ses bras et m'embrassa comme on embrasse son père. [Elle me reçut avec un mélange de joie et de crainte, me prit dans ses bras et m'embrassa comme on embrasse son père]. Elle dit à Paul que j'étais son père. À ces mots, il prit peur [À ces mots, il prit peur], et me demanda si j'étais hérétique [et me demanda si j'étais hérétique]. Je lui ai répondu que je ne l'étais ni plus ni moins que lui, et qu'il n'avait rien à craindre [Je lui ai répondu que je ne l'étais ni plus ni moins que lui, et qu'il n'avait rien à craindre], parce que si je pouvais voir mes fils, j'avais l'intention de faire tout mon possible pour rester en sécurité au milieu de mes amis [parce que si je pouvais voir mes fils, j'avais l'intention de faire tout mon possible pour rester en sécurité au milieu de mes amis]. Alors il me procura ce dont j'avais besoin. Le lendemain, Raymonde, ma fille aînée, vint à moi, atterrée [Le lendemain, Raymonde, ma fille aînée, vint à moi, atterrée]. Je l'ai rassurée de la même manière [Je l'ai rassurée de la même manière]. Par la suite, Aurenca vint me voir chez ma fille, s'excusant de ne pas m'avoir accueilli avec plus de joie quand j'étais arrivé chez sa mère, parce qu'elle ne m'avait pas reconnu. Elle me demanda des nouvelles de ses oncles Raymond et Pons Papier en Lom¬bardie. Guillelme, sa mère, m'avait posé la même question.
Par ma nièce Bernarde Daugy, d'Avignonet, j'ai fait prévenir mon fils Arnaud de Malhorgues à Toulouse que j'étais revenu de Lombardie et me trouvais à Avignonet, et lui ai fait demander de le dire à mon autre fils, Frère Pons de Malhorgues, moine aux Feuillants, afin qu'ils vinssent tous deux me voir, car je voulais vivement leur parler, dans mon intérêt. Avant que le messager ne revînt, je fus arrêté par les gens des inquisi¬teurs chez ma fille Ermengarde et son mari Paul. C'était lundi dernier.
Guillelme de Beauville, qui avait rejoint son mari quelque vingt ans plus tôt, ne revit jamais ni sa maison ni ses enfants [Guillelme de Beauville, qui avait rejoint son mari quelque vingt ans plus tôt, ne revit jamais ni sa maison ni ses enfants].

(Merci Michel, Michel Roquebert)

(Le Troisième Siège )

Et le Fils de la Vierge a envoyé dans Toulouse éprouvée
Pour la réconforter, le bonheur, un rameau d’olivier,
Une étoile étincelante, une lueur d’aube sur la montagne
(Ou du moins la lumière qui monte, « lugans montaner »),
L’Étoile du Matin en personne, une aurore de Paix,
Le vaillant Comte Jeune, le beau temps, l’héritier
Qui entre par la grande porte, avec la Croix et l’acier.
Et les hommes de la ville, les bourgeois et le Viguier,
Les dames et les demoiselles, dont le désir brûlait
Vont au devant de lui, leur joie aux larmes mêlée
Et pas une pucelle n’est restée au lit ni enfermée,
Toutes dans le ravissement devant cette fleur de rosier,
(On dirait les Beatles, ou Mick Jagger à Wembley ! ),
Cette fleur de jeunesse, qui de joie et d’allégresse
A rempli rues et places, tours, palais et vergers.
C’est le retour du chant, l’incipit printanier,
De lagremas joiozas, de joy e d’alegrier
Son complidas las plassas e.ls palais e.lh vergier,
C’est le Prince de la Jeunesse, Arnaut Daniel, Jauffre,
Al intrada del temps clar, et le jaloux doit gicler,
C’est le retour de la joie, du temps où l’on aimait,
Le temps de l’ouverture, des droits et des libertés,
L’amor de lonh enfin près, l’espérance qui reparaît...

