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Raimond de Cornet : Serventes contre les clercs...

Raimon de Cornet petite

Quar mot home fon vers
Raimon de Cornet, trobador (XIII-XIV° siècles)
Texte de référence pour ‘LE CRI’ (Reprise de Crozada d’Uei IV en cours).
Traduction Patrick Hutchinson

Tant d’hommes font des vers,
Que je veux me faire divers,
Montrant plutôt l’envers
D’un monde à la renverse,
Faisant du droit l’inverse
Et de tout ce qui est revers.
Tout ce qui existe est pervers,
Quand le père vend le fils,
Et le fils dévore le père ;
Le meilleur blé est du mil,
Un chameau est un conil,
Le monde, dedans, dehors,
Est plus pourri que mort.

 

Je vois le Pape s’évertuer
A vouloir riche enrichir
Et ne plus aider le pauvre ;
Sous l’habit il y a les profits
Et il se fait volontiers servir
Sous un baldaquin à dorures ;
Il est bon commerçant,
Puisqu’il vend pour de l’argent
Des évêchés à des malfrats ;
Il nous envoie ses inquisiteurs
Fouiner avec leurs fichiers,
Qui pardonnent pour du blé
Sans être plus avancés.

Les cardinaux émérites
Se tiennent toujours fins prêts,
Au jour le jour, dit-on
Pour conclure tout marché :
Voulez-vous un évêché
Ou plutôt un monastère ?
Si vous leur donnez du blé
Vous feront bientôt porter
Chapeau rouge ou crosse doré :
Avec très peu de savoir,
Entre le fromage et la poire,
Aurez une aubaine si grosse
Qu’il ne leur coûte rien de donner.

Les évêques me font rigoler,
Car ils dépouillent sans scrupule
Les pauvres prêtres de leur paie
Vendant le sceau de l’évêché
Sur un bout de papier fin ;
Dieu sait qu’il faudrait les changer
Ces mœurs, ils font trop mal,
Car ils donneraient l’ordination
Contre paiement à un ignorant ;
Tout est si mal réparti
A la cour temporelle
Qu’on en perd la droiture
Et l’Eglise vas de mal en pis.

Bientôt il y en aura trop
De clercs, de prêtres, je le sais,
Plus qu’en foire des bestiaux ;
Chacun médit de son voisin ;
Ils sont lettrés, je le sais,
Dire l’inverse, je n’oserais ;
Mais à ce point défaillants,
Qu’ils vendent les sacrements,
Et de plus en plus les messes.
Quand ils entendent à confesse
Aux laïcs, sans délicatesse,
Ils infligent dure détresse,
Bien moins à leurs maîtresses.

Les Ordres font semblant
De faire grande pénitence ;
Mais pour sûr guère n’en font
Car ils vivent deux fois mieux
Que dans la maison de leur père
Ils ne vivaient autre fois.
Ils vivent bien mieux ainsi :
Et jouent mal le mendiant.
Mais sous la bure on sent la ruse,
Car bien des hommes de peu
Entrent dans les ordres de Dieu
Parce sans rente assurée :
C’est sûr, on vit mieux caché.