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Julien Guill: note d’Intention du Metteur en Scène

JulienMaia2Le poème fleuve de Patrick Hutchinson est traversé par la volonté de redonner la parole aux vaincus. Il apporte un éclairage nouveau sur une sombre partie de l’histoire de l’Occitanie : le massacre orchestré par l’inquisition durant la croisade albigeoise. Il semblerait qu’avec le temps plutôt que de rendre hommage à cette période brutale de notre culture, nous chercherions à en amoindrir les plaies.

Le nerf de ma démarche artistique consiste à donner la parole à ceux qui se confrontent à leur non-maitrise de l’Histoire, du Temps ou de la Justice. Faire face ! Je m’efforce de mettre en scène des situations à l’intérieur desquelles un individu émerge pour incarner un « devenir révolutionnaire » (Cf. Gilles Deleuze), le seul à pouvoir conjurer la honte d’être un homme. L’adaptation théâtrale de la « Crozada d’Uei 2009-13 » raconte un combat poétique contre l’usure exercée par la douleur et le Temps. Elle reprend et actualise le traditionnel travail de mémoire entrepris par les troubadours et autres anonymes.

Pour parler plus avant du spectacle en devenir, il est nécessaire de faire un furtif détour du côté de la conception même de l’immense « plan » constitutif de la « Crozada d’Uei 2009-13 ». Au fur à mesure de son élaboration, celui-ci devient une matière vivante de son temps. « Le drame de la croisade albigeoise » est le siège d’un site internet qui fonctionne comme une banque centrale de données pouvant être perpétuellement précisées, augmentées, consultées, argumentées ou commentées soit par des artistes associés, des érudits, des passionnées, des spectateurs curieux ou de simples internautes.

Je souhaite construire le spectacle en préservant cet esprit d’ouverture et d’interaction. Concrètement, l’adaptation théâtrale doit être un axe de liaison entre les outils d’expression de l’époque médiévale et ceux de notre époque contemporaine. C’est-à-dire confronter des conteur-jongleurs avec de la vidéo et des ordinateurs, la langue d’oc avec des tchats sur internet, des chants traditionnels médiévaux avec du rap et des musiques électroniques.

Pour l’occasion, « La Chanson de la Croisade » est retraduite sur le principe de la paraphrase – principe fondateur de l’entreprise des troubadours pour leur permettre d’intégrer tout nouvel élément à la Chanson. Ici, ce travail de réécriture redonne toute sa vivacité à la langue. Prenant pied sur cet axe fondateur, l’adaptation théâtrale joue avec les anachronismes en mêlant le récit poético-historique à une enquête télévisuelle, sur « la croisade albigeoise », menée par Pixelman, le présentateur charismatique d’une chaîne indépendante diffusée par internet.

La mise en scène consiste en la mise place d’un dispositif, à l’intérieur duquel la parole circulerait librement. Les spectateurs assistent en direct à la construction d’une émission qui occupe cinq « espaces » : l’espace officiel de l’antenne, l’espace des interviews, l’espace des témoignages, l’espace multimédia et l’espace des coulisses.

Nous sommes dans le présent de la représentation : tous les espaces sont vues par les spectateurs (et dans l’idéal en diffusion directe sur le site internet). Les interprètes se les approprient. Le personnage de Pixelman donne le fonctionnement de l’émission, apporte les clés de lecture et crée le lien entre les « fantômes » invitées de l’émission, les « modernes-troubadours » et le public. Petit à petit, la troupe constituée de huit interprètes (comédiens, chanteurs, conteurs, poètes et rappeurs) commence à se fondre dans la réalité de l’enquête médiévale. Tous les acteurs traitent l’information en direct. Tout au long des chroniques, ils nous donnent à voir des personnages qui sont dépassés par les évènements, par les « apparitions » et leurs violentes prises de position, par les témoignages officiels ou par la parole crue de quelques anonymes.

Cette forme du théâtre dans le théâtre est éprouvée dans son extrême quand à la fin de la représentation-émission, pour la chronique judiciaire, les personnages se distribuent dans les rôles du juge et des avocats en charge du procès de Nuremberg. Sous le regard complice du public, ils mettent eux même en scène le procès du Pape Innocent III.

 

Julien Guill