Maintenant par la ville, les cors, les trompes, les cris poussés
Et les sonneries des cloches qui ébranlent les clochers,
Les cris de guerre des porte-bannières des quartiers,
Au pas de course rassemblent sergents et écuyers
Qui se partagent terre-pleins et places à fortifier.
Et voici les barons du Capitole avec leurs bâtonnets
Qui distribuent cadeaux, nourriture et monnaies,
Et le peuple qui apporte pics, pelles et marteaux.
Il ne reste ni coin ni pieu ni fourche ni râteau,
Tous sont à l’oeuvre aux portes et aux guichets,
Chevaliers et bourgeois, apportant les pierres taillées,
Dames et damoiseaux, donzelles et puceaux,
Les grands avec les petits, garçons et filles mêlés,
Chantant ballades, cansos, airs repris en refrain.
Contre l’orgueil des croisés les préparatifs vont bon train,
Pour que le Jeune Comte défend les toulousains.
Et par toute la ville le mandement est donné
Que d’un commun accord ensemble doivent travailler.

Les barons du pays, discutant et délibérant,
Se répartissent les rôles et les guets également
Tandis que les Consuls, parmi les hommes présents,
Chevaliers et bourgeois, de façon bien pesée,
Confient les portes de la ville aux hommes méritants,
Aux meilleurs, aux plus madrés, aux plus résistants.
Et voici Dédé Barasc, qui a prix et jeunesse,
Arnaud de Montégut, où il n’y a plus qu’un pommier,
Bernard de Roquefort, Arnaud, le fils de Dédé,
La barbacane du Bazacle leur est confiée.
Puis Guillaume de Minerve, de grande renommée,
Guillaume de Belafar, l’intelligent, Arnaud Feda,
La barbacane comtale sera leur corvée.
Frotard le rusé, Bernard de Penne, Guillaume Frotier,
Bernard de Monestiès, hommes larges et dépensiers,
A eux la barbacane Baussane va incomber.
Et Roger-Bernard le bon, qui secourt les perdants,
Celui de Foix, Bernard-Amiel de Pailhès,
Jourdain de Cabaret, arrivés les premiers,
Chatbert et Loup, Aimeric de Roquenégade,
La porte de Lascrosses leur est échouée.
Puis Arnaud de Villemur, qui tient en héritage

Puissance, hardiesse et largesse de donner,
Guillaume Unaud, avec son neveu à ses côtés,
Guillaume-Bernard d’Arnave, Claude Sicre, Jean-Marc Buja,
Fortement, tous ensemble, de la Linha Imaginot ,
Défendent la porte Arnaud Bernard bien comme il faut.
Voilà des hommes bien honteusement chassés,
Surgis de l’exil et du maquis, d’autres lieux cachés,
Les faidits du Midi, les légitimes héritiers
Privés de leurs terres, de leurs proches - ‘Paratge’ est leur cri,
‘Toulouse et Paratge’, lancent-ils à l’ennemi
(‘Une parole oubliée, bleue comme une abeille’).
Voici Espan de Lomagne, ami très dévoué
Qui se jette dans la ville avec sa compagnie
Au grand galop, bravant tous les dangers,
Amalvis de Pestillac, l’embrocheur gascon,
N’Ucs de la Mota, qui frappe et refrappe vite,
A eux revient Pouzonville, la barbacane, la porte,
Où pour tenir tête ils ne vont pas devoir chômer,
S’épargnant ni la fatique, ni les combats, ni les périls.
Voici Pelfort, le sage, l’adroit, le preux, le plaisant,
Celui de Rabastens, avec Matfre et Roger-Raimond,
Ratiers de Bosna, Joan Marti l’entreprenant,
A eux la porte Matabiau, à défendre habilement.
Et la porte Gaillarde, que l’on appellait Sardane,
Ce sont ceux de la ville, les chevaliers et les sergents,
Qui en protégent les sorties, allant et venant
Chacun à son tour, pour en assurer le garant.
Et voici que le Jeune Comte, valeureux pour cent,
Qui restaure Paratge, abat l’orgueil du Lion,
Redonne couleur aux perdus et aux perdants,
Avec son frère Bertrand, d’Alfaro le catalan.
Tous garnis et bien armés, gardent la Villeneuve.
Bernard de Comminges, beau comme sa statue,
Aimable et gracieux, preux, puissant et têtu,
Bernard son cousin, Arnaud-Raimond d’Aspet,
Ceux de Montaigon, Isnard de Puntis,
Marestaing, son oncle, Roger de Montaut, Noé,
Et l’autre Roger, assureront la sécurité
De la porte de Pertus contre vents et marées.
Guiraud et Raimond Unaud, Jourdain de Lanta,
Sicart de Puylaurens, Ucs de Monteils,
Padern, Bernard Meuder avec les routiers,
Tiendront Montgaillard, Montolieu, Saint-Etienne.
Bernard de Lautrec, l’apprenti écuyer,
Pierre-Guillaume Bartas, de Saint-Pol Cap de Joux,
Bernard de Montaut, querelleur et mauvais,
Guilabert et l’Abbé, Frézols le résistant,
Bernard-Jourdain de l’Isle, Ot de Terride,
Bernard-Jourdain de Laurac, les fils d’Esclarmonde,
Guiraud de Gourdon, Bernard de Beynac,
Estout de Lias, l’habile ingénieur des ‘chattes’,
L’homme des engins, avec ses troupes de potes,
Sarenco de Goita, Blaine de Ventabren,
Celui d’Aubagne, où le DPS l’a frappé,
Antoine Simon, Jean-Marc de Samie,
Serge Pey, Guglielmi, Ma Desheng,
Adonis, Haroldo de Campos, Hawad de l’Aïr,
Negri, Umberto Eco, Bruno Etienne,
Robert Lafont, Edgar Morin, Jacques Rubaut,
Castan, Michel Roquebert, Jean-Marie Carlotti,
Tatou, les Asian Dub, Gérard Zuchetto,
Tous ensemble tiennent, avec ruse et fermeté,
Qui le Château, le Pont Vieux, qui le Nouveau.
Et sur le Pont du Bazacle, les admirables archers,
Brabançons et navarrais, tirent dru et serré.

Et il faut savoir maintenant
Que les toulousains
Ont des pierriers, des catapultes
(Notamment grâce à Estout l’ingénieux),
Qu’ils ont aussi des arcs turcs
(Grâce aux Navarrais)
Qui peuvent tout transpercer
Et que pendant que nous parlions
Bernard de Capdenac s’est jeté dans la ville
Avec bien cinq cents chevaliers frais
(Car maintenant les puissants du Quercy
Et ceux de Gascogne commencent à miser
Sur les chances de gagner des toulousains),
Force routiers encore, des Faidits à foison,

Que ceux de la Ville
Ont peu à peu repris pied
Sur les deux tours du Pont-Neuf,
Repris Saint-Cyprien et l’Hôpital,
De sorte que le Vieux Loup (Pardon ! Le Miles Christi,
Saint bourreau et martyr... ! ) a dû se replier,
Se claquemurer avec les siens
dans le Château Narbonnais
(C’est-à-dire, à peu de choses près,
L’emplacement de l’actuel Palais), ce qui fait
Que désormais Simon et ses croisés
Ont placé toute leur espérance
Dans la construction d’une « chatte » géante,
Un véritable Cheval de Troie, capable de contenir
Des centaines de combattants, et que sur ses ordres
Ils sont entrain de la faire avancer
péniblement vers la Ville,
Sous une pluie de flèches, de projectiles,
De matières combustibles de toutes sortes,

Si bien que les hommes de Simon à l’intérieur
menacent même de faire grève,
Tant sont grand le péril, la souffrance, l’alarme,
Tant empestent ces infectes peaux de bovins
Nouvellement tués
qui la recouvrent,
Tandis que, pendant ce temps, ceux de la ville,
Tous ensemble, chevaliers, bourgeois, artisans,
Dames et demoiselles, fillettes et garçons,
Les grands avec les petits, tout en chantant
Ballades, chansons d’amour, vers et refrains,
S’emploient à relever les murs pour la mater.

Et il en fut ainsi :
Ils ont incendié la « chatte », ils l’ont frappée
Avec des pierres, de gros moellons taillés,
Disjoignant les mortaises et les tenons,
Les poutrelles et les madriers,
La tour de siège de Simon s’est d’un coup effondrée
Et par toute la ville d’une seul voix
On a entendu de partout crier :
‘Par Dieu, na falsa gata, ja no prendretz ratz !’
- Par Dieu, Dame chatte traîtresse, plus jamais
vous n’attraperez de rat !

(Jeu et joie...)

C’est dans le grain du bois,
Dans le geste des branches
Dociles au vent ;
Dans la façon dont se brisent les cailloux
Les plus durs,
Au fond des yeux,
Dans ce parfum de miel qui se dégage
Comme un trésor caché
De parmi les pierres nues ;
Dans le vacarme sourd des troupeaux,
Dans la flamme vive qui s’élance et qui jaillit
Du bois mort,
Dans le grand vent qui crépite et qui gronde
Et qui embrase la nuit
Ainsi qu’un vaste forge,
Mêlé d’étoiles, d’étincelles, de branches nues ;
Dans le carnage de roses de chaque aube qui vient
Terrible de beauté comme le Cantique
Sur les décombres de la nuit, du temps,
Dans le soleil levant qui fait darder son éclat
Au soc de la charrue,
Du fond des sillons nus,
Dans les roseaux qui s’agitent tels les crinières
D’une croisade fantôme
Pour exalter la prime lumière
Jaillie de parmi de sombres cyprès,
Dans le rapide éclat de l’eau des canaux,
Au fond de tes yeux qui virent et qui virent
A la lumière encore,

Jeu et joie
Les plus anciens, les plus neufs,
Les plus mirables, les plus admirables,
Les plus incroyables, les plus évidents,
Les plus cachés, les plus manifestes,
Les plus insouciants, les plus savants,
(D’un savoir
Et subtil et savoureux,
Et très jeune et très vieux ! ),
Les plus fous, les plus sages,
Les plus intenses,
Les plus sûrs...

(Messe pour la Mort du Loup…)

Et voilà ce qu’il en fût,
Et voilà comment cela s’est passé.
Afin qu’il y ait plus d’oubli,
‘Nous avons mis en histoire
Ce dont nous nous remembrons’,
Surgissant de l’amnésie, de l’effacement,
De l’escamotage plus ou moins grossier,
Plus ou moins savant ou subtil,
Voilà ce que nous en retiendrons,
Ce que la Chanson en a gardé
Jusqu’au Jour du Jugement.
Voilà ce que nous en réciterons
Avec l’Anonyme à voix haute
Afin de jeter un gant
A la face de l’indifférence, de l’oubli,
De la dénégation mal assumée,
Et d’en effacer le déni :

Ab tant venc vas lo comte cridan us escuders :
(Un écuyer est arrivé en criant pour avertir le comte)
« Senher coms de Monfort , trop paretz tahiners ;
(Seigneur comte de Monfort, vous tardez trop à venir)
Huei prendretz gran dampnatge, car etz sentorers !
(Un grand malheur vous frappe, vous vous perdez en prières)
Que.ls omes de Tholoza an mortz los cavalers
(Car les toulousains vous ont tué vos chevaliers et bien pire)

E las vostras mainadas e.ls milhors soldadiers
(Vos fantassins et vos meilleurs troupes à pied)
E lai es mortz Guilelmes e Thomas e Garniers
(Ils ont laissé sur le carreau Guillaume, Garnier, Thomas,)
E.n Simonetz del Caire e i es nafratz Gauters... »
(Blessé Gautier, tué Simonet du Caire... ».)
« E si gaires nos dura la mortz ni l’encombriers,
(Si vous laissez le massacre durer, sans rien faire,)
« Jamais d’aquesta terra no seretz heretiers !’
(Jamais vous ne pourrez garder en héritage cette terre...)
‘E.l coms trembla e sospira e devenc trist et ners
(Le comte pris de tremblement, soupire, devient blême,)
E ditz al sacrifizi: «Jesu Crist dreituriers,
Huei me datz mort en terra o que sia sobriers!’
(Au moment de l’élévation s’écrie : «Jésus Christ, Dieu vengeur,
Que je meurs sur place ou que je sois vainqueur»).

E en apres el manda diire als mainaders
(Tout de suite il envoya dire à ses forces spéciales)
Que tuit vengem essems e.ls arabitz corsers;
(Que tous accourent sur leurs destriers arabes)
Ab aitant ne rapairan ben seissanta milhers
(Elle ne craint pas l’exagération, la Chanson!).
E.l coms denant les autres venc abrivatz primers
(Le comte au premier rang à bride abattue)
E.n Sicartz de Montaut e.ls sieus gonfanoners
( Et Sicard de Montaut avec son porte-étendard)
E.n Joans de Brezi e.n Folcautz e.n Riquers
( Les frères de Bercy, avec Richard de Montebourg)
Ez apres las grans preichas de totz los bordoners.
(Suivis de la grande masse de tous les croisés)
E lo critz e las trumpas e.l corns e.l senharers,
(Et le vacarme des cors, des trompes, des cris de guerre)
Los glazis de las frondas e.l chaples dels periers
(Les tirs de roquette et le pilonnage des mortiers)
Sembla neus o auratges, troneire o tempiers;
(On eût dit de la neige, du tonnerre, la tempête)
Si qu’en trembla la vila e l’aiga e.ls graviers.
(Tant ils ébranlèrent la ville, le fleuve et ses berges)
E a lor de Toloza venc tals espaventers
(A ceux de Toulouse il en vint une telle épouvante)
Que motz en abateron e.ls fossatz vianders.
(Que nombreux furent abattus, viande pour les fossés)
Mas en petita d’ora es faitz lo recobriers,
(Mais en peu de temps ils vont retrouver le courage)
Car il salhiron fora entre.ls ortz e.ls vergers
(Car ils surgissent de partout entre jardins et vergers)
E perprendron la plassa sirvens e dardacers.
(Et mercenaires et dardiers vont reprendre le terrain)

De sagetas menudas e de cairels dobliers
(De carreaux menus et de plus gros calibre)
E de peiras redondas e de grans colps marvers
(De galets de rivière et de flamboiements d’acier)
D’entrambas las partidas es aitals lo flamers
(Le Brasier est rallumé, qui rallume la joie !)
Que sembla ven o ploja o perilhs rabiners.
(On croirait le vent, la pluie ou un torrent déchaîné)
Mas de l’amban senestre dessara us arquers
(Mais du parapet de gauche tire un archer)
E feric Gui lo comte sus el cap del destriers
(Et frappe à la tête de Sire Guy le destrier)
Que dins la cervela es lo cairels meitadiers
(Le carreau lui a traversé la moitié du cerveau)
E cant le cavals vira, us autre balestiers
(Et lorsque le cheval plie, un autre tireur)
Ab arc de torn garnit lui tirec costalers
(Avec son arbalète l’atteint, lui, entre les cotes)
E feric si en Gui e.ls giros senestriers
(Et le frappe de telle sorte par le côté gauche)
Que dedins la carn nuda l’es remazutz l’acers
(Que dans sa chair nue reste la pointe d’acier)
Que del sanc es vermelh los costatz e.l braguers
(Et le sang macule et son flanc et ses braies)
E.l coms venc a so fraire, que.lh era plazentiers
(Le comte vint vers son frère, qu’il avait en amitié)
E dechen a la terra e ditz motz aversers
(Descendant à terre, le fou, dit des mots désespérés)
« Bels fraire », dit lo coms, « mi e mos companhers
(« Beau frère », dit le comte, « moi et mes compagnons »)
« Ha Dieus gitatz en terra et ampara.ls roters ;
(« Dieu nous a abattus et aide les routiers »)
« Que per aquesta plaga.m farai ospitalers !
(« A cause de cette blessure, me ferai moine-soldat ! »)
Mentre.n Guis se razona e deve clamaders
(Cependant Guy gémissait et hurlait de douleur)
Ac dins una peireira, que fes us carpentiers
(Et il y eût un pierrier fait de main de charpentier)
Qu’es de Sent Cerni traita la peiriera e.l solers
(C’est de Saint-Sernin jusqu’ici qu’on le traîne)
E tiravan la donas e tozas e molhers
(Par des mains de dame, de filles, il fut apprêté)
E venc tot dreit la peira lai on era mestiers
(Et la pierre arrive tout droit là où il le fallait)
E feric lo comte sobre l’elm, qu’es d’acers
(Et frappe le comte sur le casque, l’heaume d’acier)
Que.ls olhs e las cervelas e.ls caichals estremiers
(De sorte que les yeux, la cervelle et les dents avant)
E.l front e las maichelas li partic a cartiers
(Et le front et les machoires partent en quartiers)
E.l coms cazec en terra mortz e sagnens e niers
(Et le comte choît à terre mort, blême et ensanglanté).

E laïns en Toloza intrec us messatgers
(Sur le champ accourt dans Toulouse un messager)
Que.ls comtec las noelas ; es es tals, alegriers
(La nouvelle se répand ; telle est l’allégresse)
Que per tota la vila corron ves los mostiers
(De partout on court ensemble vers les autels)
Ez alumnan los ciris per totz los candelers
(On allume des cierges sur tous les chandeliers)
Ez escridan : « La joya ! car es Deus merceners
(Ils s’écrient, « Oh, la joie : Dieu a eu pitié ! »)
E ar es Paratges alumpna es er oimais sobrers
(« Maintenant Paratge s’illumine, désormais vainqueur »)
« E.l coms, qu’era malignes e homicidiers »
(« Et le comte, qui était cruel et massacreur »)
« Es mortz ses penedensa, car era glaziers »
(« Est mort sans se confesser, en vrai tueur »)
Mas li corn e las trompas e.l gaug cominalers
( Alors les cors, les trompes, l’allégresse générale)
E.ls repics e las mautas e.ls sonetz dels clochiers
(Les carillons, les klaxons, les cloches d’église)
E las tabors e.ls tempes e.ls grailes menudiers
(Les tambours, les timbales et les clairons grêles)
Fan retendir la vila e los pazimenters
(Font retentir toute la ville et la côte pavée).

Et Josselin et Aimery l’ont recouvert d’une cape bleue,
Et dans les rangs des croisés l’effroi s’est répandu.
Sous les étranges casques on en entend pleurer,
Soupirer et gémir, se plaindre de l’injustice de Dieu,
Car il a permis la mort du comte et tout ce malheur
Et que, homme de bien et toujours du bon côté
(Et même que Jean de Garlande, professeur émérite,
Enseignant de lettres à l’université de Toulouse,
Auteur du De Triumphis, aurait quant à lui écrit
Qu’il était « Ecclesie Justitieque pugil »,
Et Pierre de Vaux-de-Cernay, de son côté
L’aurait qualifié de « Gloriosissimus martyr »,
Alors que l’Évêque Foulque le porte aux nues,
Le traitant carrément de « Saint et Martyr »,
Méritant le ciel, ce qui n’a rien pour surprendre).
Que le comte donc, Dieu a permis qu’on le tuât
Avec une vulgaire pierre, sur le coup
(Qui plus est, tirée par des mains de femme !)
Qu’il meure de mort déshonorant, ainsi qu’un serf.
Et là dessus de jurer leurs grands dieux que jamais,
Au grand jamais, on ne les y reprendrait, dans les rets
Mielleux des tonsurés, dans la rhétorique des prêches,
Ils emportèrent en pestant le cadavre du comte
Et le livrèrent aux clercs qui lisent dans les livres,
(Avec moins de larmes que Roland pour Olivier),
Au Cardinal Légat, à l’Abbé et à l’Évêque
Qui prirent fort mal la chose, agitant crosses et encensoir,
Puis, lui ayant fait bouillir et la chair et les os,
(Suivant le «curatum more gallico» de Guillaume de Nangis),
Firent porter ses ossements dans un sac à Carcassonne
Où on les fit enterrer vite dans une chapelle absidale
Et célébrer force messes et offices comme pour un saint.

E ditz e l’epictafi, cel qui sap ben legir
(Et il est dit sur l’épitaphe, pour qui sait bien lire)
Qu’el es sans ez martirs e que deu resperir
(Qu’il est saint et martyr et qu’il doit resusciter)
E dins e.l gaug mirable heretar e florir
(Et comme tout bon jihadiste jouïr au ciel)
E portar la corona e e.l regne sezir
(Porter la couronne et siéger au royaume)
Ez ieu ai auzit dire c’aisi.s deu avenir
(Et j’ai entendu dire que c’est ainsi qu’il doit en être)
Si, per homes aucirre ni per sanc espandir
(Si à force de tuer et de répandre le sang)
Ni per esperitz perdre ni per mortz cossentir
(De perdre des âmes et de couvrir le massacre)
E per mals cosselhs creire e per focs abrandir
(De croire des mauvaises langues et de répandre l’incendie)
E per baros destruire e per Paratge aunir
(De détruire les hommes et de déshonorer Paratge)
E per las terras toldre e per Orgolh suffrir
(De s’emparer des terres et de soutenir l’Orgueil)
E por los mals escendre e pels bes escantir
(De favoriser le mal et d’étouffer le bien )
E per donas aucirre e per efans delir
(De massacrer les femmes et de tuer les enfants)
Pot hom en aquest segle Jhesu Crist comquerir
(On peut sur terre conquérir Jésus-Christ)
El deu portar corona e e.l cel resplandir
(Celui-ci portera couronne et resplendira au ciel).

- Voilà ce qu’il en fut. Et voilà ce qu’il en est.
Et voilà bien comment, avec la fine pointe de l’ironie
Et l’acide de l’antiphrase, de l’indignation majeure,
En des vers imparables, au front des siècles,
Le grava notre auteur, l’Anonyme de Toulouse...

(Avignonet...)

(...Celui qui abat le tyran
Venge des générations d’amoureux ...)

La neige tombe en se cherchant
Se cherche en tombant
Comme une musique répétitive
Toujours pareille toujours neuve
Toujours ivre
Mouvante et immobile
Comme un milliard de cannes d’aveugle
Tombant sans fin du ciel
Fatidique répétitive
Chaotique tourbillonante
Lascive convulsive
Comme une histoire sans fin sans histoire
Perpétuellement effacée
Perpétuellement recommencée
Mille migrations mille Waterloo mille Stalingrad
Perdues d’avance
Dans la nuit du Languedoc
La neige aveugle comme les hommes
Comme l’oubli
Cherche son lieu
Dans les ténèbres extérieures
Cherche un abri

(...Celui qui écrase la tête du monstre
Venge des générations de vivants...)

D’être si brève et si innombrable
Comme si elle cherchait son lieu
Portée de ci et de là inlassablement
Par les vents du dehors
Avant d’être la proie des ténèbres
Tantôt lasse tantôt capricieuse
La neige tourne la neige tourbillonne
La neige va à tâtons
Dans la nuit du Languedoc
Emportée par les vents du dehors
Les vents de l’histoire sans histoire
Dont personne ne se souvient
Ballottée et happée dans le noir
Par la bouche affamée du néant
Par la danse forcenée du rien
Comme un sourd aveugle de naissance
Qui chercherait désespérément
A se souvenir à temps
De ce dont il n’a pas souvenance
De ce qu’il n’a jamais connu
De son propre nom

(...Celui qui terrasse le Dragon
Venge des générations de suppliciés...)

Et maintenant je les vois venir
Drus et serrés à travers la neige
Ils piquent droit
Par paquets par pelotons
Les visages fouettés au sang par le froid
Ils chevauchent serrés à travers la tourmente
Un ouragan de blancheur
De la neige blanche comme une page blanche
Comme huit siècles d’oubli
Les yeux rougis écarquillés le visage fouetté
Ils avancent en jurant en s’interpellant
A travers les rafales
Pour percer à jour la nuit les ténèbres
S’enfonçant jusqu’au poitrail des chevaux
Que le vent affole que le noir épouvante
Et fait hennir de terreur
Dans les hautes congères des Corbières
Sur plus de quarante kilomètres
Luttant pour avancer contre le noir
Du néant de la nuit
Maintenant je les vois

Je les vois maintenant
Des hommes terriblement résolus
Tragiquement inexorablement décidés
A en finir

(...Celui qui fait trébucher l’orgueil du tyran
Fait naître des générations d’hommes libres...)
Ils m’apparaissent pleinement maintenant
A travers vents et neige à bride abattue
Quarante longs kilomètres depuis le pog
De Montségur chevauchant
En deux ou trois pelotons compacts
A travers les rafales de flocons à l’infini
Des hommes terriblement décidés
Tragiquement résolus

En tête je le vois le Comte Roux
Un homme terrible et rieur
A ses côtés je vois Loup
Le fils bâtard de Na Loba
De la graine de pétulance
De la graine d’insolence
De la graine de libéralité
De la graine d’insoumission
De la graine de résistance
Un rien blasphémateur
Un rien d’enjoué et d’amoureux
Un rien encore de belle candeur
Sous le dur masque de la ruse
De la dureté du fils naturel
Et du père dépossédé
De guerriers endurcis prêts à tout
Un rien de gaîté de chanson d’amour
Derrière le regard de renard traqué

(...Celui qui abat le tyran
Sauve des générations d’amoureux,
Lève des générations de vivants,
Venge des générations de suppliciés,
Fonde une filiation de liberté,
Fait naître des générations d’hommes et de femmes heureux...).